Une séquence plus proche du « clip publicitaire » que de l’entretien politique, à cinq mois de l’élection présidentielle.
Des morceaux choisis « ronds et rassurants » du quinquennat. Après une allocution aux Français début novembre centrée, sur la reprise épidémique et le rappel vaccinal, une conférence de presse sur les enjeux de la présidence française de l’Union européenne, la semaine dernière, et les déplacements hebdomadaires en France de ces dernières semaines – moins pour voir et entendre les Français que pour se faire voir et s’écouter parler – Macron-le narcissique s’est livré à une séquence plus politique, plus populiste aussi, mercredi soir, en répondant pendant deux heures aux questions de deux doublures des présentateurs vedettes de l’actualité, Audrey Crespo-Mara et Darius Rochebin, sur TF1 et LCI. Durant cet entretien – pourtant baptisé « Où va la France ? » : une projection vers les élections présidentielles d’avril -, il a surtout été, paradoxalement, question du bilan du quinquennat. On peut aisément comprendre que ce type d’incohérences ait pu le faire refouler des concours d’entrée (tentés mais échoués) à l’ENS où ils n’ont pas pris les vessies de ses « en même temps » pour des lanternes de pensée complexe. Affaire Benalla, petites phrases, crise des gilets jaunes, épidémie de covid-19… le chef de l’Etat, installé à domicile avec ses obligés sous la verrière de la salle des fêtes de l’Elysée, a notamment imposé à à ses deux faire-valoir une sélection de nombreuses séquences vidéo issues des cinq années écoulées.
Pour Public Sénat, celui qui, en août dernier objectait déjà qu’ « on ne vend pas un Président comme on vend une paire de Nike », Philippe Moreau Chevrolet, président de MCBG Conseil, a décrypté ce format inédit dans l’histoire des entretiens présidentiels..
Quel regard portez-vous sur cet entretien de deux heures ?
La volonté de l’Elysée, c’est manifestement de produire un long clip publicitaire. C’est rond, c’est rassurant, on est dans une pub Herta [ambition de chipolata halal pour les Français] ! Macron donne à voir une image apaisante, il offre une contre-programmation par rapport au bruit de la campagne électorale, et notamment au buzz que fera sûrement Eric Zemmour, jeudi, chez [le macronard] Cyril Hanouna (le polémiste [l’essayiste, pour être impartial] et candidat à la présidentielle sera invité dans l’émission incontrôlée « Face à Baba » sur C8 pour débattre avec le réalisateur Mathieu Kassovitz [film La Haine] et le journaliste Aymeric Caron, écologiste intolérant et agressif, façon Sandrine Rousseau, féministe EELV en pantalons de jeune musulmane « libre » des quartiers) [deux contradicteurs virulents engagés à l’extrême gauche islamo-gauchiste, ce qui promet un carnage : le candidat seul sera accusé de violence]. Il cultive le contraste [tel un Zemmour qui, lui, s’inscrit en faux contre la doxa universitaire marxiste et la presse soucieuse de rentrées publicitaires en suivant l’idéologie ‘mainstream’, tandis que le locataire en fin de bail à l’Elysée, roule pour lui-même] pour ne pas disparaître face aux autres candidats, déjà lancés dans la bataille présidentielle.
Le chef de l’Etat est apparu très à l’aise dans l’exercice [à la maison], rarement mis en difficulté par ses interlocuteurs [ ! ].
