Inauguration retardée, mini débat, déambulation restreinte, affrontements, huées, appels à la démission,…
Les agriculteurs ont exécuté l’ultimatum qu’ils avaient lancé au président Macron lorsqu’ils bloquaient les autoroutes au mois de janvier. Sur les barricades de tracteurs et de bottes de foin, ils avaient mis en garde le chef de l’Etat contre sa visite les mains vides au salon de l’agriculture qui s’est ouvert dans la confusion ce samedi 24 février avec 1h30 de retard à 10h30 alors que les esprits s’étaient échauffés.
Les plus téméraires ont tenté d’escalader les grilles avant d’être rattrapés par les policiers de la Brav-M. Un membre de la Coordination rurale, Patrick Legras, s’énerve : « C’est le Salon de l’agriculture ! Pas celui du président et on est interdit d’y entrer ! C’est honteux ».
Pendant cette longue heure et demie, Macron s’est entretenu avec quelques responsables choisis de syndicats agricoles, en étage, sous une caméra fixe: FNSEA, la Confédération paysanne, les Jeunes Agriculteurs, la Coordination rurale et le Modef (mouvement de défense des exploitants familiaux). Une réunion pour sauver la face, à l’issue de laquelle le président de la République s’est exprimé dans un couloir du hall 1 du parc des expositions, à distance des agriculteurs en colère, derrière six rangs de policiers. Plusieurs centaines d’agriculteurs se sont introduits dans le hall d’accueil et ont échangé des coups dans les allées avec les CRS abondamment déployés à l’intérieur, provoquant ainsi un regain de fureur.
Tensions inédites
Dans le salon, une voix annonce sobrement que cette 60e édition s’est ouverte avec du retard et que le Hall 1 n’ouvrira « qu’ultérieurement » au public. « Pour un salon, c’est un démarrage particulier d’avoir le Hall 1 vide. C’est historique », observe Edith Macke, éleveuse dans le Nord. Il faudra attendre 14 heures passées avant que les visiteurs puissent accéder à la plus grande salle d’exposition où se mêlent vaches, chèvres, brebis, toutes installées sur un matelas de paille. Juste avant l’ouverture au public de cet espace, des agriculteurs bonnets jaunes vissés sur la tête ont tenté de pousser les CRS et les policiers en civil déployés en nombre et paraissant par moments dépassés.
Malgré les sifflets, les huées et les « Macron démission » scandés par les agriculteurs présents depuis l’aube dans le hall 1, Emmanuel Macron, dont c’est le sixième salon en tant que président de la République, a progressé de en bulle dans les allées sécurisées. L’un des éleveurs de la vache égérie, prénommée Oreillette, ne cache pas sa déception.
L’ambiance est inédite, à en croire les habitués du salon. Tom Dumesnil est âgé de 19 ans dont 15 à venir avec ses parents éleveurs à la porte de Versailles. Aujourd’hui il garde un œil inquiet sur ses cinq vaches blanches avec des tâches marron. Elles sont à une dizaine de mètres des manifestants et du barrage précaire de CRS qui disposent de sulfateuses à gaz lacrymo, pour le bien-être animal… « C’est pas au salon qu’il faut faire ce cirque-là. On ne montre pas une bonne image des agriculteurs », estime le jeune homme, non syndiqué. Ses bêtes sont nerveuses à cause des policiers et des agents de sécurité qui se pressent autour d’elles. « Il y en a qui ont dû enlever leurs vaches. On ne sait jamais comment ça peut dégénérer », explique celui qui veut reprendre l’exploitation de ses parents.
Policiers à cheval
A l’extérieur, on peut croiser des chevaux qui ne sont pas exposés, mais montés par les policiers.
Les CRS bloquent les accès à l’étage ou courent toujours dans les allées. « D’habitude, on les voit dehors, pas dedans », gronde Patrick Solignac, éleveur de bovins.
Lui a pu échanger avec Macron : « Je lui ai dit de penser aux éleveurs parce qu’on est un peu les oubliés », rapporte-t-il. Assis sur une botte de foin, un autre éleveur d’Occitanie, observe la déambulation du chef de l’Etat. « Certes, il déambule avec un dispositif de sécurité, mais il le fait », lui reconnaît Nicolas Lassalle.
Le responsable FNSEA de l’Aude est en colère contre les retards de paiement de la politique agricole commune (PAC). « La PAC me doit 180 000 euros depuis octobre », peste-t-il. L’agriculteur vient depuis 25 ans au salon et comprend la colère de ses collègues. Lui-même aimerait que l’on « arrête la mondialisation » et il dénonce « les industriels qui font des plus-values » sur ses produits. Lors de ses échanges avec les éleveurs, le président a pourtant rappelé que « Sans Europe, il n’y a pas d’agriculture ».
