La priorité accordée à la paix sociale n’exclut pas totalement l’urgence climatique
La taxe sur les superprofits des grandes multinationales pétrolières, c’est non. Les aides versées en fonction des actes environnementaux et sociaux des entreprises, idem. Des aides spécifiques pour les transports collectifs, aux oubliettes. Dans son projet de loi sur les mesures d’urgence contre l’inflation et pour la sauvegarde du pouvoir d’achat ou celui sur la loi de finances rectificative, le gouvernement et sa majorité relative ont laissé de côté la plupart des ressources ou aides qui auraient pu articuler écologie, social et économie, selon les députés et associations écologistes.
Quatre décisions pour lesquelles l’urgence climatique a été en partie sacrifiée sur l’autel de la paix socuale.
Du gaz de schiste US s’amarre au Havre
Depuis fin 2018, du gaz de schiste américain est importé en France. L’information a d’abord interpellé. Pourquoi aussi inscrire la construction d’un terminal de gaz naturel liquéfié (GNL) dans un projet de loi portant sur les mesures d’urgence pour la luttecvontre l’inflation et la protection du pouvoir d’achat alors qu’il… sortira de mer en septembre 2023 ? Cette installation ne part pas de zéro, puisqu’elle s’agrégera au terminal méthanier du port du Havre, ville gérée par Edouard Philippe, patron de Horizons et ancien ministre de Macron. Des navires méthaniers iront chercher du GNL (dont du gaz liquide de schiste), puis s’amarreront à un terminal flottant, sur lequel le gaz liquéfié sera regazéifié avant d’être injecté sur le réseau par une longue canalisation. La quantité importée est conséquente : elle doit fournir 10 % de la consommation de gaz en France.
Le gaz de schiste des Etats-Unis est controversé mais en plein essor. Le groupe français TotalEnergies investit massivement outre-Atlantique et augmente ses exportations vers l’Europe, pour contribuer au remplacement du gaz russe. Cette substitution intervient plus vite que ne le prévoyaient Etats et institutions de l’Union européenne. Après la Pologne et la Bulgarie, c’est l’Allemagne qui vient de subir des coupures d’approvisionnement en gaz russe.
Sauf que ce projet soulève des objections parmi les écologistes qui sacrifient le pouvoir d’chat. Tout d’abord, la construction de ce terminal nécessitera l’intervention d’un microtunnelier pour faire passer sous le grand canal du Havre un tuyau de 3,5 kilomètres, pour raccorder la nouvelle infrastructure au réseau général de gaz. Pour accélérer les choses, le projet sera dispensée des évaluations environnementales traditionnelles, et les éventuelles fouilles archéologiques n’auront lieu «que [s’il est susceptible] d’avoir un impact notable et direct sur le patrimoine archéologique».
Deuxième souci, et non des moindres : ce terminal devrait notamment accueillir du gaz de schiste américain. «Or c’est la pire des énergies fossiles, avec un bilan carbone plus lourd que celui du charbon», a asséné la députée Delphine Batho à la rapporteure du projet de loi, mercredi à l’Assemblée. La pire des énergies, faute d’anticipation, c’est en effet ballot, d’autant que ce fut le cas avec Fessenheim… «Vous écrasez le droit [?] de l’environnement, vous relancez le charbon et vous nous proposez du gaz de schiste étasunien !» a résumé la députée Nupes-LFI Clémence Guetté à propos du terminal du Havre et de la centrale à charbon de Saint-Avold.
Le charbon redémarre à Saint-Avold
«Ce retour au charbon n’est pas une bonne nouvelle.» C’est la rapporteure LREM Maud Bregeon qui le dit, alors que les articles 15 et 16 du projet de loi sur le pouvoir d’achat défendu par le gouvernement autorisent le redémarrage en octobre de la centrale à charbon de Saint-Avold, en Moselle. Dans l’hémicycle le 21 juillet, la députée a justifié cette relance de l’énergie la plus polluante en matière d’émission de CO₂ par la «situation exceptionnelle» liée au soutien des Etats-Unis à l’Ukraine contre la Russie: Washington y trouve son compte….
