Après plus de six mois d’audition pour le moins mouvementée, la commission d’enquête de l’Assemblée nationale sur l’attribution du contrôle des fréquences de la télévision numérique hertzienne (TNT) rendra public son avis, ce mardi 14 mai. Ce rapport qui peine à sortir fera-t-il des révélations, sachant que les séances étaient télévisées: ce que l’on ne sait pas déjà sera-t-il à la hauteur des semaines de travail riches en mesquineries et autres tentatives de règlements de comptes.
Ce qui n’apportera rien que nous ne sachions déjà:
- La « maladresse » attribuée à Bataillon chez Hanouna
Le rapporteur Aurélien Saintoul (LFI) a fait tout un flan d’un moment du passage du président Renaissance de la commission d’enquête, Quentin Bataillon, le 2 avril dernier, dans l’émission Touche pas à mon poste de Cyril Hanouna, lui-même auditionné par les parlementaires. Un chroniqueur lui a demandé ce qu’il avait pensé de la prise de parole de Yann Barthès, petit présentateur binaire de Quotidien sur TMC, groupe TF1, également interrogé par la commission fin mars.
Tout en assumant sa venue sur le plateau de « Baba », Quentin Bataillon s’était laissé entraîner à juger « maladroit » d’avoir osé « émettre une critique » de l’attitude désinvolte de Yann Barthès et de « la forme de l’audition ». Il avait toutefois résisté aux appels à démissionner de LFI, mais les révolutionnaires n’ont pas lâché leur prise.
« Quentin Bataillon est disqualifié, il ne peut plus présider cette commission », gronde par exemple le coordinateur des Insoumis Manuel Bompard sur le réseau social X (anciennement Twitter), en accusant le parlementaire Renaissance de « couvrir Hanouna, pourtant sanctionné par l’Arcom » d’une amende pour l’évocation de l’adrénochrome par un invité qualifié de complotiste, après l’accident de voiture de Pierre Palmade. « Cette humiliation de l’Assemblée laissera des traces », tonne sa collègue Clémence Guetté, furie des enfers LFI, en qualifiant, dans le même esprit, l’initiative du député de la Loire de « faute politique ».
Pour le socialiste et défenseur de la langue basque Iñaki Echaniz, par exemple, Quentin Bataillon a « trahi les pouvoirs du législateur », donc « la démission s’impose ». Radical, mais disproportionné.
La députée écologiste Sophie Taillé-Polian, une ex-membre du parti Génération.s – autre élue membre de la commission – a, quant à elle, saisi le déontologue de l’Assemblée pour lui demander la révocation du député Renaissance.
Un accès de totalitarisme à gauche et d’esprit moutonnier dans le camp présidentiel, qui pousse Yaël Braun-Pivet à s’exprimer. Pour mieux amortir led coups, le camp macronien s’est joint au harcèlement de l’extrême gauche. La présidente de l’Assemblée nationale s’est fendue d’un communiqué le 3 avril, en forme de rappel à l’ordre, pour réclamer au député, membre de la majorité, du « discernement » et de la discrétion.
« Tant que les conclusions d’une commission d’enquête ne sont pas rendues publiques (…) son président, comme son rapporteur et ses membres, doivent faire preuve de réserve et de discernement dans leurs prises de position et leurs expressions publiques, afin de garantir la sérénité des travaux et la crédibilité des investigations », explique-t-elle ainsi.
7 mai 2024, nouvelle polémique. Avant le vote des élus, la majorité des membres de la commission refuse de signer le document : soutien à Bataillon ? Probablement avec le discernement et la réserve recommandés par Braun-Pivet, le rapporteur insoumis Aurélien Saintoul avait aussi sec dénoncé une « tentative de censure ». « Les macronistes, main dans la main avec les grands groupes, cherchent à préserver le statu quo et certains grands patrons qui ont décidé de faire main basse sur l’audiovisuel », avait-ilencire accusé lors d’une conférence de presse LFI le jour même.
En effet, seize députés de la majorité présidentielle et plusieurs élus LR demandaient au rapporteur de retirer 19 de ses 43 propositions, en échange de quoi ils consentiraient à signer le rapport. Dans le cas contraire, le document aurait été enterré, sans être rendu public – un cas rarissime.
