La déontologie professionnelle bafouée
Mercredi 20 avril avait lieu à 21h sur TF1 le débat du second tour opposant le président de centre gauche, Emmanuel Macron, et la candidate du Rassemblement National, Marine Le Pen. La presse étrangère s’est intéressée à ce qui promettait pourtant d’être soporifique, avant la nuit de cauchemars annoncée pour dimanche prochain. Le journal italien Corriere della Sera a retrouvé le Macron « arrogant », « plus sérieux » ou « plus grave », selon la traduction proposée du Guardian (si on croit Public Sénat sur parole mais, vérification faite, ce jugement est introuvable… et l’article factuel ne pêche que par son angle macronien et son compte-rendu lacunaire), face à une Marine Le Pen « adoucie » ou « sereine « , pour le journal espagnol El Pais. Selon l’orientation politique des journaux, les commentaires sont sans surprise: imagine-t-on, en effet en France, que France Inter ou Libération fonde pour Marine Le Pen ou L’Humanité et Mediapart pour Macron?
« Certains avaient prédit un débat au goût de tisane. Emmanuel Macron et Marine Le Pen ayant chacun plus à perdre qu’à gagner à quatre jours du deuxième tour d’une présidentielle qui reste incertaine, l’un et l’autre seraient sagement restés en fond de court pour ne pas prendre le risque d’une volée hasardeuse. Il n’en a rien été », note à l’occasion du second set la journaliste du quotidien belge Le Soir, social-démocrate. Selon elle, les deux finalistes de la présidentielle ne se sont pas épargnés avec un président qui s’est montré « plus mordant », ajoute-t-elle. Comprendre sur la défensive mais agressif. Une analyse similaire à celle du journal italien de centre-droit la Stampa, qui semble même avoir terminé, le dépouillement: « Macron gagne l’affrontement contre Le Pen »…
Un Macron dominant le débat, d’après la presse allemande
Un jugement majoritairement partagé par la presse allemande. La plupart des journaux soulignant l’attaque portée par Macron à Le Pen sur sa soi-disant dépendance à Poutine : « Macron a réussi (?) à démontrer la politique russe de Le Pen, » assure péremptoirement le quotidien libéral allemand Frankfurter Allgemeine Zeitung.
« Dans une volte-face surprenante [seulement pour quiconque est mal informé ou fait de la désinformation abusant ses lecteurs], Le Pen s’est d’abord posée [sic] en défenseure de l’Ukraine [dès 2014, preuve à l’appui, ci-dessus]. Elle a rappelé qu’elle soutient les sanctions contre la Russie, les livraisons d’armes et l’aide financière à Kiev. Elle a explicitement mentionné son ancien compagnon Louis Aliot qui, en tant que maire [RN] de Perpignan, s’était rendu en Pologne en autocar pour offrir un foyer temporaire à des réfugiés ukrainiens dans le sud de la France », détaille le quotidien allemand Frankfurter Allgemeine Zeitung, disant tout et son contraire.
Et le quotidien malhonnête d’ajouter, à charge : « Mais Macron a rappelé à Le Pen qu’elle avait reconnu en 2014 l’annexion de la Crimée et le résultat du référendum organisé par Moscou. Elle aurait également contracté en 2015 un prêt d’un million d’euros auprès d’une banque russo-tchèque, ce qui l’aurait placée sous la dépendance de Vladimir Poutine,» selon son adversaire, l’ex-banquier Macron. Mais le journal de Frankfort passe sous silence la réplique railleuse de Le Pen accusant les banques françaises de barrage anti-démocratique pro-macronien, en lui refusant tout prêt.
Autre journal assoupi pendant la production de preuve par Le Pen, le journal der Spiegel va même plus loin, titrant simplement : « Le service est assuré. Et avantage à Macron ».
Une Marine Le Pen plus « modérée » et un Emmanuel Macron transformé en « professeur »
Toutefois, si Macron a dominé le « contenu et la dialectique », selon le journal espagnol de centre gauche El Pais, celui-ci ajoute que le président sortant n’a pas réussi à la mettre « hors-jeu », comme il y a cinq ans. « Le Pen a résisté. Elle a adouci son image, elle est plus rompue à l’exercice », note-t-il, a contre coeur, estimant que le président sortant n’a que peu rappelé l’origine du parti de son adversaire :
« Bien qu’elle soit la candidate de l’extrême-droite, le Président a renoncé à lui appliquer le qualificatif [contre-productif et inexact]. Il a préféré remettre en question sa compétence à gouverner », rapporte El Pais, ce qui ne peut être encore démontré.
Le journal de centre droit italien, le Corriere della Sera, note bizarrement que la candidate a tenu presque deux heures sans prononcer une seule fois les mots « immigration » ou « Islam », alors que le thème ne devait être abordé qu’en deuxième heure… Omettant de valoriser sa maîtrise et sa discipline, il s’étonne et raille, estimant que : « La mutation du Front National au Rassemblement national, de l’extrémisme de Jean-Marie Le Pen à la néogentillesse de sa fille Marine, apparaît enfin complète, mais arrive probablement trop tard », tandis que le Président sortant a moyennement réussi sa mission : « Macron avait une tâche fondamentale : ne pas ressembler au jeune homme [un quadra est un homme jeune] arrogant qui maltraite une gentille dame. Il n’y est parvenu qu’en partie : tour à tour avachi ou las sur sa chaise et agité, regard un tantinet suffisant, après une heure et quarante minutes, il ne s’est plus retenu et a répété « Madame Le Pen, Madame Le Pen, Madame Le Pen… », secouant la tête, comme un professeur mécontent de l’élève, comme d’habitude », décrit-il.
Un débat entre « arrogance » et « dégoût »
Le Washington Post, centre gauche, partage cette impression d’attitude manquée de la part du président sortant : « Macron a peut-être eu le plus grand défi à relever. Sa position de titulaire l’a laissé plus exposé aux critiques qu’il y a cinq ans. Il devait défendre son bilan [ce qu’occulte le journal démocrate] et mettre en lumière les faiblesses potentielles de la candidate, ce que le quotidien ne manque pas de faire, citant ses propositions controversées en matière d’immigration, mais soutenues par un quart des électeurs. Mais il devait également trouver le juste milieu entre réfuter les critiques de Marine Le Pen et ne pas donner l’impression d’ignorer les thèmes qui comptent pour les électeurs. Il n’a pas toujours réussi », conclut le journal américain.
De son côté, le journal allemand Zeit Online Startseite, libéral de gauche, discerne quant à lui des failles dans la pondération de Marine Le Pen, alors que Macron est le premier à perdre ses nerfs en accusant sa rivale de mensonge et en versant dans la trivialité: « mais vous rigolez » !
Le medium anglais, The Guardian, centre gauche intello-bobo, va plus loin dans la critique de ce débat : « Il s’agissait d’un match entre deux candidats à la présidence, l’un inspirant la peur et l’autre le dégoût. [Au lecteur de mettre, sans se tromper, un visage à chacun]. Lors du débat très attendu de mercredi soir, Marine Le Pen a voulu montrer que les Français ne doivent pas avoir peur de lui donner une chance de diriger le pays, tandis qu’Emmanuel Macron était déterminé à fixer son image d’homme que les Français aiment détester. »
Et, dédicace aux journalistes du Guardian et leurs lecteurs: