Ukraine: quand Macron se vantait d’avoir amorcé la désescalade

Zelensky, instrumentalisé par Biden contre Poutine

Le président US Joe Biden recevant le président ukrainien Volodymyr Zelensky (Maison Blanche, le 1er septembre 2021): cinq mois plus tard, l’Ukraine était envahie

Début février 2022, la mission diplomatique atlantiste de Macron s’était achevée à Berlin. De retour de Moscou et de Kiev, le président-tournant de l’UE dîna avec le chancelier allemand Olaf Scholz et le président polonais Andrzej Duda, pour rendre compte de sa mission de paix pour la sauvegarde de l’Ukraine et de l’Europe. Résultat, la guerre a éclaté le 26 février et, trois mois plus tard, malgré la guerre et les représailles russes sur la France, Macron se prend toujours pour notre « protecteur »…

Emmanuel Macron en était convaincu, début février: sa tournée diplomatique en Russie et en Ukraine a permis d’amorcer la désescalade dans le conflit ukrainien. Le croit-il encore? C’est fort probable. Pourtant, à Moscou, le président russe Vladimir Poutine n’avait pris aucun engagement sur un éventuel retrait des troupes russes massées autour de l’Ukraine. A Kiev, le président français rencontra son homologue showman ukrainien pendant 3 heures. Volodymir Zelensky évoqua un prochain sommet en format Normandie, un format qui regroupe son pays l’Ukraine, la Russie, la France et l’Allemagne. Macron était arrivé en fin de journée à Berlin pour rendre compte de sa tournée au chancelier allemand Olaf Scholz et au président polonais Andrzej Duda. Les trois dirigeants du « Triangle de Weimar » veulent afficher leur unité face à Vladimir Poutine. Et, le soir, le chef de l’Etat français appela à un « dialogue exigeant avec la Russie«  pour obtenir la paix en Ukraine. 

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Macron, rattrapé par sa vantardise

Après 5h30 d’entretien, Vladimir Poutine et Emmanuel Macron avaient donné une conférence de presse commune, un lundi soir, largement dédiée à la crise ukrainienne. Toujours novice en diplomatie malgré ses errances tonitruantes au Liban où il n’a rien appris, le chef de l’Etat s’était dit «rassuré» par son homologue russe qui aurait, lui, promis de tout faire «pour trouver des compromis».

Vladimir Poutine a été le premier à prendre la parole et à répéter ses exigences pour amorcer une désescalade des tensions en Ukraine à la condition de «la non-expansion de l’OTAN, du non-déploiement des systèmes de combat sur la frontière russe», a redit le président russe.

Or, l’OTAN, aux mains des USA de Joe Biden, président septuagénaire figé dans la « guerre froide », recherche l’écrasement de l’ex-URSS. «En repositionnant son infrastructure militaire à côté de la frontière russe, l’OTAN » bloque toute amorce de désescalade et « se croit capable de nous faire la leçon, où et comment nous devons déployer nos forces, et exiger de nous de ne pas organiser les manœuvres prévues», a poursuivi Vladimir Poutine dénonçant «une politique russophobe». En travaillant à l’installation de l’OTAN aux frontières russo-ukrainiennes, avec la complicité de Zelensky, président ukrainien, à qui Biden fait miroiter une possibilité d’adhésion, «l’OTAN est une menace contre la Russie», a-t-il souligné. Une agressivité antérieure à l’invasion russe de l’ancienne république soviétique.

«L’OTAN est une menace contre la Russie, » explique Vladimir Poutine

De son côté, en affichant l’illusion de sa capacité personnelle à convaincre par le verbe, Macron s’est montré à la fois présomptueux et confiant sur la poursuite du dialogue. «Le président Poutine m’a assuré de sa volonté de maintenir la souveraineté et l’intégrité territoriale de l’Ukraine», a-t-il clamé, incapable de réaliser qu’en apparaissant clairement comme petit télégraphiste de Biden, il perdait toute crédibilité.

