Téléphones portables en prison: Dupond-Moretti « envisage » des fouilles « plus systématiques »

Belloubet désavouée: elle les avait développés

L’idée d’autoriser les détenus à utiliser un téléphone portable n’a « rien d’absurde », avait estimé la ministre de la Justice, Nicole Belloubet, en visite au centre pénitentiaire de La Farlède, près de Toulon, Var, en août 2017. Une petite phrase qui avait déclenché une tempête politique.

« Il faut donner aux détenus des moyens de communication… Des portables contrôlés ou des lignes fixes. Une expérience en ce sens a lieu dans la Meuse », a ajouté la garde des Sceaux  sous influence de Adeline Hazan, contrôleuse générale des lieux de privation de liberté.

Avant de lâcher la bride, elle préconisait la fourniture aux détenus de portables « bridés » et « achetés » en prison, ainsi qu’un accès à Internet « contrôlé ». « Avant d’autoriser les téléphones bridés, il faudrait… endiguer les téléphones portables non contrôlés en prison, » avaient riposté de nombreux syndicats de surveillants pénitentiaires.

Selon la ministre, la mise à la disposition des détenus, dans leur cellule, de téléphones fixes avec lesquels ils pourront appeler quatre numéros définis par l’administration pénitentiaire ou un magistrat aura trois avantages. « Nous avons considéré qu’il y avait (…) un avantage de socialisation pour les détenus puisqu’ils pourront joindre leur famille, notamment à des heures où les enfants ou les parents sont là », a-t-elle expliqué.

Le second avantage, selon Belloubet première formule, est que cela réduira la circulation illégale en prison de téléphones portables, avait-elle avancé…

Belloubet avait également annoncé la récente signature d’un marché public pour des brouilleurs de téléphones portables adaptés à l’évolution des technologies dans les prisons. Or, on sait aujourd’hui que cet investissement a été une gabegie, puisque les brouilleurs se sont révélés un enfer pour les riverains des prisons, comme pour l’administration locale des prisons.

Dupond-Moretti pousse des coups de gueule, mais sait-il faire preuve d’autorité ?

Dupond-Moretti et Belloubet

Le second mandat de Macron défait ce que le premier avait installé.

Les vidéos prises par des détenus font régulièrement le tour des réseaux sociaux. Pour lutter contre la présence de téléphones portables, pourtant interdits, dans les cellules de prison, le ministre de la Justice Eric Dupond-Moretti a déclaré ce dimanche 2 juin sur RTL que le gouvernement Attal « envisage » de permettre des fouilles « plus systématiques » des détenus, avec d’autres mesures consécutives à l’évasion mi-mai d’un détenu, Mohamed Amra (toujours recherché !), lors d’un guet-apens ultra-violent.

Portables « interdits »,
mais ce sont 53.000 téléphones et accessoires qui ont été saisis en 2023.

Questionné lors du Grand Jury RTL, Le Figaro, Paris Première, M6, Eric Dupond-Moretti a affirmé qu’il a « acté » une « trentaine de mesures » discutées avec l’intersyndicale des gardiens de prison et les directeurs d’établissements pénitentiaires.

« Il y a notamment la question des fouilles. Les fouilles aujourd’hui ne sont pas autorisées quand elles sont systématiques, donc j’envisage une modification possible à venir (…) pour des fouilles qui soient plus systématiques », a déclaré le garde des Sceaux.

Belloubet encore responsable. Dans une note du 15 novembre 2013 relative aux moyens de contrôle des personnes détenues, la ministre rappela en effet les principes de nécessité et de proportionnalité qui s’imposent à l’administration en matière de fouilles et la « prohibition du caractère systématique des fouilles ».

« Quand un détenu récupère d’un drone un téléphone portable, il faut pouvoir le fouiller pour le trouver, la législation ne le permet pas (…) et ce depuis 2009″, a-t-il ajouté.

Cette modification, comme d’autres devant passer par le Parlement, seront « raccrochées au texte sur la grand banditisme et le narcotrafic » qui doit être présenté à l’automne.

Parmi les autres mesures « d’application immédiate » auxquelles le ministre a « fait droit immédiatement », il a cité la possibilité de « transférer des détenus sans logo de l’administration pénitentiaire » (!), le « holster de poitrine » (une arme placée sur la poitrine), le « gyrophare sur tous les véhicules ». Il n’est toujours pas fait mention du de la mise à disposition de forces de police, comme par le passé, lors de transfèrements.

Le garde des Sceaux a aussi évoqué une plus grande utilisation de la comparution via visioconférence, qui devrait être évoquée « lundi » 3 juin avec les syndicats de magistrats.

Eric Dupond-Moretti a aussi affirmé avoir, avant l’attaque, mis en place « des systèmes anti-drones », qui seront « doublés », ainsi qu’une « vingtaine » de brouilleurs, un dispositif empêchant les communications téléphoniques, un chiffre qui va « doubler d’ici 2025 ».

Il a aussi déclaré que « 6.000 agents pénitentiaires de plus » ont été embauchés grâce aux hausses budgétaires.

Toujours recherché par les services de police, en France et à l’étranger, Mohamed Amra, un détenu multirécidiviste impliqué dans le trafic de stupéfiants, s’est évadé au cours de l’attaque d’un fourgon de l’administration pénitentiaire qui le transportait au péage d’Incarville, dans Eure. L’attaque a causé la mort de deux agents et trois autres ont été blessés.

Elle a entraîné une mobilisation de la profession et un blocage des prisons pendant plusieurs jours, avant qu’un accord ne soit trouvé avec le ministère, portant notamment sur la sécurisation des missions de transfèrement.

La cocaïne sud-américaine et la violence des cartels déferlent sur l’Europe

Devant le Sénat en mars 2024, Le Maire défend son projet de gel administratif des avoirs des narcotrafiquants

Le « quoi qu’il en coûte »
est-il une stratégie lucide ?

