Jeux Olympiques: le Japon dans la tourmente de l’épidémie de covi d-19

Tout rapport entre JO et flambée virale est tabou…

Les JO de Tokyo ont duré du vendredi 23 juillet 2021 au dimanche 8 août, mais il n’est pas admis que la flambée actuelle de l’épidémie au Japon a un lien… Pourtant, le délai d’incubation de la Covid-19 est de 3 à 5 jours en général, mais peut s’étendre jusqu’à 14 jours.

Or, depuis, rien ne va plus au Japon qui avait pourtant réussi à limiter la crise sanitaire du Sars-CoV-2 jusqu’à très récemment. Cependant, depuis juin dernier et la propagation du très contagieux variant Delta, le nombre de cas est en hausse constante, tandis que le pays s’est lancé dans une importante campagne de vaccination depuis le mois de mai. Cette situation n’est pas propre au Japon, et touche toute l’Asie du Sud-Est qui avait pourtant jusque-là réussi à limiter la contagion – et les décès – lors des vagues précédentes.

Moderna, le raté

Vaccination à Kitaaki près de Nagano, avril 2021

Du côté de la vaccination, les choses se compliquent depuis quelques jours. Après le retrait d’1,63 million de doses, les autorités japonaises ont décidé de suspendre définitivement le vaccin Moderna après qu’un million de doses contaminées supplémentaires ont été trouvées, dans la préfecture de Gunma, près de Tokyo, portant le tout à 2,6 millions.

Cette décision fait suite à l’annonce par le ministère de la Santé de l’ouverture d’une enquête sur la mort de deux hommes âgés de 30 et 38 ans après avoir reçu des doses de vaccin Moderna venant de lots contaminés. Le laboratoire a même confirmé aujourd’hui la présence de particules métalliques dans 1,6 million de doses envoyées au Japon, assurant qu’il n’y a pas pour autant de « risques excessifs » pour les personnes injectées. Moderna a analysé l’un des trois lots en question, et la particule retrouvée s’est révélée être de «l’acier inoxydable», selon un communiqué commun avec le groupe pharmaceutique japonais Takeda, qui importe et distribue le vaccin dans l’archipel nippon.

Le problème provient d’une ligne de production d’un sous-traitant en Espagne, Rovi, qui produit les vaccins de Moderna pour les marchés hors Etats-Unis, qui d’après son enquête a identifé comme « cause la plus probable» une «friction entre deux pièces de métal installées dans le module de pose de bouchons de la ligne de production, à cause d’un mauvais montage». Les doses de ces trois lots seront retirées du marché à partir de jeudi.

«Des particules métalliques de cette taille injectées dans un muscle pourraient provoquer une réaction locale, mais ne devraient a priori provoquer d’autres réactions graves au-delà de l’endroit de l’injection», ajoute le communiqué, qui conclut qu’il «n’est pas attendu que l’injection des particules identifiées dans ces lots au Japon résulte en un risque médical accru», concluent-ils. Les deux entreprises ont rappelé ce mercredi qu’ «il n’y a pas de preuve» que les deux décès sus-mentionnés soient liés à l’administration du vaccin, tout en appelant à la poursuite de l’enquête. Certaines régions japonaises ont suspendu des injections du vaccin suite à la découverte d’autres lots contaminés, que le communiqué n’évoque pas.

La population du Japon est la plus âgée au monde et les personnes âgées sont déjà très largement vaccinées, le gouvernement concentre donc actuellement ses efforts sur les 20-40 ans.
 

L’imbroglio de l’ivermectine

Un hôpital américain a été contraint par un juge de l’Ohio
de délivrer à un malade de la Covid-19 de l’ivermectine,
ce lundi 30 août,
malgré l’absence de preuves de son efficacité contre le virus. 