Quelle confiance accorder à un président français ambigü dont l’ex-ministre de la Défense du président Hollande et ministre de l’Europe et des Affaires étrangères – et aussi du commerce extérieur exposé aux représailles russes – , l’ex-socialiste (élu à la tête d’une alliance PS-PCF-PRG-Les Verts-UDB lors des élections régionales de 2004), Le Drian, se montre menaçant, rappelant que l’OTAN est une « alliance nucléaire ».

« Une déclaration forte, » applaudit la presse hexagonale. Sur le plateau de TF1 le jeudi 24 février, ce Le Drian répliquait à l’évocation par le président russe aux nations qui s’opposent au conflit du risque de « conséquences que vous n’avez encore jamais connues ». Une phrase que certains ont interprétée comme une menace de recours à l’arme nucléaire.

« Je pense que Vladimir Poutine doit aussi comprendre que l’Alliance atlantique est une alliance nucléaire », avait rétorqué le ministre des Affaires étrangères de Macron.

Macron, interlocuteur internationnal démonnaitisé

Proximité toute relative…

Diplomate agressif au Liban et en Russie, Macron a également qualifié le président russe de « dictateur » dans une sortie particulièrement disqualifiante. Le teckel a également promis des sanctions économiques qui allaient frapper « au cœur » la Russie, donc son peuple. Une solution qu’il estimait alors plus « efficace sur le long terme » qu’une intervention militaire en Ukraine.

Siège du KGB à Minsk

Persuadé de son efficacité efficience (langue macronarde empruntée à l’américain) Macron assura avoir noté des «éléments de convergence» avec la Russie et indiqué que les discussions devaient désormais se poursuivre entre les différentes parties. «Nous devons construire l’Europe avec la Russie», avait-il lancé, péremptoire, avant d’insister sur la nécessité de mettre en oeuvre les accords de paix de Minsk, qui avaient pour objectif de mettre fin au conflit qui ravageait l’Est du pays: les deux (Minsk I, en 2014 et Minsk II, en 2015, entre l’Ukraine et ses séparatistes prorusses du Donbass) ou le dernier d’entre eux ? En effet, ils prévoyaient aussi une réforme constitutionnelle en Ukraine, des élections à Donetsk et Lougansk, les deux régions tenues par les séparatistes russophones et orthodoxes. Et il était prévu que celles-ci restent sous pavillon ukrainien. Avancer sur le terrain de ces accords pourrait constituer une porte de sortie à la crise, espérait pourtant l’Elysée qui ne doute jamais de rien, car Poutine n’était pas partie prenante à Mink, en Biélorussie, et où se dresse encore le siège monumental du KGB et Moscou n’est en rien engagé par ces protocoles. Pour la Russie, ils sont nuls et non avenus.

Le petit grand homme français a rendu visite au président ukrainien Volodymyr Zelensky.

Avant cette conférence de presse, Joe Biden s’était entretenu avec le chancelier allemand Olaf Scholz. Si la Russie envahit l’Ukraine, « il n’y aura plus » de gazoduc Nord Stream 2, a averti le président amércain.

Dans les premières minutes de son dialogue avec Poutine, Macron avait dit cet après-midi sa volonté d’«amorcer» une «désescalade» dans la crise russo-occidentale au sujet de l’Ukraine. Son homologue russe a de son côté salué les efforts français « pour résoudre la question de la sécurité en Europe. »

Sur Twitter, Macron avait dévoilé une vidéo montrant le début de la conversation entre les deux hommes, placée sous le signe du tutoiement.

Après plusieurs échanges avec ses homologues américain, allemand, ukrainien ou encore polonais, Macron avait choisi de prendre les devants en se rendant directement au Kremlin.

Premier chef d’Etat occidental à rencontrer en personne Vladimir Poutine depuis le début de la crise, Macron souhaitait avant tout empêcher une incursion russe en Ukraine qui mettrait le feu aux poudres.

La question de la sécurité russe «légitime»

«Il faut être très réaliste. Nous n’obtiendrons pas de gestes unilatéraux mais il est indispensable d’éviter une dégradation de la situation avant de bâtir des mécanismes et des gestes de confiance réciproques», avait-il commenté dimanche auprès du JDD.