« Un c’est 70, deux c’est 120. » Le livreur présente quelques boulettes à la jeune femme qui l’a rejoint au bas de son immeuble du très chic VIe arrondissement de Paris. Sous le plastique, de la cocaïne venue tout droit d’Amérique du Sud, rapporte Le Point du 16/01/2023. Ce soir, la cliente se contentera d’un seul gramme. Sitôt empochés les 70 euros, Hassan (prénom modifié) enfourche son scooter et file vers sa prochaine livraison.

« C’est comme tous les livreurs à domicile, ceux qui +speedent+ avec des courses ou des sushis », s’amuse le jeune dealer, « je reçois des commandes et je tourne dans Paris ».

La « coke » coule à flots. Dans la capitale française, comme dans la plupart des grandes villes européennes.

Quelques dizaines de minutes suffisent pour en passer commande sur une messagerie cryptée type WhatsApp ou Signal et la faire porter chez soi comme une pizza. En matière de stupéfiants aussi, « l’ubérisation » a révolutionné le marché. « Les consommateurs préfèrent passer par une plateforme (de messagerie) et se faire livrer en bas de chez eux par un mec qui ressemble à un Deliveroo », décrit la commissaire Virginie Lahaye, cheffe des « stups » parisiens. « C’est beaucoup plus facile que d’aller dans un coin un peu sordide en banlieue. »

En 2021, quelque 3,5 millions d’Européens ont goûté au moins une fois à la cocaïne, selon l’Observatoire européen des drogues et toxicomanies (OEDT), créé en 1993. Un niveau « historique », quatre fois supérieur à celui mesuré il y a vingt ans.

La demande de poudre blanche suit la même progression que l’offre. Vertigineuse.

La demande de poudre blanche suit la même progression,  vertigineuse, que l’offre.

Le volume des saisies sur le Vieux Continent, seul baromètre officiel en la matière, a battu un nouveau record en 2021 avec 240 tonnes, selon l’Office de police européen (Europol), contre 213 tonnes en 2020 et 49 dix ans plus tôt.

2022 s’annonce encore meilleure: 162 tonnes ont été saisies l’an dernier dans les seuls ports d’Anvers (Belgique) et Rotterdam (Pays-Bas), selon les douanes des deux pays.

« Un tsunami », résume le patron de la police judiciaire fédérale belge, Eric Snoeck.

Depuis que les barons de la drogue ont fait de l’Europe une priorité au début des années 2000, les dizaines de milliards de dollars de profits générés par ce marché [font briller les yeux de Macron et] y nourrissent une corruption à grande échelle et une criminalité hyper-violente inspirée de celle qui sévit en Amérique du Sud. [Les règlements de comptes de Marseille, ou de Grenoble, par exemple, donnent des idées à l’Elysée et à Bercy.]

« Les enjeux financiers sont tels que les organisations criminelles ont importé sur notre sol les méthodes des cartels: règlements de comptes, enlèvements, tortures », décrit la cheffe de l’Office antidrogue français (Ofast, créé en 2019 à… Nanterre), Stéphanie Cherbonnier [dont il est inconvenant d’y voir une pâle copie de l’OEDT, 30 ans plus tard].

Les grands ports d’Europe du Nord sont aujourd’hui gangrenés par les violences de mafias locales qui déstabilisent de vieilles [mais faibles] démocraties [progressistes !] comme la Belgique ou les Pays-Bas.

Jets de grenades ou fusillades de rues à Anvers, assassinats à Amsterdam, projets de rapts de personnalités politiques dans les deux pays cet automne, les trafiquants menacent l’ordre public et ébranlent toute la société.

Au point que la Belgique pourrait bientôt être « qualifiée de narco-Etat », avertissait en septembre le procureur général de Bruxelles, Johan Delmulle.

Incontournable coca

Le périple de la cocaïne débute à des milliers de kilomètres de là. Sur les pentes des hauts-plateaux de Colombie, du Pérou et de Bolivie, poussent les feuilles dont est extraite la drogue popularisée au XIXe siècle par Sigmund Freud et une poignée de chimistes européens pour ses vertus médicinales.

Dans la région du Catatumbo (nord-est de la Colombie), la coca a pris depuis belle lurette la place des cultures vivrières. C’est grâce à elle que José del Carmen Abril nourrit sa famille de huit enfants. « La coca (…) a remplacé le gouvernement qui n’est jamais venu par ici », commente, chapeau de paille sur la tête, ce père de famille de 53 ans. « Avec elle, nous avons pu construire des écoles, des centres de santé, des routes et des habitations. » [D’où l’intérêt subi de Le Maire et de Macron pour les revenus de la drogue.]

Dans un pays où le salaire quotidien minimum ne dépasse pas 7 dollars, un planteur de coca peut en gagner cinq fois plus.

Plus de 200.000 familles colombiennes récoltaient de la coca en 2018, selon l’ONU. Les milliards de dollars dépensés depuis des décennies par Bogota et son principal soutien Washington dans leur « guerre contre la drogue » n’y ont rien changé: la production n’en finit pas de croître.

Elle a même battu un record historique en 2021: 1.400 tonnes de poudre produites contre 1.228 tonnes l’année précédente, selon l’Office des Nations unies contre la drogue et la criminalité (ONUDC) [Les offices et observatoires de la drogue ne manquent pas]. Une hausse de 14 %.

Les experts estiment à plus de 2.000 tonnes le volume total de cocaïne proposé sur le marché mondial en 2021.

Producteur de coca, José del Carmen Abril y a pris sa part. Mais il refuse d’être taxé de « narco ». Les paysans comme lui [et nos producteurs de fuits et légumes] sont « des paysans qui récoltent (…) et n’ont pas de salaire minimum », se défend-il. Les trafiquants, eux [comme notre grande distribution de laitage ou de poulet], « se font combien de millions avec un kilo de cocaïne ? »

Une fois récoltées, ses feuilles sont confiées à des chimistes qui les mélangent à de l’essence, de la chaux, du ciment et du sulfate d’ammonium pour obtenir une pâte blanche vendue dans le Catatumbo autour de 370 dollars le kilo.

Cette pâte est ensuite enrichie dans d’autres laboratoires d’un cocktail d’acides et de solvants pour devenir la « coke ». Pure, son prix a passé la barre des 1.000 dollars le kilo.

Cartels mexicains

La Colombie fournit à elle seule les deux tiers de la cocaïne mondiale. Mais la chute des cartels de Medellin et Cali au milieu des années 1990 et l’accord de paix signé en 2016 avec la guérilla marxiste des Forces armées révolutionnaires de Colombie (Farc) ont bouleversé le marché.

Simples intermédiaires à la fin du siècle dernier, les Mexicains ont profité de l’atomisation de leurs rivaux colombiens pour arracher le contrôle quasi total du secteur, du financement de la production à la supervision des exportations.

Longtemps, les cartels de Sinaloa ou de Jalisco ont privilégié leur marché « naturel », les Etats-Unis. Ils visent désormais en priorité l’Europe, où la consommation flambe.

Europol y évalue aujourd’hui le marché annuel de la vente au détail de cocaïne entre 7,6 à 10,5 milliards d’euros.

« Le marché US est saturé et la coke se vend en Europe à un prix 50 à 100 % supérieur », décrypte le patron du renseignement douanier français, Florian Colas. « Autres avantages pour les trafiquants, le risque pénal est sans doute moins dissuasif en Europe qu’aux Etats-Unis et les options logistiques sont multiples entre les deux continents. »

Comme 90 % du commerce mondial, l’essentiel de la « blanche » traverse l’Atlantique dans des conteneurs maritimes, dissimulée dans des cargaisons parfaitement légales de bananes, de sucre en poudre ou de conserves.

Le reste circule en avion dans les valises ou les intestins de « mules » qui embarquent à Cayenne, en Guyane française, pour Paris. Quand elle ne se faufile pas au fond des mers à bord de sous-marins ou de submersibles téléguidés, comme ceux saisis en juillet dernier par la police espagnole.

Au début des années 2000, les Mexicains avaient établi leur tête de pont européenne sur la Costa del Sol espagnole, un des noeuds du trafic de cannabis marocain.

L’arrestation quelques années plus tard de plusieurs « barons » et surtout l’explosion du transport maritime les a convaincus de réorienter leur trafic vers les principaux ports à conteneurs du continent, dans le nord de l’Europe.

Embarqués dans le port brésilien de Santos, tenu par la mafia de Sao Paulo, celui de Guayaquil en Equateur, en Colombie, au Panama ou au Pérou, les pains de « neige » cinglent vers Anvers, Rotterdam, Hambourg (en Allemagne) ou Le Havre (en France).

« C’est par là que passe l’essentiel de la drogue destinée à l’Europe », détaille la directrice adjointe des douanes françaises, Corinne Cléostrate. « Certaines cargaisons font étape aux Antilles. D’autres filent vers les Balkans ou transitent en Afrique de l’Ouest, avant de remonter vers l’Europe. »

Mafias européennes

Ces routes sont gérées selon un « business plan » bien rodé.

Les cartels mexicains vendent « leur » produit aux multinationales européennes du crime. Parfois via des courtiers qui répartissent les cargaisons, collectent leur financement et mutualisent les pertes en cas de saisie.

« Ces organisations criminelles peuvent être concurrentes », observe la policière Stéphanie Cherbonnier. « Mais elles créent aussi des alliances car elles doivent unir leurs compétences, leur savoir-faire, pour faire rentrer la drogue. »

« Mocro-maffia » d’origine marocaine aux Pays-Bas et en Belgique, pègre albanaise, serbe ou kosovare et Ndrangheta calabraise se répartissent le marché selon leur localisation et leurs spécialités (logistique, protection, blanchiment…).

Ces groupes pilotent la réception de la drogue dans les ports, confiée à des « petites mains » du cru au nom d’un strict cloisonnement des tâches.

Leurs moyens sont considérables car le trafic de cocaïne offre une rentabilité sans pareil: le kilo acheté 1.000 dollars en Amérique du Sud est vendu 35.000 euros en Europe. Une fois sortie des ports et coupée – jusqu’à 40 % – la marchandise est vendue au client autour de 70 euros le gramme.

Un bénéfice qui autorise toutes les corruptions.

Dockers, agents portuaires ou chauffeurs-routiers, douaniers et policiers parfois, sont achetés pour laisser les « petites mains » récupérer le butin dans les conteneurs.

Au Havre, décrit un policier français, les 2.200 dockers qui règnent en maîtres sur les piles de conteneurs rouges, bleus ou verts entassés sur ses quais, sont devenus les complices préférés et souvent obligés des trafiquants.

Ces dernières années, plusieurs ont été condamnés en France à des années de prison ferme pour avoir « collaboré ».

L’un d’eux a décrit à son avocat l’engrenage qui l’a plongé dans le trafic: « Avant, je récupérais des cartouches de cigarettes ou du parfum pour les revendre. Ça me rapportait 200 à 300 euros par mois. Puis un jour, des mecs nous ont demandé de sortir des sacs. Ils nous ont offert 1.000 euros le sac. Ça a commencé comme ça… »

Certains dockers leur prêtent un badge pour entrer sur le port, d’autres déplacent un conteneur chargé de drogue hors du champ des caméras ou « autorisent » la sortie d’un autre.

A Rotterdam, le plus grand port d’Europe, policiers et douaniers ont surpris des petits soldats du trafic cachés dans des « conteneurs hôtels » avec vivres et couvertures pour attendre l’arrivée d’un chargement de cocaïne.

Le « ticket de sortie » d’une « boîte » – un conteneur – peut se monnayer jusqu’à 100.000 euros au Havre où, confesse un douanier, « on ne contrôle que 1 % des conteneurs parce qu’on n’a pas les moyens de faire plus ».

Exécution

En plus d’acheter complicités ou silences, ces sommes folles nourrissent une violence qui déborde largement dans les rues des villes portuaires. Dans le quartier résidentiel anversois de Deurne, en Belgique, Steven de Winter en a connu au moins trois vagues.

