« Gabriel Attal et Gérald Darmanin jouent sur le même terrain de la laïcité et des valeurs républicaines»
Ces deux ministres de Borne sont amenés à se droitiser quand il s’agit de protéger les Français, comme promis par Macron, contre les islamistes et la gauche qui fait leur jeu, si dramatique soit-il.
D’un côté, le ministre de l’Intérieur qui fait de son texte sur l’immigration une réponse au risque terroriste et qui attaque Karim Benzema. De l’autre, un ministre de l’Education national qui veut « sortir de nos établissements » les élèves signalés pour radicalisation. Quel sens donner au durcissement du discours de ces deux ministres de poids ? Eléments de réponses appirtés à Public Sénat par deux communicants et un politologue.
Après l’émotion, les réactions. Et dans le contexte des massacres d’Israéliens par les terroristes islamistes du Hamas, puis de l’assassinat du professeur d’Arras, Dominique Bernard, par un djihadiste tchétchène, les politiques ne font pas toujours dans la demi-mesure et la presse apeurée édulcore ses analyses, châtiant chaque mot de peur du dort de Charlie hebdo. Ainsi le mot « terroriste » est-il tabou, appliqué au Hamas.
Du côté du gouvernement, on observe un durcissement des propos ou une surenchère. Deux ministres, celui de l’Intérieur, Gérald Darmanin, et son collègue de l’Education nationale, Gabriel Attal, sont sous les projecteurs dans cette séquence. Ce sont les premiers concernés, de par leur portefeuille. Mais on observe aussi des propos ou prises de position qui sont loin d’être anodines.
Le ministre de l’Intérieur n’a pas laissé indifférent en pointant, lundi soir, sur Cnews, non pas le footballeur Karim Benzema, mais sa prise de position. « Monsieur Benzema est en lien – on le sait tous – notoire, avec les Frères musulmans », a soutenu Gérald Darmanin sans apporter de preuve, comme si rejoindre l’Arabie saoudite n’était pas en soi un élément de preuve, tout en étayant son propos du fait que l’ancien joueur des Bleus est pratiquant et n’a pas réagi pour les victimes de l’attaque du Hamas. La veille, l’ex-joueur du Real de Madrid avait écrit sur X (ex-Twitter) : « Toutes nos prières pour les habitants de Gaza victimes une fois de plus de ces bombardements injustes qui n’épargnent ni femmes ni enfants ». Autre charge de Gérald Darmanin, qui a fait réagir à gauche : « La haine du juif et la haine du flic se rejoignent. Pas par conviction, mais par calcul électoral », a-t-il affirmé mardi. Lien PaSiDupes
Suite à l’attentat, le ministre de l’Intérieur a par ailleurs établi un lien entre terrorisme et immigration, sujet sur lequel s’avançaient seuls – jusqu’à l’assassinat de Dominique Bernard à Arras, deuxième professeur victime du fanatisme politique d’un djihadiste tchétchène – plutôt l’extrême droite, puis et une partie des LR. Après l’attaque d’Arras, Gérald Darmanin, a en effet présenté son projet de loi comme un moyen d’« expulser tous ceux qui, même arrivés [en France] à l’âge de 2-3 ans, sont étrangers et méritent de retourner dans leur pays d’origine (…) parce que ce sont des dangers en puissance ».
De son côté, jeudi soir, sur France 2, Gabriel Attal a dit « travailler à des mesures » qui permettent de « sortir de nos établissements » scolaires les élèves signalés pour radicalisation, quand les personnels de l’éducation « signalent des élèves qui constituent selon eux, potentiellement une menace (…) en raison de propos qu’ils ont tenus ou d’actes qu’ils ont commis ». L’idée serait de « penser à des structures qui peuvent accueillir » ces élèves.
« Gérald Darmanin profite, en quelque sorte, de ce contexte »
Pour Emilie Zapalski, communicante politique, le ministre de l’Intérieur cherche à amener la situation à son avantage. Concernant le projet de loi immigration, alors qu’il a du mal à faire avancer les choses depuis un an, Gérald Darmanin tire les conclusions, en quelque sorte, de ce contexte, entre les carnages par le Hamas et l’assassinat à Arras, en se disant qu’il ne peut détourner le regard. Avec l’idée de pousser plus loin, pour voir s’il peut obtenir le soutien des LR, son ancienne famille politique, dont il a besoin pour faire adopter son texte, analyse la fondatrice de l’agence « Emilie Conseil » avec davantage de malveillance.