Selon lui, «l’objectif géopolitique de la Russie aujourd’hui n’est clairement pas l’Ukraine, mais la clarification des règles de cohabitation avec l’Otan et l’UE».

Macron se rêva dans un premier rôle

Le président Macron a reçu son homologue russe Vladimir Poutine dans sa résidence d’été
pour un entretien bilatéral avant le sommet du G7, en août 2019.

Hyperactif sur la scène diplomatique pendant plusieurs semaines, le chef de l’Etat voulut redorer son image, ressortant sa stratégie de l' » en même temps  » pour redresser la position de la France – ni pro-Kremlin, ni totalement atlantiste – et prolonger son rôle de médiateur, au titre de président-tournant de l’UE.

Vladimir Poutine, qui a déjà échangé trois fois avec le président français depuis le début de la crise, semblait voir en Macron un interlocuteur pertinent. «Je veux avoir une conversation de substance avec toi, je veux aller au fond des choses», lui aurait glissé le maître du Kremlin lors d’une conversation téléphonique, si l’on en croit l’Elysée.

Alors que la France préside depuis le 1er janvier 2022 et pour six mois le conseil de l’Union européenne, Macron cherche à replacer l’Europe au centre des négociations. Mais le problème, c’est l’OTAN.

Le camarade Poutine et Macron, au fort de Brégançon (août 2019)

Avant l’entrée en scène de Joe Biden, Poutine évoquait à Brégançon « un optimisme prudent » sur le dossier des régions séparatistes prorusses, après ses contacts avec le nouveau président ukrainien Volodymyr Zelensky. Au cours d’une conférence de presse avant sa rencontre avec le président Macron, le chef de l’Etat russe avait déclaré : « Je vais parler (avec Emmanuel Macron) de mes contacts avec le nouveau président ukrainien. Il y a des choses qui sont dignes de discussions et qui provoquent un optimisme prudent« .

Puis Macron souhaita que les conditions soient réunies rapidement pour organiser « dans les prochaines semaines » un sommet en format « Normandie » (France, Russie, Ukraine et Allemagne) sans les USA, pour résoudre le conflit dans l’Est de l’Ukraine. « Les prises de position, les choix qui ont été faits par le président (ukrainien Volodimir) Zelenski sont un vrai changement« , avait estimé Macron avant un entretien avec Vladimir Poutine, au Fort de Brégançon, dans le Var. « 

C’était sans compter avec la volonté de réglement de comptes de Biden, arrivé en 2021

Lien 25/01/2022

Dans ce jeu complexe, la France comptait sur l’Allemagne pour raviver les négociations du format dit «Normandie», au point mort depuis dix-huit mois, les pourparlers sur l’application des accords de Minsk (signés en 2014 et 2015) avaient été relancés le 26 janvier dernier à Paris. Et les affrontements militaires, le 24 février 2022.

« Les sanctions économiques de l’Occident contre la Russie n’auront aucun effet » (Jean de Gliniasty)

En revanche, leur contre-coup entamera notre niveau de vie: le Pérou connaît déjà des émeutes de la faim

Jean de Gliniasty (IRIS)

La situation continue de se tendre en Ukraine. Jusqu’où ? Et surtout, quelles réponses y apporter ? L’ancien ambassadeur de la France en Russie (2009-2016) et directeur de recherche à l’IRIS, Jean de Gliniasty, est l’invité de LaMidinale (regards.fr, PCF).