En mai dernier, une maison de son quartier, occupée par une famille connue pour son implication dans le trafic, a été attaquée à l’explosif, alors que des voisins célébraient un mariage dans un jardin tout proche. »Ce n’est plus possible », enrage l’employé de banque de 47 ans, « ça suffit ! »

En cinq ans, le Parquet de la cité flamande dit qu il a recensé « plus de 200 actes de violence liés à la drogue »: menaces, agressions ou jets d’engins explosifs. Le 9 janvier encore, une fillette de 11 ans a été tuée dans sa maison anversoise visée par des tirs. Le bourgmestre Bart De Wever a immédiatement fait le lien avec « une guerre de la drogue ».

Aux Pays-Bas, les groupes criminels sont allés encore plus loin. Le 6 juillet 2021, il est 19h30 quand le célèbre journaliste Peter R. de Vries quitte le studio d’Amsterdam où il a participé à un talk-show télévisé. A l’entrée d’un parking souterrain, le reporter est abattu de plusieurs coups de feu.

Spécialiste des affaires criminelles, il était le confident du principal témoin à charge dans le procès de Ridouan Taghi, un chef présumé de la « Mocro-maffia » arrêté à Dubaï en 2019.

Séquestration de dockers, torture de rivaux, élimination de gêneurs: les trafiquants sont prêts à tout pour défendre leur commerce. Le démantèlement l’an dernier du réseau de messagerie crypté Sky/ECC a ouvert une fenêtre inédite sur leurs méthodes.

« On a découvert une violence complètement inouïe », souffle le policier belge Eric Snoeck. « Il y a très, très peu de retenue par rapport au fait de torturer quelqu’un qui a une bonne information ou tout simplement d’exécuter quelqu’un qui n’a pas respecté un contrat (…) ça fait froid dans le dos. » En 2020, la police néerlandaise avait découvert des conteneurs aménagés en chambre de détention et de torture… [Une information plus dissuasive que les sommes démesurées perçues pour un simple chouffe livrées par la presse française.]

Les mafias de la cocaïne visent de plus en plus haut. Un projet d’enlèvement du ministre belge de la Justice a été déjoué en septembre. Aux Pays-Bas, c’est la princesse héritière Amalia et le premier ministre Mark Rutte qui semblaient visés cet automne.

« Guerre totale »

Pour enrayer la vague qui déferle sur l’Europe, policiers et magistrats ont engagé une « guerre totale ».

En développant renseignement et « ciblage », en musclant la coopération internationale et en renforçant la sécurité des ports, les saisies ont battu des records chaque année. Près de 110 tonnes en 2022 à Anvers, le principal point d’entrée de la « blanche » en Europe, contre 89,5 tonnes en 2021. « Ça signifie que nos méthodes sont plus efficaces mais aussi que les flux augmentent », commente la douanière française Corinne Cléostrate. Jamais confirmé, un « chiffre noir » circule: seuls 10 % du volume de la cocaïne en circulation seraient interceptés.

« Nous avons des terminaux de plus en plus automatisés, cela rend plus difficile la tâche (des trafiquants) », note le chef des douaniers chargés des interceptions à Rotterdam, Ger Scheringa. A Rotterdam, les saisies ont nettement reculé de 72,8 à 46,8 tonnes de 2021 à 2022.

Mais les trafiquants ont déjà ouvert des « itinéraires bis » vers des ports moins surveillés. C’est le cas de Montoir-de-Bretagne [DVC, après 43 ans de gouvernance de la gauche], près de Saint-Nazaire [PS depuis 1945] en France, où près de 600 kilos de « coke » ont été saisis en 2022.

Les polices européennes ont également renforcé la chasse aux têtes du trafic.

Fin novembre, Europol a annoncé le démantèlement d’un « super cartel » qui contrôlait un tiers du trafic de cocaïne vers l’Europe: 49 suspects arrêtés en France, Espagne, Pays-Bas, Belgique et surtout à Dubaï, un de leurs repaires favoris.

En première ligne de cette guerre, les douaniers français de Martinique ne se font pourtant guère d’illusion. Inlassablement, ils surveillent et inspectent les yoles de pêche, voiliers et cargos qui voguent dans les eaux turquoises du canal de Sainte-Lucie, face aux côtes sud-américaines.

« Les trafiquants connaissent nos méthodes (…) on fait au mieux mais il faut savoir reconnaître qu’on ne pourra pas tout attraper », concède le patron des douaniers de l’île, Jean-Charles Métivier. « On a souvent un coup de retard. »

Pendant ce temps à Paris, le commerce bat son plein, avec ses guerres des prix et ses offres commerciales. « Big promo, 50 euros: 1 caro », (un gramme de « coke »), promet un message posté sur la boucle d’une messagerie.

Lorsque, dix-huit mois après, Bruno Le Maire défend son projet de gel administratif des avoirs des narcotrafiquants, il cherche à combler le trou sans fond du déficit public dont, avec Macron, il est responsable. La santé publique n’est pas sa priorité.

Pourvu que l’idée ne germe pas dans un cerveau de mafia d’enlever Brigitte contre rançon…

François Molins tacle Eric Dupond-Moretti pour sa charge contre des magistrats de Marseille

Molins fait part de son « incompréhension majeure » des reproches de Dupond-Moretti

Et il mord…

Les reproches abrupts du ministre de la Justice Eric Dupond-Moretti à des magistrats, lors d’un déplacement à Marseille pour lancer l’opération anti-drogue « XXL », ont encore du mal à passer, comme pour François Molins, ancien procureur général près la Cour de cassation.

Auditionné ce mercredi 27 mars par la Commission d’enquête sénatoriale sur l’impact du narcotrafic en France, François Molins n’a pas manqué d’exprimer son « incompréhension majeure » après ce qu’il a qualifié de « remontée de bretelles » de hauts magistrats par Eric Dupond-Moretti qui a pour habitude d’aboyer à chaque prise de parole. Sa cible priviliégiée, quand il ne mord pas le RN, est la magistrature.

En ouverture de son audition, François Molins s’est donc permis de revenir quelques instants sur le « comportement du garde des Sceaux à Marseille », qui lui semble « aux antipodes de l’office d’un garde des Sceaux qui est censé soutenir la justice, défendre son indépendance ».

L’exprocureur de la République près le tribunal de grande instance de Paris en a profité pour dire « toute (s)on admiration pour ces magistrats », « engagés au quotidien » et qui lui paraissent « parfaitement irréprochables ».