Je vous le dis, un glissement s’est opéré, nous ne sommes plus dans un registre journalistique mais publicitaire. [Et le groupe Bouygues y participe, lui dont le journaliste (Gilles Bouleau) a empêché Zemmour de dérouler son programme] Emmanuel Macron n’a aucun contradicteur face à lui, il dialogue avec lui-même [c’est un monologue devant son miroir]. L’entretien a été enregistré le week-end dernier, on peut voir qu’il y a eu des coupes, notamment lorsqu’il est question des gilets jaunes. C’est un produit ultra-lissé, qui a dû coûter très cher. L’invité apparaît en majesté au milieu du décorum de l’Elysée. Ces gros plans sur son visage, durant ses silences ou lorsqu’il apparaît ému [il a pris des cours d’empathie de théâtre avec la duègne]… Je n’ai pas le souvenir d’avoir déjà vu ça dans une interview politique. Finalement, c’était une version d’ « Ambition intime » sans Karine Le Marchand, taillée sur mesure [par le chef de l’Etat et] pour le chef de l’Etat. Si les autres candidats à la présidentielle peuvent bénéficier dans les médias d’un traitement similaire, pourquoi pas ? Mais si ça n’est pas le cas, je comprendrai qu’ils dénoncent une rupture d’égalité [les mauvais traitements de TF1 sur Zemmour sont un précédent illustrant d’ores et déjà cette rupture].
On serait tenté d’opposer cette séquence à l’entretien, beaucoup plus pugnace et agité, qu’il avait accordé en avril 2018 à Edwy Plenel et Jean-Jacques Bourdin. Comment expliquer un tel revirement chez Emmanuel Macron, qui est souvent apparu bon débatteur ? [Il apparaît meilleur dans la facilité ?]
Un quinquennat s’est écoulé entre les deux séquences. L’exercice du pouvoir explique ce basculement, ce changement de registre et de ton. Emmanuel Macron est devenu une institution. Il n’est plus dans la conquête du pouvoir, mais dans une gestion du risque, celui de le perdre. C’est aussi la raison pour laquelle il a autant été sur la défensive. Sur le fond, cet entretien est pratiquement vide. Il a passé son temps à justifier ses réformes, à expliquer pourquoi il a fallu dépenser autant d’argent. Le problème, c’est qu’en l’absence de contradicteur, sans personne pour lui poser les vraies questions, ses réponses ne sont pas très intéressantes. [il flirte avec le néant, un constat de Zemmour…] Jeudi dernier, parce qu’il était face à Eric Zemmour, son ministre de l’Economie, Bruno Le Maire, a été bien meilleur dans la défense du bilan [sans être convaincant: le ministre a été mis dans l’embarras (face à un interlocuteur qu’on disait incompétent sur les sujets d’économie) et il s’est retranché dans l’invective, voire l’insulte].
Nous sommes dans un moment charnière du quinquennat. La candidature d’Emmanuel Macron fait peu de doute, mais, comme ses prédécesseurs avant lui, à ce stade de son mandat, il continue de faire durer le suspense. Toutefois, peut-il déjà espérer capitaliser avec ce type de séquence ?
Le retour en arrière sur le quinquennat écoulé lui permet surtout d’adresser une piqûre de rappel à ses électeurs. Peut-être essaye-t-il aussi d’élargir sa cible en s’adressant à ceux qu’effraie la violence du monde extérieur [s’est-il résolument placé sur la pente fatale d’une politique de la peur déjà amplement exploitée à propos de la pandémie de coronavirus?]. Pratiquement toutes les images des cinq années écoulées qui ont été diffusées durant l’émission étaient violentes, anxiogènes. A rebours, en plateau, vous étiez dans un cocon, avec ces fauteuils, ces voix graves et douces [une démarche binaire de bipolaire qui peut toutefois rebuter le dit-électeur et l’inquiéter]. Par moments, j’ai presque eu l’impression d’être devant une vidéo d’ASMR ! (méthode de relaxation dont le principe repose sur l’émission de certains sons, généralement des paroles chuchotées: avant-goût d’une méthode de gouvernance fondée sur le fétichisme sonore ! Promesse d’envoûtement holistique du shaman Macron des prochaines cinq années… ) Mais ce type d’exercice peut aussi provoquer le rejet par l’ennui [et le sentiment d’une dérive sectaire de l’Elysée] : Emmanuel Macron risque de banaliser son propos et son image. Ce flottement s’explique aussi parce que, précisément, le plus dur pour lui est de gérer à la fois le calendrier présidentiel et le calendrier électoral.
[La thérapie par le langage ne suffit pas…]