Mais le lien entre immigration et terrorisme, « c’est nouveau », note la communicante, qui ajoute : « Déjà que ce texte voulait traiter d’immigration et d’économie, par les métiers en tension, là, on va sur le terrorisme, en faisant un raccourci un peu nauséabond. Ça devient un texte fourre-tout », selon elle. Il peut donc arriver que des politques soient plus lucides que des observateurs qui se jugent vigilants et perspicaces.
« Gérald Darmanin inscrit sa trajectoire politique dans les pas de Nicolas Sarkozy »
En socialiste bloqué sur ses pattes arrières depuis 65 ans, Bruno Cautrès, politologue au Cevipof (Sciences Po), estime en revanche qu’« on est un peu dans du classique de la part d’un ministre de l’Intérieur. Face à des situations de terrorisme, qui heurtent l’opinion, les ministres de l’Intérieur veulent incarner une posture de fermeté très forte [sic]. Il faut incarner l’autorité de l’Etat », rappelle le chercheur. « Après, il y a les particularités de Gérald Darmanin. C’est une figure de style imposée, mais il y apporte sa contribution personnelle, car depuis des mois, il veut afficher qu’il incarne une posture de fermeté régalienne au sein du système macroniste ». En même temps, l’Intérieur est un ministère régalien…
En y voyant le style de l’une des figures récentes de la droite, Bruno Cautrès manifeste son parti-pris de …chercheur! Et à Science Po, on ne cherche guère, puisqu’une fois piur toutes on a trouvé. « Gérald Darmanin inscrit sa trajectoire politique dans les pas de Nicolas Sarkozy. On retrouve aussi chez lui cette communication qui veut s’affranchir du vocabulaire politiquement correct, on assume de dire des choses qui sortent du cadre. C’est la filiation sarkozyste ». Pourquoi Darmanin est-il passé par le macronisme pour revenir au sarkozisme, Cautrès va devoir nous expliquer… En attendant, il suit son idée :
« C’est une forme de communication qui mise sur l’idée que le politique peut dire tout haut ce que beaucoup de gens penseraient [conditionnel de doute…] tout bas. (Bruno Cautrès, politologue au Cevipof).
Sortir les élèves radicalisés, comme le veut Gabriel Attal, « on ne sait pas ce que ça veut dire »
Pour le cas de Gabriel Attal, Emilie Zapalski y voit « une communication un peu plus maîtrisée. Il a commencé très fort avec l’interdiction de l’abaya à l’école. Il a gagné beaucoup en popularité ainsi. Evidemment, c’est de la com’, il essaie de faire beaucoup parler de lui, mais sur des choses concrètes ». En revanche, sur l’idée de sortir les élèves qui seraient radicalisés, le ministre se lance sur un terrain plus glissant, soulève la communicante : « Est-ce que ça cible les islamistes intégristes ? Les écolos virulents ? Ou l’extrême droite radicale ? On ne sait pas ce que ça veut dire ».
Emilie Zapalski s’étonne par ailleurs qu’« Emmanuel Macron dise en substance qu’il faut apaiser. Il faut qu’il tienne ses troupes, dans ce cas. Il y a une double attitude ». Et pendant ce temps, « il y a un tapis déroulé au RN, qui ne parle pas. Ils n’ont rien à faire, mais juste à récupérer les votes. C’est très dangereux », selon la communicante, plur qui le socialiste Attal travaillerait pour le RN : preuve de sa maîtrise du sujet, évoquée plus haut?
« Gabriel Attal et Gérard Darmanin, ce sont les frères ennemis »
Inévitablement, une forme de concurrence, voire de rivalité, risque de s’installer entre les deux hommes, entre un ministre de l’Intérieur qui ne cache plus ses ambitions, et un autre qui est, comme dit Bruno Cautres, « une météorite, qui va très vite et gravit les échelons », en mordant sur le couloir de son collègue de la Place Beauvau. « Ce sont les frères ennemis », lance le communicant Philippe Moreau Chevrolet, qui ajoute : « Gabriel Attal et Gérard Darmanin jouent sur le même terrain de la laïcité et des valeurs républicaines, c’est vraiment un choc frontal ».