Une attaque directe contre le ministre de la Justice qui fait donc suite à cette sortie médiatique à Marseille où Éric Dupond-Moretti s’était rendu avec Macron. Mais sur place, des magistrats s’étaient émus d’une « soufflante » passée par le ministre, visiblement mis en fureur contre des propos tenus précédemment devant la commission sénatoriale. « Je crains que nous soyons en train de perdre la guerre contre les trafiquants à Marseille », avait notamment affirmé la juge d’instruction du pôle criminalité du tribunal Isabelle Couderc au début du mois de mars. Lien PaSiDupes

« Discours de défaitisme » pour Dupond-Moretti

Selon le bilan de ces magistrats dans les colonnes du Figaro, ils étaient même « en état de sidération » après ce vif échange avec le brutal Eric Dupond-Moretti. De quoi obliger François Molins à prendre leur défense ce mercredi en affirmant devant la commission que ces magistrats « vous ont dit la vérité avec une grande lucidité dans le combat qu’ils mènent au quotidien ».

Très remonté contre le comportement du garde des Sceaux, François Molins est allé encore plus loin en lâchant qu’il « n’est pas convenable d’avoir ce type de comportement qui consiste à reprocher à des magistrats d’avoir dit la vérité devant des émanations de la Nation et de la représentation nationale ».

« Les magistrats ne sont pas là pour venir au soutien ou à la justification des discours politiques des uns ou des autres, qu’il s’agisse de la majorité ou de l’opposition », a-t-il ajouté.

Le Conseil supérieur de la magistrature, dont la mission est de protéger et garantir l’indépendance de la justice, va recevoir « prochainement » les chefs de la cour d’Appel d’Aix-en-Provence et ceux du tribunal judiciaire de Marseille pour revenir sur les propos tenus par le ministre.

Après son passage à Marseille, le ministre avait confirmé sur RMC que l’expression d’Isabelle Couderc n’était « pas opportune », avant d’ajouter ne pas aimer les « discours de défaitisme ». Interrogé ce mercredi par les sénateurs sur cet échange avec les magistrats marseillais, Eric Dupond-Moretti s’est défendu en rappelant que « la réunion (…) s’est tenue à huis clos », sous-entendant que les accusations à son encontre ne se fondent que sur des « propos rapportés ».

Il confirme toutefois qu’il a tenu des « propos qu’un garde des Sceaux responsable peut tenir » mais assume le fond de ses propos tenus devant les magistrats. «

A propos du narcotrafic, l’ancien magistrat a également appelé à s’attaquer à sa « dimension patrimoniale ».

Dans le cadre de la Commission d’enquête sur le narcotrafic, les magistrats du tribunal judiciaire de Marseille avaient alerté, le 5 mars dernier, sur « le risque d’un délitement de l’Etat de droit », affirmant que Marseille est « en train de perdre la guerre contre le narcotrafic ».

Interpellé par le sénateur LR, Etienne Blanc, rapporteur de la commission d’enquête, seulement quelques minutes après l’audition, Eric Dupond-Moretti a dénoncé des « propos rapportés », affirmant cependant « assumer totalement » que « lorsque l’on exprime l’idée qu’une guerre était perdue, on la perdait ».

Si François Molins a rappelé que le narcotrafic n’était pas un phénomène récent, il a cependant noté « une différence notable », étant donné que les trafics se sont « considérablement aggravés », appelant « à s’interroger sur l’efficacité et l’efficience des politiques publiques conclues en la matière qui, malgré un lourd investissement en termes financiers et de moyens, n’arrivent pas à endiguer ce phénomène qui ne cesse de se multiplier ».

« Aujourd’hui, il y a du trafic de stupéfiants partout », a-t-il observé, dévoilant dans le même temps sa « surprise » de constater l’extension du trafic dans des zones rurales, avec des remontées de procureurs rapportant que le phénomène constitue « l’un des problèmes numéro 1 ». « Ce qui était circonscrit dans des zones urbaines, touche aujourd’hui des villes de moyenne ou de petite importance », analyse François Molins.

Du fait de cette extension massive, il appelle à fluidifier les liens entre renseignements et justice : « On ne maîtrise pas le renseignement quand on est magistrat », déclare l’ancien procureur, expliquant que les magistrats sont « tributaires de la bonne volonté du service qui appuye sur le bouton ».

Décrivant un « problème culturel », il regrette que « certains services [aient] plutôt tendance à garder le renseignement auprès d’eux et ne pas vouloir le partager avec les magistrats ».

L’ancien procureur a dépeint une « internationalisation du trafic », qui se caractérise par des « têtes à l’étranger », des « instructions données à distance », tout cela sous la bénédiction de « pays non coopératifs ». Une internationalisation notamment facilitée par le « manque de coopération pénale internationale » en la matière, même si certains échanges d’informations bilatéraux fonctionnent plutôt bien, à l’image de la coopération franco-espagnole.

« Internationalisation » d’un côté, « complexification » de l’autre, via la « professionnalisation du marketing des livraisons ». L’ancien procureur général près la Cour de cassation a ainsi décrit un phénomène d’« ubérisation » avec des « centrales d’achat » : « Vous allez commander une pizza comme vous allez commander votre dose de stupéfiants », déplore-t-il, appelant à ce que lesdites opérations places nettes « doivent aller de pair avec des opérations de police judiciaire, parfois peu compatibles avec la logique de chiffres ».

« Nous sommes trop dans une logique de répression des premiers niveaux de revente et de saisie de produits », a-t-il dénoncé, critiquant le focus fait sur la répression des consommateurs, alors même que « seulement 10% des produits sont saisis ». A ce titre, il a alerté sur « une approche de prévention et de réduction des risques beaucoup plus importante il y a 20 ou 30 ans par rapport à aujourd’hui », en dépit d’un « vrai besoin en termes de santé publique ».