Finalement, après un long bras de fer, le rapport a été adopté dans la journée du 7 mai. Seules neuf des dix-neuf propositions jugées « inacceptables » par les députés de la majorité doivent figurer comme des propositions personnelles du rapporteur et ne l’engageront qu’en tant que député et non comme rapporteur de la commission d’enquête. Celui-ci n’a pas craint le ridicuke en se félicitant d’avoir remporté une « victoire », « malgré le chantage des macronistes qui menaçaient de le censurer, » assure-t-il.
- Deux conférences de presse pour un seul rapport
Autre étrangeté, le rapporteur et le président, qui ne dissimulent plus leur animosité, tiendront deux conférences de presse distinctes. Le premier restituera les travaux ce mardi 14 mai à 15h30. Le second s’exprimera le lendemain mercredi à 13h30. Cette configuration rarissime en dit long sur les tensions qui ont émaillé les mois de travail de la commission qui, rappelons-le, a d’abord une mission d’information. Elle « aura plus ressemblé à une émission de divertissement qu’à une commission d’enquête » résumait une source parlementaire le 8 mai dernier.
- Ce qui contient (en partie) le rapport
Bénéficiaire de fuites de la gauche, le journal Libération a dévoilé quelques-unes des 47 propositions du rapport. Il évoque notamment un renforcement des pouvoirs de l’Arcom avec des amendes pouvant aller jusqu’à 10 % du chiffre d’affaires en cas de manquements répétés d’une chaîne à ses obligations. Le taux actuel s’élève à 5 %. Pour assurer une plus grande diversité au paysage médiatique, sans toucher au monopole de service public, pas plus qu’aux grands groupes dominants (Bouygues, SFR ou Altice, lequel régresse sensiblement), l’une des propositions prévoit de « revoir la procédure d’appel à candidature et les critères ». Le seul visé est donc le groupe Bolloré: le pluralisme est donc menacé.
Selon Libération toujours, le rapport contient un volet qui vise à clarifier la différence, de plus en plus ténue, entre information et divertissement, et ajouter la mention « programmes d’infotainment », américanisme, le cas échéant. Pourront aussi être mise en place des « normes de présentation » qui prévoient que tout intervenant à l’antenne indique ses engagements politiques.
- Quid des neuf propositions maintenues du rapporteur ?
Quant aux fameuses neuf propositions qu’Aurélien Saintoul a pu sauver, on devrait y trouver : l’interdiction des éditorialistes sur les chaînes d’information en continu, ainsi que la fin des dessins animés le matin expliquait ce lundi 13 mai le président de la Commission Quentin Bataillon. « Ces deux éléments expliquaient des lignes rouges de la majorité présidentielle vis-à-vis de LFI », détaille-t-il.
On sait également que le député LFI a proposé la suppression du modèle payant de Canal+, la mise en place d’une redevance pour les titulaires de fréquences, ainsi que l’arrêt des autorisations sur la TNT de C8 et CNews, 2e chaîne d’information, concurrent et vainqueur de BFMTV sur certains créneaux. En bref, le totalitaire Saintoul veut favoriser le service public et mettre CNews sous le boisseau.
A ses yeux de pervers politique, ces propriétés de Canal+ vivraient « de l’abus » et « du contournement des règles ». Aurélien Saintoul prévoit en outre deux signalements à la justice, après étude de documents et auditions des responsables de chaîne, a-t-il indiqué, sans autre précision.
Hasard du calendrier, les prétendants aux 15 fréquences de la TNT remises en jeu cette année, dont C8 et CNews, doivent remettre ce mercredi leurs dossiers de candidature au régulateur, l’Arcom. L’autorité indépendante se prononcera cet été.
Combien de rapports contradictoires ?
Formé par la communiste Yasmine Boudjenah, puis par Bastien Lachaud, impliqué dans des échanges violents avec les forces de l’ordre lors de la perquisitions des bureaux de Mélenchon, puis mis en examen en 2021 pour « prêt illicite de main-d’œuvre, faux, escroquerie et tentative d’escroquerie », via l’association L’Ere du peuple, dans le cadre de l’enquête sur les comptes de campagne de Mélenchon en 2017, le rapporteur Insoumis Aurélien Saintoul devait rédiger son rapport « seul » d’ici début mai, et « j’imagine qu’il sera marqué », a encore avancé Quentin Bataillon, en souhaitant « sortir de la chasse aux sorcières, de la chasse aux animateurs, aux journalistes, aux chaînes ». En réponse, Aurélien Saintoul a ironisé sur X, en remerciant le président de la commission de « sa démarche expérimentale pour faire avancer » l’exercice parlementaire.