 Sur les risques d’invasion de l’Ukraine 
« La situation évolue très vite : il y a 15 jours, on avait des espoirs raisonnables de penser que la France et l’Allemagne, dans le format Normandie, feraient pression sur le président ukrainien Zelensky pour qu’il accepte les accords de Minsk [imposés à l’Ukraine par le couple franco-allemand], c’est-à-dire qu’il accepte de faire voter par la Rada, le parlement ukrainien, un statut spécial pour le Donbass. »
« De façon pratique, la reconnaissance des deux Républiques du Donbass ne change rien : les Russes y étaient déjà. Ce qui change, c’est la décision de la Douma, le parlement russe, d’envoyer des troupes sur place. »
« A partir du moment où il y a des concentrations de troupes russes, il y a un risque que le moindre incident conduise à des réactions de grande ampleur de la part des Russes. »

 Sur la position de la société russe 
« Les Russes dans l’ensemble sont d’accord pour dire que l’Ukraine – ou une partie -, c’est la Russie. De là à dire qu’ils appuieraient à une éventuelle guerre pour conquérir tout ou partie de l’Ukraine, on en peut pas le dire. Au contraire, ils redoutent cette hypothèse parce que pour eux, ce serait comme une guerre civile. »
« L’idée d’un conflit est impopulaire en Russie. » [Mais la fierté russe milite en faveur d’un soutien à Poutine, désireux de rétablir les frontière de l’ex-URSS]

Sur la question de la sécurité européenne et de la Russie 
« La première préoccupation des Russes, c’est leur propre sécurité. Or, elle implique, comme ils le disent depuis plus de trente ans, la considération que l’extension de l’OTAN aux frontières de la Russie est un risque et un danger qu’il faut bloquer. »
« Quand on parle de sécurité russe, on parle de sécurité du continent. »
« Les Russes veulent mettre fin à une dérive qui a commencé en 1990 avec la Charte de Paris : à l’époque le président Mitterrand avait proposé une organisation internationale qui devait veiller à la sécurité de l’ensemble du continent. C’était une confédération qui reprenait l’idée de Gorbatchev de Maison commune. Mais il s’est cassé les dents devant l’opposition américaine et d’un certain nombre de pays nouvellement indépendants. »
« La Charte de Paris qui a débouché sur l’OSCE est un échec diplomatique pour la France puisque la France a du s’incliner et accepter que la sécurité du continent soit assurée par l’OTAN et non pas par une organisation incluant les Russes. »
« L’OSCE, c’est un lot de consolation pour la diplomatie française qui n’a plus qu’un rôle subsidiaire dans la mesure où la sécurité est assurée par l’OTAN et la coopération par l’Union européenne. »
« Les Russes veulent un système de sécurité en Europe qui prenne en compte leurs propres préoccupations au nom de l’indivisibilité de la sécurité. »

Sur les relations Vladimir Poutine – Emmanuel Macron 
« Vladimir Poutine n’est pas un acteur complexe de la scène internationale : cela fait trente ans qu’il répète la même chose. Et il a estimé que le moment était venu de faire bouger les lignes vu l’immobilisme. Il avait deux moyens : une négociation globale avec les Etats-Unis. C’était l’objet du projet de traité qu’il a remis en décembre à l’OTAN et aux Etats-Unis. Le deuxième moyen, il n’y croyait pas beaucoup, mais c’est le président Macron qui l’a remis sur la table : la réactivation du format Normandie pour l’application des accords de Minsk. » [Ils sont cinq, respectivement en 1991, 1994, 1995, 2014 et 2015: celui signé le 12 février 2015, entre le gouvernement de Kiev et les deux chefs séparatistes pro-russes, devait mettre fin à la guerre du Donbass, réactivée par Kerenski à qui les USA en guerre froide prolongée avec la Russie a fait miroiter une adhésion à l’OTAN, tandis que l’UE a fait croire à une entrée dans le giron de l’UE, malgré le haut niveau de corruption ukrainienne]
« 75% des problèmes de sécurité en Europe, c’est la question ukrainienne. »
« Le raisonnement du président français était de dire que les Américains et les Russes négociant au-dessus de notre tête, il fallait utiliser le levier accords de Minsk. »
« Emmanuel Macron a essayé et il aurait eu tort de ne pas essayer. Mais le problème, c’est que les Russes attendaient une seule chose :l’application des accords de Minsk qui leur étaient extrêmement favorables puisqu’ils ont été signés par l’Ukraine au moment où cette dernière avait perdu la guerre. »