Pour une opération « place nette XXL » contre la drogue, Macron se donne en spectacle à Marseille 

Le cuistre tente de se refaire la cerise face à la crise agricole et à la dette publique

Alors que la banqueroute menace la France, Macron était ce mardi 19 mars à Marseille avec ses escortes, Eric Dupond-Moretti et Gérald Darmanin, pour lancer ce plan antidrogue d’une ampleur « sans précédent », selon ses mots, et dénommé « Place nette », non sans suffisance.

Au mépris de l’opération XXL du prétentieux Macron, les affaires continuent pendant la visite surprise: les dealers marseillais poursuivent leurs affaires sur Telegram. Sur leurs canaux, où s’échangent tarifs, horaires et propositions de livraison, les trafiquants marseillais ne semblent que très marginalement affectés par l’opération policière d’envergure lancée par les pouvoirs publics, mardi, en présence du m’as-tu-vu.

« Salut tout le monde, nous sommes ouverts. » Vu depuis le réseau Telegram, messagerie instantanée codée, basée à Dubaï et très utile aux dealers, l’opération « Place nette » lancée en grande pompe à Marseille pour le chef de l’Etat, mardi 19 mars, ne semble pas avoir affecté durablement les affaires.

Quelques points de vente du quartier de la Castellane ont dû se résoudre à suspendre leurs activités. « Les amis désolé de la gêne occasionnée la police sont là depuis l’ouverture et je ne c’est [sic] pour combien de temps », s’excusait « Gotham Porche Drive », mardi soir. Mais, pour la plupart, la perturbation n’a duré que quelques heures. Un autre dealer avait également publié dans la soirée de mardi : « Avis à toute la clientèle, nous sommes désolés de la situation embêtante qui a eu lieu aujourd’hui, la police est restée très longtemps », tout en ajoutant : « le coffee vous accueille demain à partir de 10 heures », et « pour les retardataires, nous fermons actuellement à trois heures du matin ».

De « Boubou Moula » à « la Frappe à Mickey », rien que sur l’agglomération marseillaise, on trouve sans peine une vingtaine de canaux de ce type. Certains font la promotion d’un « four » – un point de deal – particulier, beaucoup proposent des services de livraison à domicile. Le canal leur permet également de signaler à leurs clients la présence éventuelle de la police. La plupart ont, dès mercredi 20 mars au matin, affiché leur habituel logo indiquant qu’ils sont ouverts et que les commandes sont disponibles.

« Super promo »

L’offre est telle que les vendeurs tentent de se différencier, en proposant des « super promo » sur les « plaques 100 grammes », « deux morceaux achetés, le troisième offert », ou de petits cadeaux. L’un d’eux promettait ainsi, mardi, pour toute commande « réductions et cadeaux (filtre, grinder [outil pour réduire le cannabis en poudre], cigarette, ticket à gratter ». D’autres misent sur la notoriété que leur confère leur ancienneté : « Nous nous efforçons de ramener la meilleure qualité ainsi que la quantité pour vous satisfaire », vantait le même jour un compte de la Castellane, qui se targue de « la confiance que vous portez a notre enseigne depuis plus de 20 ans ».

Une visite surprise

A Marseille, Macron aura signé des autographes, fait la bise aux petits enfants et palpé les grands sous les caméras. Le chef de l’Etat entend ainsi incarner l’opération de police pour « porter un coup d’arrêt au trafic de drogue, assurer l’ordre républicain, en faisant “place nette”.

Il a mis un pied dans le quartier de la Castellane abandonné aux trafiquants de stupéfiants, après plusieurs opérations policières concernant les deux principaux gangs de Marseille, et annonce sans délai « plus de 82 interpellations » dans le cadre de son opération de  com’.

D’une main, il caresse, de l’autre, il cogne.

Son service de propagande publie des photos de Macron tapant dans un sac de frappe: cf. Le frimeur en boxeur

Il aura signé des autographes, fait la bise aux petits enfants et palpé les grands sous les caméras. Le chef de l’Etat entend ainsi incarner l’opération de police pour « porter un coup d’arrêt au trafic de drogue, assurer l’ordre républicain, en faisant “place nette”. Il a mis un pied dans le quartier de la Castellane abandonné aux trafiquants de stupéfiants, après plusieurs opérations policières concernant les deux principaux gangs de Marseille.

Macron imite Poutine
sur le terrain du virilisme

« On ne cédera rien » face à « ce fléau terrible », a déclaré le chef de l’Etat en début d’après-midi, assurant vouloir « rendre la vie impossible aux consommateurs [non organisés et moins dangereux], (…) aux familles des plus jeunes qui servent de guetteurs ou autres et qui sont aussi des victimes de ces trafics ». « Accompagner, responsabiliser, dans certains cas sanctionner », a énuméré Macron.

« A Marseille et dans d’autres villes de France, c’est une opération sans précédent que nous avons lancée pour porter un coup d’arrêt au trafic de drogue, assurer l’ordre républicain, faire “place nette” », avait écrit Macron sur X à son arrivée mardi matin dans la deuxième ville de France.

L’opération « Place nette XXL » est conduite à Marseille « depuis vingt-quatre heures », selon l’Elysée. « Il y a eu une très grosse opération hier, qui va durer plusieurs semaines partout dans Marseille », a précisé le chef de l’Etat dans la cité de la Castellane, dans ls quartiers nord de la ville, abandonnés de la République, où il a commencé son déplacement. « Le but, c’est d’essayer de détruire les réseaux et les trafiquants et que les quelques-uns qui vous rendent la vie impossible s’en aillent », a-t-il annoncé lors d’un échange avec des habitants.

La première journée d’opération a donné lieu à « plus de 82 interpellations et [à] une soixantaine de gardes à vue », a déclaré Macron, sans présumer des suites données par les juges. Par ailleurs, 140 000 euros ont été saisis, selon une source officielle. Selon une source proche du dossier, 4.000 policiers et gendarmes vont être mobilisés par semaine à Marseille et dans les communes alentour, pour trois semaines au total.

« L’idée, c’est d’avoir une situation qui soit clairement assainie et d’avoir un impact très fort les prochaines semaines », a déclaré, aux côtés du chef de l’Etat, le nouveau préfet de police des Bouches-du-Rhône, Pierre-Edouard Colliex. « Ma feuille de route aujourd’hui, elle est claire : les stups, les stups, encore les stups », avait-il annoncé au début de mars lors de sa prise de fonction.