Devant la recrudescence des infections, le docteur Haruo Ozaki, directeur de l’Association médicale de Tokyo, s’est exprimé lors d’une conférence de presse le 13 août et a mis en avant l’ivermectine, appelant à sa généralisation par les médecins généralistes. Sa déclaration s’appuyait sur les résultats obtenus par les pays africains où la molécule avait été prescrite. Comparant différents pays d’Afrique, il a déclaré : « Dans les pays qui donnent de l’ivermectine, le nombre de cas est de 134,4 pour 100.000 et le nombre de décès est de 2,2 pour 100 000. Dans les pays qui n’utilisent pas l’Iivermectine, le nombre de cas est de 950,6 et le nombre de décès est de 29,3. »

L’ivermectine, produit Merck, est une molécule inventée par le Japonais Satoshi Ōmura et l’Irlandais William Campbell qui ont obtenu le prix Nobel pour leur découverte. Si elle a la fonction thérapeutique première d’être une molécule déparasitaire, de nombreuses études récentes montrent qu’elle agit contre la covid-19. Elle aurait une fonction antivirale, mais également anti-inflammatoire, selon le docteur Robert Malone et aurait permis « d’écraser les courbes » dans certaines régions des Etats-Unis où l’épidémie flambait, selon le professeur américain Peter McCullough.

Même si cette molécule n’est pas officiellement reconnue par l’Organisation mondiale de la santé, OMS qui déconseille de la prescrire en-dehors des essais cliniques, de plus en plus de médecins dans le monde déclarent l’utiliser avec succès, tandis qu’elle est officiellement prescrite dans des pays comme l’Inde et le Mexique. Les Indonésiens s’arrachent aussi l’ivermectine, comme aux Philipines, au Brésil, en Afrique du Sud ou au Liban.

Pour mémoire, en mai 2020, lorsque l’épidémie arrive au Japon, le gouvernement nippon accepte qu’on prescrive l’ivermectine « hors usage conventionnel » contre la covid. A cette époque, il n’y avait ni la pression internationale contre l’ivermectine, ni les vaccins. Cependant, si le pays est enregistré dans la liste de ceux qui autorisent l’ivermectine, la mention « hors usage conventionnel » en limite l’accès pour les patients et ceci pour plusieurs raisons.

D’abord, les médecins qui l’utilisent pour soigner la covid-19 engagent leur responsabilité en cas de problème. Si l’ivermectine est une molécule pour laquelle on dénombre moins d’effets secondaires que pour le Doliprane, peu de médecins prennent le risque de la donner à leurs patients. Si le patient a un accident de santé après la prise de cette molécule, il ne sera pas pris en charge par le système de santé.

L’autre problème vient de la distribution de cette molécule qui n’a pas de site de production sur son territoire. C’est la société américaine Merck qui livre le Japon. Or, Merck aurait, d’après des sources locales décidé d’en limiter l’accès, en refusant de la livrer en traitement anti-covid. Par conséquent, on peut penser que si l’ensemble des médecins commençait à la prescrire contre la covid-19, il est probable que le pays connaîtrait des ruptures de stock très rapidement.

Depuis septembre 2020, la situation a évolué, l’OMS exerçant une pression contre l’ivermectine au profit de la vaccination.

Dans ce contecte, l’appel du docteur Haruo Ozaki peut-il changer la situation en matière de traitement précoce ?
 

Le poids de la culture

Il est trop tôt pour connaître l’impact de cette déclaration, mais lorsqu’on connaît la culture japonaise, on peut en douter. Dans ce pays, nul besoin de contrainte légale : l’obéissance et la prudence règnent et des règles sociales très fortes s’exercent sur chaque citoyen, habitué à suivre le groupe. Des comportements volontaires plutôt que des situations imposées expliquent l’absence d’insubordination, dans un pays où les citoyens qui ne suivent pas les recommandations officielles le taisent et où on est très rapidement vu comme un marginal si l’on évoque une question de santé publique. Même si des media alternatifs existent, leurs présence ne permet pas la constitution de débats dans un pays où il est malséant de parler de politique.