 Sur le non-alignement 
« Etre non-aligné, ce n’est pas possible dans la période, à partir du moment où la France est membre de l’Alliance Atlantique, à partir du moment où elle est membre de l’organisation intégrée de l’Alliance Atlantique. »
« Revenir sur l’Alliance Atlantique est impossible et n’est pas dans la tradition diplomatique française. »
« La marge de manoeuvre de la France est limitée mais elle existe à l’intérieur même de l’OTAN, notamment parce que c’est une organisation intergouvernementale qui fonctionne à l’unanimité. »
« L’erreur grave des Russes, c’est de n’avoir pas su valoriser la marge de manoeuvre limitée de la France. »

 Sur les sanctions économiques 
« Les sanctions économiques n’auront aucun effet. Ça fait dix ans que les Russes s’y préparent. »
« Du côté occidental, on ne peut pas passer d’un seul coup à la « bombe nucléaire », il faut en garder un peu sous le pied en cas d’invasion de l’Ukraine. De ce fait, les sanctions prises actuellement sont relativement modérées. »

 Sur les potentielles réponses de l’Occident 
« Je crois qu’il est exclu explicitement par les Américains d’envoyer des soldats en Ukraine. Inutile de vous dire que les Européens n’en feront rien. En revanche, il peut y avoir des ventes d’armes et d’équipements, de la diffusion de savoir-faire, de l’entraînement. Ce serait une escalade dont les conséquences seraient imprévisibles. »
« Les Russes ont dit très clairement que la question n’était pas seulement celle de l’entrée de l’Ukraine dans l’Otan mais l’entrée de l’Otan dans l’Ukraine. Une façon de dire que si l’Occident renforce l’armée ukrainienne, la Russie ne restera pas indifférente. »

 Est-ce le retour de la Guerre froide ? 
« En partie. Biden est un grand professionnel des relations internationales. C’est rare. Il écoute tous les points de vue et fait des commentaires pertinents même sur les opinions qui ne sont pas les siennes. »
« Biden a une vraie vision stratégique : éviter que l’Ukraine ne retombe dans les mains russes, donc éviter une guerre. Éviter aussi que la situation se stabilise totalement puisqu’à ce moment-là, l’Otan cesse d’être utile et donc le ralliement des forces occidentales derrière les États-Unis devient inutile. Il lui faut donc conserver un petit foyer de tensions pour pouvoir se consacrer à la rivalité essentielle avec la Chine. »

Lien PaSiDupes : Crise ukrainienne: des sanctions occidentales contre-productives

Ukraine : le droit international peut-il pallier l’impéritie occidentale face au conflit OTAN-Russie ?

Menacée sur sa frontière, la Russie contre-attaque

L’Ukraine n’est qu’un nouveau prétexte américain

Après le déclenchement par Moscou d’une opération militaire d’auto-défense en Ukraine, en petit télégraphiste de l’OTAN, Macron, a paradoxakement accusé la Russie de « bafouer » les grands principes de droit international qui régissent les relations entre Etats.

Macron, le médiateur qui accuse la Russie. « Une violation éclatante du droit international. » L’annonce par Vladimir Poutine d’une opération militaire en Ukraine, jeudi 24 février, a suscité une condamnation unanime – si on exclut la Chine (négligeable?) – de la communauté internationale. De nombreux pays, dont la France, ont notamment estimé que les actions du président russe bafouent les grands principes qui régissent les rapports entre Etats. « Nous n’accepterons jamais la violation brutale du droit international tel que nous le voyons actuellement avec l’invasion de l’Ukraine », a ainsi affirmé le secrétaire général de l’OTAN, Jens Stoltenberg, à l’issue d’une réunion d’urgence des ambassadeurs des pays de l’Alliance, financée par les USA.

L’envoi des troupes russes, trois jours après la reconnaissance des républiques, russophones et orthodoxes, autoproclamées de Louhansk et Donetsk, dans le cadre de la guerre du Donbass (depuis avril 2014), « illustre le mépris dans lequel la Russie tient le droit international et les Nations unies », a de son côté estimé l’ambassadeur de France à l’ONU, Nicolas de Rivière. Que dit le droit international des actions de la Russie ?

