Le général sert-il de fusible dans un domaine régalien ?
Le sénateur Christian Cambon demande des comptes: le conseiller militaire de Macron
Depuis seulement sept mois à la tête de la Direction du Renseignement Miliaire (DRM), le général Eric Vidaud a dû annoncer son départ à ses équipes le mercredi 30 mars. Le général aurait payé des erreurs d’analyse attribuées aux services de la DRM, plutôt qu’aux services des Affaires étrangères et le conseiller militaire de Macron, dans le dossier de l’invasion de l’Ukraine par les forces armées russes.
Quelle est la part de responsabilité de l’Elysee sur un tel sujet régalien (justice, police, ordre public et sécurité, diplomatie et affaires étrangères, défense, monnaie et finances). Depuis le 1er août 2020, le chef de l’état-major est l’amiral Jean-Philippe Rolland, collaborateur militaire particulier du président Macron. La contamination du porte-avions Charles de Gaulle par la maladie à coronavirus 2019 (Covid-19) en avril 2020 aurait pu barrer l’amiral Rolland.
Le général Eric Vidaud, directeur du renseignement militaire (DRM), quitte ses fonctions sept mois après sa nomination. Le président de la commission des affaires étrangères du Sénat, Christian Cambon suspecte une affaire d’Etat dans ce départ du général Eric Vidaud, à dix jours de la fin du quinquennat de Macron. « C’est une affaire grave, un haut responsable militaire qui démissionne à ce niveau, c’est inédit », souligne le sénateur Les Républicains.
Au Sénat, le président de la Commission des affaires étrangères envisage une action via la délégation parlementaire du renseignement (DPR).
Un problème d’analyse et d’organisation des services de renseignement ?
Depuis le début de l’invasion de l’Ukraine le 24 février, le renseignement militaire français est sous le feu des critiques pour sa mauvaise analyse de la situation à la frontière russo-ukrainienne avant le déclenchement du conflit. La DRM avait estimé que la Russie n’attaquerait pas son voisin. Macron a pu croire que sa mission d’intermédiaire de Biden et de l’Otan auprès de Poutine serait couvert de pétales de roses. Avec un prix Nobel de la paix au bout du chemin?
Mais les services de renseignement américains et anglais estimaient le contraire. Selon le journal, l’Opinion, qui site une source interne, il est également reproché au haut gradé « un manque de maîtrise des sujets » et des « briefings insuffisants. » Le départ d’Eric Vidaud s’inscrit également dans « une réorganisation plus globale du service », explique une source proche du dossier. Il était question de proposer un autre poste à l’ancien commandant des forces spéciales pour l’été 2022, mais ce dernier a refusé l’offre du chef d’Etat-Major des Armées auprès de Macron et le Saint-Cyrien de 55 ans a préféré quitter l’armée. Indice d’un non-dit lourd de sens qu’il faut percer.
Le chef d’Etat-major des armées, le général Thierry Burkhard avait regretté publiquement l’erreur d’analyse de ses services par rapport aux services anglo-saxons qui prédisaient le déclenchement d’une guerre. « Les Américains disaient que les Russes allaient attaquer, ils avaient raison. Nos services pensaient plutôt que la conquête de l’Ukraine aurait un coût monstrueux. »
Christian Cambon, le Président de la commission des affaires étrangères le rejoint : « Il y avait des signes. L’armée russe avait massé plus de 150.000 hommes aux frontières de l’Ukraine et déplacé en nombre des poches de sang. Ces éléments posent quand même question. »
Pour le sénateur, les insuffisances du renseignement ne se limitent pas à la guerre en Ukraine, le problème aurait des racines organisationnelles. « Le renseignement ne tient pas à un homme, mais quand il y a une erreur, c’est son chef qui en porte la responsabilité », poursuit Christian Cambon. Pour l’élu, il existe des précédents qui interrogent sur des défaillances. « Au Sénat, à la commission des affaires étrangères, nous nous sommes déjà interrogés sur cette question du renseignement à la suite du coup d’Etat au Mali en mai 2021 et la perte du contrat des sous-marins australiens en octobre, » avant ce deuxième échec.
Vers une possible saisine de la délégation parlementaire du renseignement
Le sénateur exprime également sa préoccupation concernant la qualité des informations transmises au plus haut sommet de l’Etat. « Visiblement, le président de la République ne disposait pas des renseignements adéquats quand il s’est rendu à Moscou, début février pour s’entretenir avec Vladimir Poutine », souligne-t-il.
A la suite de sa rencontre avec le maître du Kremlin le 7 février, Macron avait assuré « avoir obtenu » de son homologue russe qu’il n’y aurait pas « de dégradation ni d’escalade » entre Kiev et Moscou. L’invasion de l’Ukraine par les forces armées russes, le 24 février, avait brisé les espoirs de paix et Macron était passé pour un guignol. « En temps de guerre, la qualité du renseignement est essentielle. Ça n’a pas toujours été le cas jusqu’ici », souligne le sénateur LR.
Face à ces insuffisances des services de renseignement, Christian Cambon envisage une action avec la délégation parlementaire au renseignement (DPR). « Il est encore tôt mais il faut comprendre ce qu’il s’est passé, » explique le sénateur. Toutefois, le sénateur rappelle qu’il « faut faire preuve de prudence sur des dossiers extrêmement complexes. »
Pour mémoire, la DPR est composée de quatre députés et quatre sénateurs. Elle est actuellement présidée par le sénateur du Rhône François-Noël Buffet. La délégation est chargée depuis sa création en 2007 « d’exercer le contrôle parlementaire de l’action du gouvernement en matière de renseignement » et « d’évaluer la politique publique en ce domaine. » Les auditions de la DPR se tiennent à huis clos et sont couvertes par le secret-défense. Les membres de la délégation commune entre l’Assemblée nationale et le Sénat peuvent adresser des préconisations sous la forme d’un rapport adressé au président de la République ou au premier ministre.