Macron et l’école : il voudrait remettre les valeurs républicaines au cœur de l’école 

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Dans le long entretien qu’il accorde à l’hebdomadaire Le Point, Macron martèle sa volonté de réintroduire les valeurs républicaines au cœur de l’école, face à « une génération qui a perdu ses repères ». Pour cela, il souhaite notamment « refondre » les programmes d’histoire et d’instruction civique et morale, afin de leur donner plus de sens et plus de place. « Chaque semaine, un grand texte fondamental sur nos valeurs sera lu dans chaque classe puis débattu », dit-il. Des idées auxquelles Iannis Roder, 52 ans, professeur d’histoire-géographie en collège de Seine-Saint-Denis, où enseignent des agrégés (bien que territoire soi-disant abandonné de la République) se montre plutôt favorable. Participant au conseil des sages de la laïcité et responsable des formations au Mémorial de la Shoah, ce directeur de l’Observatoire de l’éducation de la Fondation Jean-Jaurès collabore régulièrement au supplément Education du journal Le Monde.

Il alerte depuis des années sur la défiance des jeunes envers les institutions et le modèle républicain. Dans son livre La Jeunesse française, l’école et la République (L’Observatoire, 2022), il déplore notamment la montée du sentiment religieux islamique à l’école et l’autocensure de certains enseignants face à des élèves « qui n’acceptent plus d’entendre certaines vérités ». Dans ce contexte, la volonté du président de remettre les valeurs républicaines au cœur de l’école est, selon lui, « plutôt une bonne chose ». Mais cela ne pourra pas se faire, explique-t-il, sans formation spécifique des enseignants sur ce sujet, « quelle que soit leur discipline », ni sans l’allègement des programmes.

Le Point : Pensez-vous, à l’instar d’Emmanuel Macron, que l’école est passée à côté de sa mission de transmission des valeurs républicaines ?

Iannis Roder : Je le crois, malheureusement. On l’a vu au moment de l’assassinat de Samuel Paty. Quand vous avez des professeurs qui vous expliquent, au moment de lui rendre hommage, que ce n’est pas leur boulot de parler de cet attentat aux élèves, eh bien ils se trompent. Il faut relire le Code de l’éducation. Selon l’article 111-1, la mission de l’école est double : transmettre des connaissances, mais aussi faire partager aux élèves les valeurs de la République. Et je crois qu’un certain nombre de professeurs – parce qu’ils sont obsédés par la nécessité de terminer les programmes, en proie à des classes difficiles, pressurisés par les parents, et sans doute pas suffisamment formés sur ce sujet – l’ont oublié. C’est dramatique, car ce qui en découle, c’est l’absence de construction de commun, c’est la voie ouverte à l’archipélisation de la société décrite par Jérôme Fourquet. Pour moi, il est urgent de reconstruire ce destin commun, de « refonder la nation », comme le dit le président de la République. L’école a un rôle essentiel à jouer dans cela, et le président l’a bien compris en citant Ferdinand Buisson qui appelait à « faire des Républicains ».

Les enseignants sont-ils suffisamment formés pour cela ?

Non et c’est la raison pour laquelle ils se sont trouvés tellement démunis pour expliquer ce qui s’était passé à leurs élèves, au moment des attentats de 2015 puis de l’assassinat de Samuel Paty. Les professeurs doivent être formés sur ces sujets. C’est le sens du grand plan de formation sur la laïcité et les valeurs de la République lancé en 2021 par Jean-Michel Blanquer pour tous les agents de l’Éducation nationale. Ce n’est sans doute pas suffisant, mais c’est important.

La mission de l’école est double : transmettre des connaissances, mais aussi faire partager aux élèves les valeurs de la République

Au-delà de la formation des enseignants, existe-t-il encore aujourd’hui à l’école un espace permettant d’expliquer aux enfants ce qu’est la République, ses fondements et ses valeurs ?

Oui, bien sûr ! Les cours d’histoire, de lettres, d’enseignement moral et civique ou de philosophie, par exemple, offrent une multitude d’occasions de parler de ces sujets. Et de le faire de manière bien plus efficace qu’en faisant apprendre aux élèves le nombre de députés au Parlement, le nombre de sénateurs, etc., qui peinent à intéresser.

Faut-il enseigner l’histoire de manière chronologique, comme le souhaite le président de la République ?

A vrai dire, l’histoire est déjà beaucoup enseignée de manière linéaire. Si l’idée est d’apporter plus de lisibilité, pourquoi pas. Mais ce qu’il faudrait surtout, c’est permettre aux enseignants de donner du sens à l’histoire, de mettre en perspective les événements, de les problématiser, de les rapprocher de ce que les élèves vivent aujourd’hui. Cela permet non seulement de les intéresser davantage et facilite l’apprentissage, mais c’est aussi une manière de leur faire comprendre comment s’est construit leur pays, ce qui est à ses fondements, quels sont ses principes et ses valeurs, et pourquoi il est important de les maintenir vivantes. Le problème est que tout cela demande du temps. Or, les programmes sont trop lourds. Pour les terminer, il faut faire cours à toute vitesse, ce qui est incompatible avec la mise en perspective des faits, nécessaire à la construction d’une pensée logique et à la transmission des valeurs républicaines.

Il faut redéfinir les programmes pour donner aux élèves le temps d’apprendre à penser

Il faudrait donc réduire les programmes d’histoire ?

Il faut savoir ce que l’on veut : des enfants qui ingurgitent des connaissances et sont capables d’en restituer seulement le quart six mois plus tard, ou des enfants dotés de connaissances, capables de les mettre en perspective, et de tenir un raisonnement… Si on penche pour la deuxième option, il faut redéfinir les programmes pour donner aux élèves le temps d’apprendre à penser.

Il semble difficile dans ces conditions de faire de l’enseignement moral et civique « une matière essentielle », comme le souhaite Macron…

Effectivement, la demi-heure hebdomadaire d’enseignement moral et civique au collège sert souvent de variable d’ajustement aux professeurs d’histoire-géographie pour combler le retard dans les programmes. À moins de trouver des heures supplémentaires – ce qui nécessiterait de sacrifier des heures dans d’autres matières –, je ne vois pas comment donner plus de place à cette discipline. Mais il existe en réalité mille occasions d’aborder ce sujet, en histoire comme dans les autres matières. Lorsqu’on parle de la Révolution française, on parle de République, de démocratie, de citoyenneté. On fait de l’enseignement moral et civique. Idem lorsqu’en cours de lettres ou de philosophie, les élèves abordent les textes des Lumières. Mais cela peut aussi se faire en expliquant le caractère universel et acceptable par tous de la science en cours de SVT. Ce qu’il faut, c’est que les enseignants soient conscients et convaincus de leur rôle à jouer dans la transmission des valeurs de la République. Et bien sûr les former, pour qu’ils aient le réflexe de mettre ce qu’ils enseignent en perspective, pour que leur discours fasse sens auprès des élèves, et ce, quelle que soit leur discipline.