« Qu’est-ce qu’on fait pour la Palestine, M. Macron ? »

Il a pris du muscle entre les photos 2 et 1

Mais, mardi matin, Macron, accompagné aussi de la secrétaire d’Etat à la ville, Sabrina Agresti-Roubache, a surtout été interpellé sur la guerre en Ukraine, la situation à Gaza ou encore des problématiques de recherche d’emploi, lors d’un bain de foule au cours duquel de nombreux collégiens et lycéens lui ont fait dédicacer leurs carnets de correspondance.

« Aujourd’hui, qu’est-ce qu’on fait pour la Palestine, M. Macron ? », s’est indigné un habitant, Ahmed Saïd, 35 ans,  l’accusant de « verser de l’eau dans le sable » avec l’action humanitaire de la France dans la bande de Gaza. « On a donné tous les moyens qu’il faut à l’Ukraine pour pouvoir défendre ses droits. Aujourd’hui, qu’est-ce qu’on fait pour la Palestine, Emmanuel Macron ?« , s’est indigné un habitant, Ahmed Saïd, 35 ans.

Peu après, une mère de famille en pleurs a demandé au président de « faire quelque chose pour les Palestiniens » et de ne pas laisser « ces enfants mourir ».

«Nous sommes en train de perdre la guerre contre les trafiquants» : à Marseille, autopsie d’un échec collectif

«Nous sommes en train de perdre la guerre contre les trafiquants à Marseille», estime la responsable du pôle criminalité organisée du parquet de Marseille. «L’État semble mener une guerre asymétrique contre le narcobanditisme mais se trouve fragilisé face à des bandes organisées très équipées», s’alarme devant les sénateurs le président du tribunal judiciaire de Marseille, Olivier Leurent.

« Calmez vos petits CRS », lui a demandé un jeune, « cela ne sert à rien de nous les envoyer ».

49 morts en 2023, mais 4 dommages collatéraux

La visite de Macron à Marseille survient alors que plusieurs opérations policières ont eu lieu récemment concernant les deux principaux gangs – DZ Mafia et Yoda –, qui se disputent le contrôle du trafic de stupéfiants dans la deuxième ville de France.

Treize jeunes membres présumés de la DZ Mafia ont ainsi été interpellés il y a une semaine à Marseille, Rennes et dans les Alpes-de-Haute-Provence dans le cadre d’une enquête pour tentative de meurtre en Espagne. Dix d’entre eux ont été mis en examen samedi, selon le parquet de Marseille. Ces arrestations sont survenues quelques jours à peine après l’interpellation au Maroc de Félix Bingui, 33 ans, alias « le Chat », le chef présumé du clan Yoda, rival de la DZ Mafia à Marseille.

La guerre de territoire pour le contrôle des points de deal a ensanglanté Marseille comme jamais en 2023, avec 49 personnes tuées, dont quatre victimes collatérales, et 123 blessés.

Pendant que Macron jouait au petit employé de France Travail à Castellane,
le commerce de la mort se poursuivait

Les magistrats marseillais avaient alerté au début de mars au sujet de la puissance du narcotrafic. « Nous sommes en train de perdre la guerre contre les trafiquants à Marseille », s’était inquiétée Isabelle Fort, responsable du service qui s’occupe de la criminalité organisée au Parquet de Marseille, devant la commission sénatoriale d’enquête sur la lutte contre le trafic de drogues en France.

Isabelle Couderc, vice-présidente du tribunal judiciaire de Marseille

    Debut mars, les membres de la commission d’enquête sénatoriale ont enquêté sur le narcotrafic en France, se penchant sur le cas marseillais, avec un constat aussi amer qu’inquiétant. Du propre aveu des sénateurs, les parlementaires ont fait une «vertigineuse promenade au bord du gouffre», dans une ville gangrenée par un «narcotrafic de plus en plus agressif et performant». un constat vertigineux : celui d’une guerre contre le narcobanditisme que certains magistrats, sous serment et devant des sénateurs, disent «bientôt perdue», face à des trafiquants de drogue toujours plus agressifs et organisés.

    « Nous sommes en train de perdre la guerre contre le narcotrafic à Marseille » : des magistrats sonnent le tocsin

    Une « narcoville » en proie à une « guerre asymétrique entre l’Etat et les trafiquants » (Olivier Leurent, président du tribunal judiciaire)

    Un policier, à côté d’un graffiti indiquant « Par ici mes abeilles, vous trouverez du miel ouvert 10/2h 7j/7 », dans un point de deal connu des quartiers nord de Marseille,
    le 1er décembre 2023

    Décrivant une « narcoville », où l’incarcération n’empêche pas la poursuite des activités criminelles, ces acteurs en première ligne dans la lutte contre le trafic de drogue ont proposé, devant la commission sénatoriale sur le narcotrafic, des pistes fortes pour le juguler. Selon le président du tribunal de Marseille, « il y va de notre Etat de droit et de la stabilité républicaine ».

    « Nous sommes en train de perdre la guerre. » Devant la commission d’enquête sénatoriale sur le narcotrafic, les magistrats marseillais ont, mardi 5 mars, dressé un état des lieux très préoccupant de l’impact des réseaux de drogue qui gangrènent la deuxième ville de France, au point d’évoquer le terme de « narcoville ». L’explosion, en 2023, du nombre d’assassinats et de tentatives d’assassinat liés aux stupéfiants, avec une cinquantaine de morts et 123 blessés, illustre, selon Olivier Leurent, président du tribunal judiciaire, combien « la guerre est asymétrique entre l’Etat, en situation de vulnérabilité, et des trafiquants qui disposent d’une force de frappe considérable sur le plan des moyens financiers, humains, technologiques et même législatifs ».

    Si le narcotrafic n’est pas l’apanage de Marseille, la cité en est, aux yeux des magistrats, « l’épicentre, où il se manifeste dans son expression la plus violente et abîme jour après jour le tissu social ». Publiquement, ces acteurs discrets de la justice ont révélé ce qui se susurre dans les couloirs du palais de justice. Avec des modes de recrutement de tueurs de plus en plus jeunes, sur les réseaux sociaux, les risques sur la propre sécurité des magistrats se sont accrus.