Selon le dirigeant de MCBG Conseil, l’ambition du ministre de l’Intérieur, et la volonté de l’Elysée de la contrôler, ne seraient pas sans lien avec la situation politique. « Gérald Darmanin a affirmé ses ambitions présidentielles cet été avec le soutien de Nicolas Sarkozy. On sait par ailleurs qu’il était soutenu par Bernard Arnault comme premier ministre potentiel. Il a appelé l’Elysée, il est intervenu. Le mari de Gaby, Stéph Séjourné, n’y serait donc pour rien, tout intime qu’il soit de Macron, comme conseiller au ministère de l’Economie et à la formation d’En marche ?… Et l’Elysée a cherché à limiter ses ambitions en mettant en avant Gabriel Attal, dont la sortie sur l’abaya a été faite le jour même de la rentrée politique de Gérald Darmanin. Il y a de la part de l’Elysée la volonté très nette d’opposer Gabriel Attal à Gérald Darmanin, pour calmer ses ambitions présidentielles [sans briser celles d’Attal ?]. On est dans un jeu d’équilibre des pouvoirs et les deux sont supposés se neutraliser, car Emmanuel Macron ne veut pas avoir de successeur, car sinon, il perd son pouvoir » avant la fin de son second quinquennat, analyse Philippe Moreau Chevrolet. Mais la difficulté, « c’est que Gabriel Attal devient lui-même un successeur potentiel à Macron et devient lui-même un problème pour l’Elysée ».
« Tout le jeu de Gabriel Attal consiste à exister aux dépens de Gérald Darmanin et il y arrive très bien [sur trois mois, avant les premieres grèves à l’EN]. C’est un gros problème pour Gérald Darmanin qui se retrouve dans une surenchère, une spirale de communication, qui finit par se retrouver contre lui », insiste Philippe Moreau Chevrolet. Le communicant [qui est par définition dans la tête de Darmanin] pense ici à son indigation contre Karim Benzema : «
« Gérald Darmanin ne peut pas sortir gagnant d’un duel contre Benzema, qui est beaucoup plus populaire, c’est un footballeur… » (Philippe Moreau Chevrolet, communicant et lui aussi professeur à Science Po, adepte de …l’écriture inclusive).
« Au fond, Gérald Darmanin a très peur de disparaître et de se faire manger par Gabriel Attal »
« Les deux, Attal et Darmanin, ont besoin d’exister médiatiquement. Mais quand ça devient aussi obscur… La sortie sur Benzema, c’est une erreur. Mais c’est qu’au fond, Gérald Darmanin a très peur de disparaître et de se faire manger par Gabriel Attal. Du coup, il en rajoute des tonnes pour exister, et c’est là qu’on commet des erreurs », imagine Philippe Moreau Chevrolet. Il relève qu’« en termes de communication, on peut attaquer quelqu’un de plus connu, pour essayer de grimper. C’est une stratégie qu’on recommande parfois en tant que communicant [des pratiquants]. Je ne sais pas s’il a voulu faire ça, mais le problème, c’est qu’on parle d’un joueur de foot, donc le niveau est un peu haut ». Un joueur au bout du rouleau et qui sort des radars pour le cimetière des éléphants d’Arabie: pour exister, il va devoir tweeter jour et nuit…
Bruno Cautrès n’exclut pas non plus une concurrence entre ces deux bêtes politiques. Mais le chercheur du Cevipof la tempère. « Ce sont des politiques. Tous les deux sont assez jeunes. Ils existent fortement, donc forcément, à un moment donné, ils seront en situation potentielle de rivalité[ S’ils ne trébuchent pas]. Mais pour le moment, c’est trop tôt pour dire s’il y aura entre eux un combat des futurs chefs », pense le politologue, qui parle donc pour ne rien dire (pour exister?) mais note que « tant qu’on ne sait pas ce qu’il va se tramer au centre droit pour la présidentielle, si les LR iront de leur côté ou pas, s’ils feront un deal avec Edouard Philippe, toute interprétation est anticipée ». Mais « après, ce sont des politiques. Et évidemment, ils y pensent ».
La sécurité des Français réduite à çà ?
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