La loi sur les jerrycans à la pompe sert-elle les grévistes ou les Français?
Pénurie de carburant ou grève : avons-nous le droit de remplir des bidons et nous prémunir contre l’adversité, voire la combattre ? Alors qu’en octobre 2022, un tiers des stations services françaises étaient concernées par des pénuries, les files s’étiraient pour accéder à la pompe. En cas de panne, est-il possible de remplir un jerrican de carburant ?
Selon la loi, il est autorisé de transporter jusqu’à cinq litres d’essence maximum, mais seulement si notre véhicule est tombé en panne. « Il n’est possible de mettre cinq litres dans un jerrican qu’à condition d’être en panne. Si c’est par précaution, c’est interdit », précisa Me Michel Benezra, avocat en droit routier.
Une marge de tolérance
Mais, face aux difficultés croissantes d’approvisionnement en carburants du fait de la pénurie – suite à l’incurie des pouvoirs publics – ou d’un mouvement social, des automobilistes ont été conduits à contourner la règle en remplissant des jerricans de carburants pour faire des réserves, comme le montrent des vidéos qui circulent sur les réseaux sociaux.
Or, plusieurs préfectures, principalement dans les Hauts-de-France, en région parisienne et dans le sud du pays, n’ont rien trouvé de mieux que de leur compliquer davantage la vie en leur interdisant de remplir un bidon à la pompe. Les automobilistes prévoyants qui refusent de se mettre en difficultés risquent une amende pouvant aller jusqu’à 150 euros.
Pénurie de carburants ? A la mi-octobre dernier, le gouvernement n’a pas cherché à aider les Français dans l’adversité dont il a lui-même accumulé les causes. Il a en effet appelé les préfets à restreindre la vente et le remplissage des jerricans, quoi qu’il arrive. Notre protecteur, Macron, est partisan de la double peine…
Le gouvernement va demander aux préfets d’étendre l’interdiction de la vente et l’achat de carburant dans un jerrican ou un bidon.Une « mesure pour éviter les sur-stockages« , selon Agnès Pannier-Runacher, la ministre de la Transition énergétique. La grève dans les raffineries se poursuivit, accentuant le blocage dans les stations services et le recours aux bidons. Stockage de sécurité, sans exagération culpabilisante (« sur-stockage ») d’un pouvoir qui, entre deux élections, n’aime pas les Français.
Alors que la grève dans les raffineries était reconduite, le gouvernement appelait à sévir contre les usagers, plutôt que les bloqueurs.
Les préfectures les plus zélées furent la Meuse (F), les Yvelines, l’Eure-et-Loir (F), la Seine-Saint-Denis, le Vaucluse (F), les Vosges (F), le Val-d’Oise, le Pas-de-Calais, le Nord et la Somme. 27 sur 107 sont des préfètes (F), mais elles sont plus connues que leurs homologues masculins. Les mesures qu’elles prennent sont souvent plus radicales et anticipent davantage les prises laborieuses de décisions du pouvoir central.
« Eviter les sur-stockages »: le stockage est donc légal
Où commence le sur-stockage ? « Nous allons prendre des mesures pour éviter les sur-stockages qui contribuent à amplifier les difficultés que nous vivons sur le terrain », a ainsi indiqué la ministre de la Transition énergétique, Agnès Pannier-Runacher, un beau soir au micro de Franceinfo, comme si elle était privée de chauffeur.
« Je le redis aux Français : ne faites pas de stocks de précaution, car cela aggrave la situation », a-t-elle exhorté, dénonçant, dans les stations-service, une « surconsommation » qui a étendu, selon elle, les difficultés sur la façade atlantique, jusqu’ici épargnée.
Selon les chiffres du gouvernement, 29,7% des stations-service françaises connaissaient alors des difficultés d’approvisionnement sur un produit au moins. Et c’était la faute des usagers… En vérité, le diesel, qui n’est pas produit en France, n’est pas autant vulnérable que l’essence aux mouvements sociaux intérieurs si son orix venait à flamber les semaines à vevur, ce serait pour financer la pénurie d’essence. Mais ceci est une autre affaire, impliquant aussi Macron qui a milité auprès de l’UE pour le couplage des prix de l’électricité et du gaz.
Reste qu’une marge de tolérance existe aujourd’hui, complexifiant d’ailleurs le maintien dans les clous : la préfecture des Hauts-de-France a par exemple décidé d’interdire le remplissage de jerricans, « sauf nécessité dûment justifiée par le client et vérifiée, en tant que de besoin, avec le concours des services de police et de gendarmerie locaux ». Autrement dit, cherchez le curseur : les dérogations sont possibles, si vous pouvez justifier que vous êtes bien en panne, le tout étant de ne pas abuser de cette possibilité. « Certains pourraient être tentés de remplir plein de jerricans, alors que d’autres en auraient besoin éventuellement », déplore un automobiliste dans le reportage du JT de 20 heures sur TF1.
De manière générale, pour éviter de devoir prononcer des sanctions (et des amendes), les préfectures en appellent « à la responsabilité et au civisme de chacun », ce qui ajoute à la confusion. Et libère du sentiment éventuel de culpabilité.
Dernière précaution : puisque les carburants sont des « matières dangereuses », comme le rappelle finement Me Michel Benezra, « il n’est donc pas possible de transporter l’essence dans n’importe quelle bouteille : il faut des jerricans homologués ». A cette condition, au final, nous faisons à votre guise.
D’autant que, cette fois, dans le contexte actuel, non de pénurie, mais de blocage, il s’agit de contrecarrer le mouvement social.