    Entre jeudi 7 et vendredi 8, les membres de la Commission doivent rencontrer les acteurs de justice, les forces de l’ordre, mais aussi et pour la première fois, les familles de victimes des narchomicides.

    La commission d’enquête du Sénat veut mesurer l’impact du trafic de stupéfiants. Lancée le 27 novembre dernier et dédiée au trafic de stupéfiants en France, elle arrive à Marseille ce jeudi 7 mars.

    Une visite de deux jours. qui a pour objectif de dresser un bilan complet de ce trafic, qui gangrène la cité phocéenne depuis des années et qui a, en 2023, causé la mort de 49 personnes.

    « On a voulu ouvrir notre commission à la totalité du territoire français, car ce qui se passe à Marseille, s’étend malheureusement dans les villes moyennes, les campagnes, et c’est nouveau. C’est un phénomène qui nous inquiète énormément et il faut réagir au plus haut niveau », explique Marie-Arlette Carlotti, sénatrice PS des Bouches-du-Rhône, présidente du Haut comité pour le logement des personnes défavorisées depuis le 23 août 2015 et vice présidente de la commission d’enquête, invitée de BFM Marseille Provence ce jeudi matin.

    Rencontre avec les élus, familles de victime et visites…

    Le parc Kalliste, dans les quartiers nord de Marseille, le 10 mai 2022.
    Le parc Kalliste, dans les quartiers nord de
    Marseille 15e, dont Nadia Boulainseur (DVG) est le maire, le 10 mai 2022.

    Au programme de ces deux journées, des rencontres avec les acteurs judiciaires, les élus locaux, les forces de sécurité, les personnels et la direction du Grand port de Marseille-Fos, mais aussi une visite des Baumettes.

    « La justice d’abord, ce sont les premiers que nous verront tout à l’heure. Le procureur sera présent avec les magistrats autour de lui, car ils font un travail que les gens ne savent pas, qui est long. Le travail avec la police judiciaire est fondamental pour remonter les réseaux », souligne Marie-Arlette Carlotti.

    Autre point important soulevé par la sénatrice, une rencontre prévue avec les familles de victimes des narchomicides.

    « C’est la première fois, à Marseille, où on va rencontrer les gens qui sont les victimes, que ce soit la maman du petit dealer mort (…) C’est la première fois que les familles vont avoir la parole », indique-t-elle.

    Et d’ajouter: « moi, je les considère, comme le maire de Marseille, qui a reçu les familles lors d’un conseil municipal. Quand un enfant meurt, qu’il soit petit dealer de 15 ans, car ils ont entre 15 et 20 ans, ou qu’il soit une victime collatérale, ce sont des petits Marseillais ».

    Ces rencontres se dérouleront sous la forme d’une table ronde à la préfecture, en présence de quatre associations de familles.

    Le président de la commission Jérôme Durain (PS, Saône-et-Loire) et le rapporteur Etienne Blanc (LR, Rhône) devraient se rendre dans la cité de la Castellane, point de deal prépondérant à Marseille.

    Le procureur alerte sur le manque de moyens de la justice

    Avant cette visite en terre phocéenne à laquelle Macron a consacré une trentaine de visites qu’il a voulues chargées de promesses, la commission sénatoriale a auditionné plusieurs magistrats du tribunal judiciaire, mardi 5 mars, notamment Nicolas Bessone, le procureur de la République de Marseille et Olivier Leurent, le président du tribunal judiciaire.

    Devant les sénateurs, ces derniers ont tenu à alerter sur les lenteurs de la justice, dues aux manques de moyens. Une situation qui pourrait causer la remise en liberté de personnes mises en examen en raison des délais judiciaires difficiles à respecter.

    « C’est le risque encouru. Il n’y pas encore eu de remise en liberté, mais ça nous pend au nez. Les élucidations en matière de narchomicides ont été très importantes cette année », alertait Nicolas Bessone, invité de RMC et RMC Story mercredi.

    En 2023 à Marseille, « 70 personnes » ont été mises en examen dans des affaires de narchomicide.

    « Si nous ne renforçons pas la capacité de jugement au niveau de la cour d’Appel et de la cour d’Assises des Bouches-du-Rhône, nous risquons inéluctablement d’avoir des remises en liberté pour non-respect des délais procéduraux« , ajoutait alors le procureur de la République.

    Le risque de corruption grandit

    Nicolas Bessone appelle donc à augmenter les moyens de la justice et de la police, pour poursuivre la lutte contre le trafic de drogue à Marseille. Et, à ce titre, il demande des tribunaux spéciaux pour juger les trafiquants de drogue, qui peuvent faire pression sur les jurés.

    « La difficulté, c’est que ces faits qui sont liés à de la menace, de la terreur, sont jugés par des cours d’Assises ordinaires, pointe le procureur de la République de Marseille. Des jurés populaires rendent la justice dans un contexte de menace, de terreur et cela ne nous semble plus adapté. Qui penserait faire juger encore aujourd’hui par des jurés populaires des actes de terrorisme? », indiquait le magistrat.

    En face, les narcotrafiquants n’hésitent pas à tenter de corrompre. « Les moyens financiers de ces organisations sont illimités, déplore Nicolas Bessone. Malheureusement, chaque homme a un prix. Nous avons des enquêtes en cours. Des fonctionnaires de police et de l’administration pénitentiaires sont approchés, menacés, voire achetés », a-t-il précisé.

    Un constat que partage Marie-Arlette Carlotti. « Il est venu nous dire qu’il a besoin de moyens, que la corruption est partout, c’est affolant. Cette corruption est liée au trafic, sans ça, il n’y a pas de trafic », souligne la sénatrice et ancienne ministre déléguée chargée des Personnes âgées et des Personnes handicapées de Ayrault et Hollande.

    Après cette série de visites, d’auditions et de rencontres, la commission, composée de 23 sénatrices et sénateurs, rendra ses conclusions en mai prochain.