Vote de la loi immigration : un député Renaissance révèle des pressions de Macron

Combien de députés ont-ils été pressés comme lui de « s’abstenir » plutôt que de voter contre ?

Le président de la République lui a demandé de « s’abstenir » plutôt que de rejeter le texte, révèle Sacha Houlié. 

Le député Renaissance et président de la Commission des lois de l’Assemblée nationale assure aussi qu’il a reçu la promesse de « hautes fonctions ministérielles » en échange d’un vote favorable.

L’incorruptible député Renaissance, Sacha Houlié, a voté contre la loi immigration malgré ces promesses de proches de Macron, s’il se prononçait en faveur du texte sénatorial remanié par la Commission mixte paritaire (CMP) pour être voté largement par l’Assemblée nationale. Dans les colonnes du Monde, vendredi 5 janvier, l’élu de la 2e circonscription de la Vienne explique comment le président de la République lui a également demandé de « s’abstenir » plutôt que de rejeter le texte, mais il a choisi de maintenir sa position en raison du durcissement du projet en commission mixte paritaire, sous la pression de l’opinion. Les sondages réclamaient un renforcement de plusieurs mesures. Une décision qui souligne sa fidélité à ses convictions, puisque le parlementaire avait déjà contesté ces mesures correspondant davantage à la situation, supprimées lors du passage du texte en commission des lois à l’Assemblée nationale, instance qu’il préside, mais retablies partiellement en CMP.

Sacha Houlié justifie son vote par le fait qu’il ne veut pas approuver « un texte inconstitutionnel », alignant ainsi la position de l’aile gauche de Renaissance sur l’extrême gauche opposée à celle du camp présidentiel. Sur RTL, le président de la Commission des Lois, Sacha Houlié, a chiffré à une « trentaine » les mesures possiblement inconstitutionnelles.

Or, parallèlement, Macron a fait « en même temps » savoir qu’il n’approuve pas certaines mesures du texte enrichi de dizaines d’articles et votées démocratiquement. Il a, de surcroît, fait appel au Conseil constitutionnel pour qu’il les censure… quelques minutes avant le vote par le Sénat du projet de loi immigration, le ministre de l’Intérieur, peut être motivé par le soutien des députés RN sur ce texte, faisait un aveu. « Bien sûr, il y a encore des questions autour de ce texte. […] Des mesures sont manifestement contraires à la Constitution. Le Conseil constitutionnel fera son office, mais la politique, ce n’est pas être juriste avant les juristes ». Le Parti socialiste et LFI ont également annoncé une saisine du Conseil constitutionnel.

Une trentaine de mesures inconstitutionnelles ?

De nombreuses mesures du texte ont irrité la gauche et créé un malaise dans la majorité : conditionnement des prestations sociales non contributives, instauration de quotas migratoires, limitation du droit du sol, retour du délit de séjour irrégulier. Sur RTL, le président de la commission des Lois Sacha Houlié, qui a voté contre le texte, a chiffré une « trentaine » les mesures inconstitutionnelles.

Il peut y avoir « un sujet de rupture d’égalité » en ce qui concerne le conditionnement des prestations sociales, selon le maître de conférences en droit public, Benjamin Morel. Pour les étrangers non européens en situation régulière, les prestations comme les allocations familiales, pour le droit opposable au logement ou l’allocation personnalisée d’autonomie, un délai de carence de cinq ans est prévu pour ceux qui ne travaillent pas, et de trente mois pour les autres. Pour l’accès à l’Aide personnalisée au logement (APL), principal point d’achoppement entre la droite et la majorité présidentielle en commission mixte paritaire, une condition de résidence est fixée à cinq ans pour ceux qui ne travaillent pas, et de seulement trois mois pour les autres.

« Le gouvernement encourt une censure potentielle pour ne pas dire probable »

Le Conseil constitutionnel va devoir poser les limites de ce qui s’apparente à une forme de préférence nationale. « Le gouvernement encourt une censure potentielle pour ne pas dire probable […] Les aides sociales peuvent être conditionnées à des critères de nationalité mais pas si c’est le seul critère qui rentre en compte. Ce sont des aides sociales qui visent à permettre à une famille d’avoir une vie décente aux étrangers en situation régulière sur le territoire, et en ça, créer une inégalité avec des nationaux français, posent problème », estime Benjamin Morel.

L’instauration de quotas migratoire annuels pourrait également être contraire à la Constitution. « Demander un statut légal en France dépend de critères fixés par le législateur. Mais ces critères vous ne pouvez pas les appliquer de manière arbitraire, à géométrie variable. Si ces critères sont appliqués à une centaine d’entrants mais pas au 101e pour des raisons qui n’ont pas trait à sa situation […] C’est fondamentalement problématique », rappelle le constitutionnaliste.

La question de la rupture d’égalité se pose aussi pour la « caution étudiant », une somme à déposer par les étrangers demandant un titre de séjour « étudiant », poussée par la droite là encore.

Protection de la vie familiale

Le resserrement du regroupement familial pourrait également disparaître de la copie finale du texte. Sous la plume des sénateurs, la durée de séjour du demandeur souhaitant faire venir des membres de sa famille est portée à 24 mois (contre 18). Il devra également disposer de ressources « stables, régulières et suffisantes » et disposer d’une assurance maladie. L’âge du conjoint du demandeur devra également être de 21 ans, contre 18 ans actuellement. Une mesure qui pourrait être contraire aux principes fondamentaux qui tendent à protéger la vie familiale des individus qu’ils soient Français ou non. Elisabeth Borne a pointé l’ajout d’une condition de niveau de français élémentaire pour le conjoint : « si vous épousez demain matin un Canadien ou un Japonais, il ne peut pas rejoindre la France s’il ne parle pas bien français. On va interroger le Conseil constitutionnel ».

Cavaliers législatifs

Le rétablissement du délit de séjour irrégulier ou encore les restrictions aux droits du sol, introduits par le Sénat, pourraient, enfin, constituer des cavaliers législatifs. C’est-à-dire une mesure sans rapport avec la philosophie du texte. Supprimé en 2012 sous François Hollande afin de respecter le cadre européen qui recommande aux Etats membres de privilégier systématiquement les mesures d’éloignement aux peines d’emprisonnement. Ce nouveau délit est désormais punissable d’une peine d’amende et non plus une peine d’emprisonnement afin de se prémunir d’un risque de non-conventionalité. « Ce n’est pas dans le texte originel, ça ne répond pas forcément aux objectifs initiaux du projet de loi. Même s’il peut y avoir un lien du point de vue de la thématique […] On peut avoir des dispositions qui conduisent le Conseil constitutionnel à trancher dans le vif », observe Benjamin Morel.

Le Conseil dispose d’un maximum d’un mois pour statuer. La date, sûrement en janvier, n’est pas encore précisée.

« Faut-il être ministre d’Emmanuel Macron à tout prix ? »

Comme lui, 27 députés de la majorité ont voté contre la loi immigration et 32 autres se sont abstenus. En somme, près d’un quart de la majorité n’a pas soutenu le projet de loi Macron. Certains ministres, comme Clément Beaune, n’ont toutefois pas concrétisé leurs menaces de démission face à la version renforcée du projet de loi.

Les ministres rebelles expriment désormais leur désir de rester en poste, alors qu’une démission du gouvernement Borne semble imminente. « Faut-il être ministre d’Emmanuel Macron à tout prix ? » interroge Sacha Houlié dans le quotidien Le Monde, alors que des tensions persistent dans l’alliance présidentielle.