Une violation de la Charte des Nations unies

L’article 2 de la Charte des Nations unies, dont la Russie fait partie (l’ONU et non l’OTAN), prévoit notamment que les pays membres de l’ONU « s’abstiennent (…) de recourir à la menace ou à l’emploi de la force, soit contre l’intégrité territoriale ou l’indépendance politique de tout Etat, soit de tout autre manière incompatible avec les buts des Nations unies. » Il met donc « hors-la-loi le principe d’agression d’un Etat », estime en écho Olivier Schmitt, directeur des études et de la recherche à l’Institut des hautes études de défense nationale (IHEDN), un établissement public administratif d’expertise et de sensibilisation en matière de Défense, placé sous la tutelle directe du premier ministre.

« Là, on est très clairement dans le cadre d’une agression, de la violation de la souveraineté de l’Ukraine et de son intégrité. » (Olivier Schmitt, expert proche du ministère de la défense)

Les principes de « la Charte des Nations unies ne sont pas un menu à la carte » et la Russie doit « les appliquer tous » à l’égard de l’Ukraine, a quant à lui fustigé, mardi, le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres. « Les Etats membres les ont tous acceptés et ils doivent tous les appliquer », a-t-il insisté.

De son côté, l’Ukraine a fait valoir l’article 51 de la Charte, qui encadre la légitime défense en cas d’agression, « pour justifier son recours à la force » en réponse à l’offensive russepoursuit Olivier Schmitt, qui neglige que la Russie peut légitimement se sentir agressée à sa frontière par l’OTAN, du fait qu’elle a placé à Kiev un fantoche à sa solde. C’est d’ailleurs ce même article que Vladimir Poutine a brandi pour expliquer le déclenchement d’une opération militaire en Ukraine, assurant répondre à l’appel des « républiques » séparatistes du Donbass. « C’est une complète inversion de la réalité de la situation, balaye Olivier Schmitt, dont le parti-pris fausse le raisonnement. Les républiques autoproclamées ne sont pas reconnues comme telles par le droit ukrainien, les Russes n’avaient pas le droit de répondre à leur appel, » assène-t-il, en représentant du point de vue occidental qui ignore que Zelenky bafoue la signature de l’Ukraine qui s’était engagée à accorder leur autonomie à Louhansk et Donetsk, opposés à la révolution orange menée par Kiev.  Le 11 mai 2014, un « référendum populaire » institue la république populaire de Donetsk qui est aussitôt rejetée par le pouvoir central de Kiev et ses alliés atlantistes occidentaux. Le 17 mai 2014, le procureur général d’Ukraine inscrit la « république populaire » à la liste des « organisations terroristes », marquant ainsi le refus du pouvoir central de Kiev de discuter avec les « insurgés » de l’Est du pays. L’autodétermination est un droit international.

Un « coup fatal » aux protocoles de Minsk

Les décisions russes portent également un « coup fatal aux accords de Minsk approuvés par le Conseil de sécurité«  de l’ONU, selon le chef de l’ONU. Pourtant, les protocoles de Minsk, signés en septembre 2014 (Minsk I) et en 2015 (Minsk II) pour mettre fin à la guerre en Ukraine orientale avec la Russie, sont bafoués par l’Ukraine. L’Ukraine et les deux « républiques » séparatistes, russophones et orthodoxes, prévoyaient notamment un cessez-le-feu immédiat et le retrait des armes lourdes. De nombreux points, dont l’organisation d’élections dans les territoires séparatistes, n’ont cependant jamais été appliqués, souligne la Fondation Robert Schuman, centre de recherches et d’études sur l’Europe. Par ailleurs, officiellement, ces textes sont des protocoles, un statut transitoire moins précis et moins contraignant vers des accords internationaux, lesquels n’ont pas abouti. 