Avant d’entamer une déambulation houleuse, sous haute protection policière, Macron s’est entretenu avec des agriculteurs dans le hall 1 fermé au public. Il s’est satisfait d’un mini-débat improvisé suite à l’annulation de la veille après l’invitation provocante de l’organisation écologiste radicale Les Soulèvements de la Terre. Face à lui, des bonnets jaunes siglés Coordination rurale, des casquettes rouges, marque des Jeunes agriculteurs et des vertes floquées de la FNSEA.
La Confédération paysanne était absente. « Tout ce sketch détourne l’attention sur le sujet principal qui est celui du revenu des agriculteurs », a dénoncé Laurence Marandola, sa porte-parole, solidaire des Soulèvements de la terre. « La Confédération paysanne a refusé de fournir 30 noms d’agriculteurs pour remplir les tribunes » du grand débat au Salon de l’agriculture, a annoncé vendredi 23 février Laurence Marandola. Ni grand, ni micro débat: « C’est une mascarade pour mettre en valeur le président de la République et la FNSEA ».
Le chef de l’Etat lâche à nouveau du lest en annonçant que l’agriculture sera reconnue comme « un intérêt général majeur », une mesure demandée par Arnaud Rousseau, président de la FNSEA sur Public Sénat, une réflexion sur des « prix planchers pour préserver le revenu agricole », contre l’avis de son ministre de l’Agriculture Marc Fesneau, ainsi qu’une trésorerie d’urgence. Une rencontre sera organisée avec les syndicats agricoles dans trois semaines, promet aussi Macron.
Malgré ces annonces, la situation ne s’est pas détendue, c’est sous les huées et les appels à la démission que le président a coupé le ruban inaugural du salon… à 13 h 30.
« Nos revendications sont toujours les mêmes, des prix pas des primes », lance Joël Fortin, éleveur retraité depuis trois ans. L’agriculteur, membre de la Coordination rurale et originaire de Vendée, explique les mouvements de foule et les tensions par « l’accumulation de ce mois d’actions ». « Les prix planchers, c’est bien, ça peut aider, mais les annonces ne sont pas encore complètes. On veut une feuille de route précise », demande Edith Mack, éleveuse de bovins dans le Nord.
Inquiétudes persistantes
La colère est profonde. Quentin Arnaldi, un sifflet rouge autour du cou et un tee-shirt marqué « Jeunes agriculteurs » s’inquiète : « Si ça continue, ce ne sera plus le salon de l’agriculture mais un musée parce qu’on sera tous morts ».
Après s’être accordé une pause déjeuner avec les responsables des filières agricoles, Macron a repris sa déambulation dans les allées du hall 4, fermé par les CRS. Contrairement à sa visite du hall 1, celle-ci était donc beaucoup plus calme: un salon Potemkine… Le président de la République a échangé avec des agriculteurs et des visiteurs, récupéré des lettres de doléances et une bouteille de vin de la part d’un viticulteur de Haute-Garonne. « Qui aurait dit ce matin que douze heures plus tard on serait ici en train de travailler ? On fait, on avance et c’est ce que méritent les agriculteurs français », s’est félicité Macron lors d’une conférence de presse en fin de journée, sans un mot pour ses protecteurs policiers. Malgré le calme apparent de la deuxième partie de journée, une visite d’un chef de l’Etat au salon de l’agriculture n’aura jamais été aussi perturbée.
Interpellation de Régis Desrumaux, leader de la FDSEA de l’Oise
Peu après l’ouverture du Salon de l’agriculture à Paris, ce samedi 24 février, le leader de la FDSEA de l’Oise a été interpellé par les forces de l’ordre. Les agriculteurs du département ont alors lancé un appel à la mobilisation, menaçant de bloquer la préfecture à Beauvais et les grands axes routiers.
La visite de Macron tourne au chaos
Des grilles forcées, des policiers visés par des projectiles… Jamais de mémoire de policiers et d’agriculteurs, le Salon de l’Agriculture n’avait vu, pour la venue d’un chef de l’Etat, CRS et gendarmes mobiles s’affronter avec des manifestants dans son enceinte même, donnant l’image d’un immense chaos. Six manifestants ont d’ailleurs été interpellés et huit membres des forces de l’ordre ont été blessés ce samedi, dont deux « un peu plus sérieusement touchés ».