C’est sous cet angle que l’on doit comprendre la gestion de la crise sanitaire dans ce pays où il n’y a eu ni interdiction, ni amendes, ni confinement, les citoyens pratiquant “l’auto-limitation” en restant chez eux. Une discipline qui explique qu’il n’y ait pas la même opposition au vaccin que dans d’autres pays. Paradoxalement, comme en Europe ou aux Etats-Unis, il n’y a pas pour autant de « religion du vaccin » : les effets secondaires ne sont pas cachés, les personnes concernées en parlent simplement et le gouverment a déjà commencé à indemniser les familles des personnes décédées suite à l’injection.


Une question géopolitique

L’autre facteur qui explique la gestion de la crise sanitaire est la géopolitique. En effet, il faut comprendre les positions officielles des autorités japonaises en matière de santé publique à la lumière des relations que le pays entretient avec les États-Unis, et ce depuis la fin de la Seconde guerre mondiale. Suite à sa défaite militaire, le rôle international du Japon a été bridé et le pays est dépendant des Etats-Unis, notamment en matière de sécurité. Depuis 1951 et la signature du traité de San Francisco, le Japon s’est engagé à suivre une politique pacifiste, en contrepartie d’une sécurité garantie par les Américains. Très critiques de cette politique de soumission, les universitaires japonais Inoguchi Takashi et Purnendra Jain ont qualifié dans le livre Japanese Foreign Policy Today publié en 2000 les relations politiques des deux pays comme la « diplomatie karaoké », ce qui signifie que Tokyo joue et chante la musique fixée par Washington, lequel reste le chef d’orchestre en matière d’orientation de politique étrangère.

Ce qui vaut en politique étrangère est transposable en matière sanitaire : depuis le début de la crise, le Japon a suivi en tout point la politique américaine et les recommandations de l’OMS. L’alignement sur l’Occident prévaut : si l’hydroxychloroquine ou l’ivermectine n’ont jamais été reconnues comme des molécules pouvant traiter la maladie de la covid-19, les autorités n’ont pas hésité à approuver le remdesivir de l’américain Gilead.

Pour des raisons également géopolitiques, les autorités sanitaires nippones ont refusé les vaccins chinois et choisi d’importer les vaccins américains Moderna et Pfizer. Cependant, avant de se décider à vacciner sa population, les autorités japonaises s’étaient montrées extrêmement prudentes, demandant plus d’informations aux laboratoires que tout autre pays développé.

Et depuis juillet 2021, le Japon est le premier pays au monde à homologuer le cocktail d’anticorps du groupe pharmaceutique suisse Roche, développé avec le laboratoire américain Regeneron pour les formes légères à modérés de la covid-19, un traitement qui coûte plusieurs milliers d’euros pour chaque patient.

Malgré les crises et les scandales des derniers jours, notamment à propos du vaccin Moderna et « cri » du docteur Haruo Ozaki, il y a donc peu de chances que le pays connaisse une inflexion importante en matière de traitement de la covid-19 pour une population qui est structurellement amenée à suivre dans son immense majorité les recommandations officielles. Et pourtant, la vaccination complète de la population, jugée inéluctable par un Français établi au Japon, ne suffira peut-être pas : une étude de l’université d’Osaka en pré-publication avance que « le variant delta est sur le point d’acquérir une complète résistance aux vaccins sur la protéine Spike de la souche initiale », par un mécanisme d’anticorps facilitants. Un article à prendre des pincettes, car il ne s’agit que d’une étude in vitro qui n’a pas encore été revue par les pairs. Il faudra suivre si le pays du Soleil-levant persiste sur son choix de privilégier le vaccin, ou si, comme le dit le proverbe japonais, 昨日の花は今日の夢 : « la fleur d’hier est devenue le rêve d’aujourd’hui« .

Repoussés d’une année à cause de la pandémie, les JO de Tokyo ont finalement bien eu lieu, mais ils ont dû se battre contre un adversaire particulièrement coriace et il semble aujourd’hui avoir pris l’avantage.

Remdésivir inefficace : la Commission européenne s’est laissé contaminer par Gilead

La Commission européenne est-elle assez fiable pour recommander la vaccination?

Mais alors, que sont devenus les malades traités au remdésivir?