Les actes de Vladimir Poutine (comme ceux de Zelensky) constituent également une violation du mémorandum de Budapest, selon Carole Grimaud-Potter, professeure de géopolitique de la Russie à l’université de Montpellier et à l’Institut diplomatique de Paris. Ce sont trois documents signés en termes identiques le 5 décembre 1994, respectivement par la Biélorussie, le Kazakhstan et l’Ukraine, ainsi que par les Etats-Unis, le Royaume-Uni et la Russie qui accordent des garanties d’intégrité territoriale et de sécurité à chacune de ces trois anciennes Républiques socialistes soviétiques (RSS). Ces textes – dont la France n’est pas partie prenante (et le zèle actuel du boute-feu Macron est déplacé) – visaient à « garantir la préservation des frontières de l’Ukraine », détaille la chercheuse. Toutefois, le mémorandum de Budapest ne comporte « aucune partie contraignante ». « Les pays signataires se sont engagés à garantir la sécurité » de l’Ukraine, mais tout repose avant tout sur leur bonne foi.

Le droit international « n’a jamais été un miracle »

Ce n’est pas la première fois que les intérêts de la Russie sont défiés par l’OTAN et que Vladimir Poutine est poussé par le grand Satan américain à transgresser les principes du droit international édicté par l’ONU. 

En 2008, le Kremlin avait déjà reconnu l’indépendance de deux « républiques » séparatistes prorusses en Géorgie – ex-république soviétique mais culturellement, historiquement et politiquement parlant partie de l’Europe – l’Abkhazie et l’Ossétie du Sud, après une guerre éclair contre la Georgie qui, comme l’Ukraine, ambitionne de rejoindre l’OTAN. L’alliance atlantique renouvelle ainsi en Ukraine la stratégie américaine antérieure en Georgie ou en Crimée.

La Géorgie compte parmi les plus proches partenaires de l’OTAN. Elle aspire à devenir membre de l’Alliance. Au fil du temps, l’OTAN et la Géorgie ont mis en place une étroite coopération, en appui des intérêts américains dans la zone et des efforts de réforme du pays et de son objectif d’intégration euro-atlantique. La Géorgie contribue ainsi à l’opération Sea Guardian, dirigée par l’OTAN, et elle coopère avec les pays membres et les autres pays partenaires dans de nombreux autres domaines.

En janvier 2021, soit 13 ans après les faits, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a jugé que la Russie avait enfreint sa Convention.

En 2014, lors de l’annexion de la Crimée, le projet de résolution de l’ONU déclarant « invalide » le référendum populaire sur le rattachement de la république autonome à la Russie s’était vu opposer le veto de Moscou, membre permanent du Conseil de sécurité. A l’Assemblée générale, sur 193 membres, le projet de résolution avait ensuite recueilli 100 voix. Toutefois, les résolutions adoptées par l’Assemblée générale de l’ONU n’ont aucun caractère juridique contraignant en droit international, contrairement à celles validées par le Conseil de sécurité. Ce scénario risque une nouvelle fois de se produire, admet Olivier Schmitt, affaiblissant l’argument juridique brandi par les Atlantistes.

« Le Conseil de sécurité de l’ONU va être paralysé et ne pourra pas jouer son rôle de maintien de la paix et de la sécurité internationale. » (Olivier Schmitt, spécialiste de la défense)

Le droit international « n’a jamais été un miracle, c’est le résultat d’un consensus politique« , rappelle Jean-Marc Sorel, professeur de droit public à l’Ecole de droit de la Sorbonne. « Vous ne pouvez pas changer le monde avec le droit« , appuie-t-il.

Animé par une haine rancie datant le l’URSS, le président américain diabolise Poutine.

Le président russe ne fait que protéger ses frontières et son peuple des agressions légalistes de l’OTAN.

En définitive, le coût pour la Russie est « principalement politique », relativise Olivier Schmitt, dans le concert des va-t’en-guerre qui appellent à des sanctions massives. « Mais il n’y a pas de tribunal pénal des Etats, donc au-delà des déclarations de condamnation des Etats, il n’y a pas de Cour vers laquelle ils peuvent se tourner », admet-il. En revanche, d’un point de vue juridique, la Charte des Nations unies, donne le droit d’ingérence aux pays de lui « venir en aide, de quelque manière qu’il existe », y compris militairement.