Le préfet a évalué entre « 300 et 400 » le nombre des manifestants vindicatifs, le matin. Concernant l’après-midi, il a revendiqué d’avoir interdit à « 300 militants de la Coordination rurale » l’entrée du hall 4 du Parc des Expositions où était alors le chef de l’Etat, pour les empêcher de venir « à nouveau au contact du président de la République, pour s’en prendre à une autorité publique ». Il a précisé que trois des personnes interpellées l’avaient été pour « violence sur personne dépositaire de l’autorité publique ». Le Parquet de Paris avait relevé un peu plus tôt que ces personnes seraient convoquées ultérieurement par la justice.
« Ce manque d’anticipation est incompréhensible »
Le contexte de grande colère des agriculteurs , qui avaient suspendu il y a un mois leur mouvement sur des annonces présidentielles non tenues, laissait présager une visite compliquée samedi pour le diseur qui a misé sur le déploiement des forces de l’ordre casquées et boucliers au poing pour contenir les agriculteurs en colère. Du jamais vu.
« Jamais, je n’ai vu cela », a affirmé le secrétaire national Alliance des CRS et ancien responsable de groupes de sécurité du président et du premier ministre, Johann Cavallero. « Quand on en arrive là, c’est que la situation est hors de contrôle », estime cet ancien policier. Et pourtant, a noté un connaisseur des visites de personnalités de haut rang au Salon, « ce n’était pas une surprise cette colère, exacerbée par l’invitation des Soulèvements de la terre au débat présidentiel ». « Ce manque d’anticipation est incompréhensible ».
D’habitude, les forces mobiles sont déployées autour de l’enceinte du Salon. « C’est le protocole pour le chef de l’Etat », c’est aussi le cas pour d’autres personnalités politiques comme le Premier ministre, a confirmé Johann Cavallero, confirmant la fébrilité de l’Elysée.
Des CRS en renfort
Tout a dérapé peu après 8h00, alors que Macron était confiné dans une salle au premier étage du parc des expositions de la porte de Versailles avec des représentants syndicaux agricoles. A ce moment-là, des agriculteurs de la FNSEA et de la Coordination rurale ont forcé les grilles d’entrée du salon. Grilles gardées par la sécurité privée du Salon, comme l’ont assuré Johann Cavallero et deux sources policières. « Depuis plusieurs années, la responsabilité de la garde des grilles est confiée aux personnels de sécurité privée », a affirmé le responsable Alliance des CRS.
Quatre compagnies de CRS étaient mobilisées depuis 06h00 du matin aux abords du Parc des Expositions, soit quatre fois 160 fonctionnaires actifs, 640 CRS. Et deux autres sont venues en renfort dans la matinée. Il y avait aussi des compagnies de gendarmes mobiles. Deux forces qui ont l’habitude de travailler ensemble dans les opérations de maintien de l’ordre.
« Il y a eu un loupé avec le franchissement des barrières d’entrée. Après, un peu tout le monde a fait du maintien de l’ordre à l’intérieur. Et là s’est posé un problème de coordination entre les forces », analyse Johann Cavallero.
Des animaux en panique
Samedi, il y avait des policiers en civil de la préfecture de police de Paris, des policiers de la CRS 8 (l’unité spécialisée dans les opérations de lutte contre les violences urbaines et autres), des CRS, des gendarmes mobiles, des forces de l’ordre à cheval…
« Les CRS avaient interdiction d’utiliser des gaz lacrymogènes à cause des animaux », ont affirmé plusieurs membres des forces de l’ordre. Néanmoins, des agriculteurs ont fait état sur des chaînes d’information de l’utilisation très brève de lacrymogène. Pour le préfet de police, les forces de l’ordre n’ont pas utilisé de gaz lacrymogène, « à une exception près, celle d’un gendarme mobile, projeté au sol, pris à partie, qui, pour se dégager, a fait usage très brièvement d’une gazeuse à main ».
Pendant plusieurs heures, de façon intermittente, il y a eu des agriculteurs poussant les forces de l’ordre qui elles-mêmes les repoussaient vivement. « C’est de la poussette. On ne peut pas faire autre chose dans un milieu clos tel que le Salon », a expliqué le syndicaliste policier, ajoutant que si les policiers avaient mis leurs casques, c’était en protection d’éventuels projectiles que des agriculteurs auraient pu lancer(mottes de terre, œufs, etc..).
Jamais une inauguration du Salon par un chef de l’Etat n’était intervenue plus de quatre heures après l’horaire prévu, avec le Hall principal, celui des animaux, fermé au public à l’ouverture. « Samedi, la tension était à un niveau paroxystique », a résumé un habitué du Salon.