A l’Assemblée nationale, en réponse aux soupçons du professeur Didier Raoult sur des conflits d’intérêts qui l’auraient incitée à favoriser le remdesivir du laboratoire Gilead contre l’hydroxychloroquine face à la Covid-19, l’infectiologue parisienne Karine Lacombe avait nié: « Je n’ai jamais eu le sentiment qu’il y ait eu un médicament plus poussé qu’un autre, avait affirmé la cheffe du service des maladies infectieuses de l’hôpital Saint-Antoine (AP-HP), à Paris, jeudi 25 juin.

Je ne peux pas croire [la foi des scientifiques] que, dans une situation sanitaire aussi exceptionnelle, il y ait eu de la part du Conseil scientifique, de la HAS [Haute autorité de santé] ou de l’Agence du médicament (ANSM), une volonté de ralentir l’arrivée sur le marché de médicaments, […] simplement parce qu’il y avait un laboratoire, aussi puissant puisse-t-il être, qui aurait exercé des pressions, avait imaginé la savante devant la Commission d’enquête sur la gestion de la crise du coronavirus.

Or, dans un entretien du 24 mars, elle démontait la méthodologie des études sur l’hydroxychloroquine, et venait ensuite expliquer aux députés la différence entre conflits et liens d’intérêt…

Depuis le 20 novembre, l’OMS déconseille le Remdésivir pour traiter le Covid.

En octobre, la Commission européenne avait signé un contrat pour permettre aux Etats européens d’acheter jusqu’à 1,2 milliard de dollars de ce traitement. L’institution s’est-elle fait berner ? Les savants de Paris ont-ils participé ?

I – Résultats de l’OMS : fin de partie pour le Remdésivir

Un tournant dans l’interminable feuilleton de la course au traitement contre le Covid-19 ? Vendredi 20 novembre, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a rendu un avis négatif contre le Remdésivir, produit par le laboratoire américain Gilead, faute de preuves quant à son efficacité.

La recommandation de l’OMS estime que « les éléments de preuve ne laissent entrevoir aucun effet significatif sur la mortalité, le recours à la ventilation mécanique, l’accélération de l’amélioration de l’état clinique et d’autres résultats sanitaires importants du côté du patient. » Elle s’appuie sur les résultats de quatre essais cliniques internationaux – 7.000 patients au total – notamment Solidarity, l’étude de l’OMS, dont les résultats préliminaires ont été publiés le 15 octobre. Ceux-ci statuaient déjà en défaveur du Remdésivir.

L’enjeu de ces annonces est de taille et les regards se tournent vers la Commission européenne. Au mois d’octobre, cette dernière a en effet conclu un contrat avec le laboratoire Gilead, qui permet toujours aux États européens d’acheter jusqu’à 1,2 milliard de dollars de Remdésivir. De l’argent jeté par les fenêtres ?

II – Comment la Commission européenne a-t-elle été amenée à faire confiance à Gilead ?

Reprenons la chronologie des événements. Le registre de transparence de la Commission [accessible ici] rend compte des rencontres entre la commissaire européenne à la santé, Stella Kyriakides, et la direction de Gilead. Dès le 7 avril, il est question de « discussions sur les potentiels traitements et les essais cliniques en cours« . A cette époque, la France et l’Europe remettent leurs choix de traitement à Discovery et Solidarity, les deux grandes études dites « randomisées » de l’OMS dont la crédibilité méthodologique est attendue comme juge de paix.

Rencontres entre la commissaire européenne à la santé, Stella Kyriakides, et la direction de Gilead.
Source : Registre de transparence de la Commission européenne.

Le 29 avril, les résultats d’une autre étude, sur le sol américain, des National Institutes of Health (dite « ACTT-1 ») sont rendus publics : s’ils ne montrent aucun effet sur la mortalité, ils évoquent une efficacité relative du Remdésivir, sur la durée de rétablissement clinique. Deux jours plus tard, tout s’accélère pour Gilead : la FDA, l’agence américaine des médicaments, délivre une autorisation de mise sur le marché d’urgence et le patron de la firme, Daniel O’Day, annonce faire œuvre de charité en… « donnant » tout son stock aux patients américains.