Les 87 salariés du site, dont une majorité a été licenciée fin mars, se résignant à tourner la page après 74 ans d’activité de la centrale Emile-Huchet, vont devoir, pour certains, être réembauchés. Un trauma régional imposé par les écologistes, marquée par l’histoire de ses mines. Le 26 juin, le ministère de la Transition énergétique et Barbara Pompili ont fait volte-face, annonçant la potentielle reprise «à titre conservatoire» de la centrale. L’aspect temporaire est important : Macron s’était engagé à fermer, au plus tard cette année, les dernières centrales à charbon de France.
La décision est d’autant plus symbolique que le site devait se transformer en nouveau pôle vert, avec des activités liées à la biomasse et à l’hydrogène à partir de 2024. «Le redémarrage du charbon ne doit en rien changer la trajectoire de transition écologique du site», prévient Camille Jaffrelo, porte-parole de GazelEnergie, le groupe qui gère la centrale. En attendant, il faut remettre en état la machinerie qui devait partir à la casse. «10 millions d’euros sont désormais prévus pour les maintenances cet été», précise Camille Jaffrelo. La centrale brûlera 500 000 tonnes de charbon cet hiver, comme un retour en arrière.
Subventionner l’essence plutôt que la sobriété, le pouvoir d’achat plutôt que l’environnement.
La ristourne de 18 centimes sur chaque litre d’essence et l’indemnité carburants pour les travailleurs devaient progressivement être supprimées entre le 1er octobre et le 1er décembre. Mais comme nous le racontions dans Libération ce week-end, des négociations préalables au projet de loi de finances rectificative entre la macronie et LR ont permis de déminer le sujet. Et d’arriver à un compromis entre les deux camps : la remise est prolongée et elle est même portée à 30 centimes. Sans compter que la riche multinationale TotalEnergies s’est engagée à en appliquer une de 20 centimes supplémentaires dans ses stations.
« Problème », cette réduction s’appliquera à tous. Or, selon le Conseil économique, social et environnemental, la précédente remise avait deux fois plus bénéficié aux 10 % les plus riches qu’aux 10 % les plus pauvres. Au lieu d’inciter les gros rouleurs à moins utiliser leur voiture lorsqu’ils le peuvent, tout en aidant les plus défavorisés avec une aide ciblée leur permettant de faire leurs déplacements professionnels ou leurs courses, les macronistes et LR ont préféré une aide qui ne correspond pas vraiment aux souhaits de sobriété avancés par le président Macron ce mois-ci. D’autant plus que pour suivre la feuille de route du Pacte vert européen, une réduction de 90 % des émissions de gaz à effet de serre générés par les transports sera nécessaire d’ici à 2050 par rapport à leur niveau de 1990. Or près des deux tiers des émissions émises par ce secteur en France proviennent des voitures particulières.
Le remplacement du chauffage au fioul attendra
Plus de 3 millions de Français se chauffent au fioul, peu vertueux sur le plan environnemental. Un grand nombre de familles modestes n’ont pas les moyens de changer pour d’autres sources moins polluantes. Or, un amendement présenté par LR vise à aider tous les foyers qui se chauffent à l’aide de cette énergie, peu importent leurs ressources financières. Le tout grâce à 230 millions d’euros ponctionnés sur… des crédits auparavant alloués aux quartiers populaires.
Là encore, le timing interroge. Si l’urgence de faire face à une possible crise énergétique l’hiver prochain s’entend, l’Assemblée et le gouvernement auraient pu profiter de la situation pour abandonner tout ou partie de cette production polluante. «En tant qu’écologistes, nous ne sommes pas favorables à la subvention et à l’investissement dans cette énergie. L’urgence absolue, c’est que les gens sont pris à la gorge», rappelle Adrien Quatennens, député Nupes-LFI, qui regrette en revanche que les crédits aient été pris sur ceux de la politique de la ville. La députée Nupes-EELV Sabrina Sebaihi, qui a voté l’amendement, résume l’écueil : «C’est le gouvernement qui nous met dans cette impasse et nous prend en otage, car ces chaudières auraient dû être changées depuis bien longtemps. On aurait dû faire cet accompagnement pour les aider à sortir de cette précarité énergétique.» Ou comment le manque d’anticipation face à la précarité énergétique a créé l’urgence.