Retour en Europe. Le 6 mai, une visioconférence a lieu entre la commissaire à la Santé, la Chypriote Stélla Kyriakídou, et Gilead. Les deux parties évoquent « les besoins des Etats membres et la distribution du Remdésivir en cas d’autorisation de mise sur le marché. » Nous voici le 25 juin, bonne nouvelle pour Gilead : le Remdésivir devient le premier traitement à recevoir une autorisation conditionnelle de mise sur le marché européen par l’Agence européenne des médicaments (EMA). Le 6 juillet, nouvelle visioconférence : Stella Kyriakidou et Gilead planchent sur « la future stratégie pharmaceutique » des deux bords. Côté français, le 15 juillet, la France s’aligne et accorde une autorisation temporaire d’utilisation (ATU) au Remdésivir. 28 juillet : la commissaire européenne Stella Kyriakidou passe un contrat à hauteur de 63 millions d’euros avec Gilead, pour 33.380 patients, via l’instrument d’aide d’urgence (ESI). Un fonds qui puise dans le budget de l’Union européenne, géré de manière centralisée par la Commission pour faire face à la crise sanitaire. En août et en septembre, la Commission livre ces stocks aux Etats qui le demandent, dont la France.

Nous voici en octobre, et son contexte de risque de deuxième vague. Gilead souhaite fournir l’Europe mais sans signer un accord avec chacun des Etats. Le laboratoire cherche à se préserver, en cas de malheur, de plaintes, de procès et de demandes d’indemnisation: il éloigne de lui les plaignants en créant une strate supplémentaire. Le laboratoire et la Commission européenne procèdent alors d’une autre façon. Ils signent, le 8 octobre, un « accord de passation conjointe de marché« . Explications : ce « contrat-cadre » fournit aux Etats européens un accès privilégié au Remdésivir mais c’est à chacun d’entre eux de régler la note via leurs budgets nationaux. Le montant maximal des potentiels achats européens à Gilead grâce à ce contrat ? 1,2 milliard de dollars, à raison de 2.440 dollars par patient traité, selon Reuters. Un montant élevé, quand on sait que son coût de fabrication est estimé à 5.58 dollars, selon les calculs d’une équipe de chercheurs. Par crainte d’une pénurie, de nombreux Etats européens ont passé commande. Soit 640.000 doses (il faut six doses pour traiter un patient), comme le relate l’enquête du Monde.

Mais en plus d’être chers, ces traitements vont devenir encombrants. Une semaine après la signature du contrat-cadre par la Commission européenne, les résultats préliminaires de l’essai clinique Solidarity annoncés par l’OMS le 15 octobre soulignent l’inefficacité du Remdésivir.

La Commission n’était donc pas au courant de ces résultats à venir ? Dans une enquête sur les méthodes de Gilead, le magazine américain Science a interrogé un porte-parole de la Commission. Selon lui, les mauvais résultats de Solidarity, dont Gilead a eu connaissance dès le 23 septembre, n’ont pas été révélés lors des négociations ayant donné lieu au contrat du 8 octobre. Et la Commission n’en a été informée que… le lendemain de la signature de son contrat avec Gilead.

De son côté, la firme américaine s’est justifiée de ce silence auprès de la Commission en affirmant n’avoir reçu à l’époque que des données trop « fortement expurgées » pour lui transmettre. Dans Le Monde, la virologue française Marie-Paule Kieny, qui, pour l’OMS, a participé à Solidarity, donne son avis partisan sur la situation : « Il y a un problème de transparence si la société Gilead – qui connaissait les résultats – n’a pas signalé à la Commission européenne leur existence. Il est aussi regrettable que la Commission n’ait pas pris des renseignements auprès de l’OMS sur l’avancée du plus gros essai mené avec le Remdésivir.« 

III – La méthode Gilead : Solidarity a tort; l’étude »ACTT-1″ a raison

Depuis le désaveu de l’OMS, Gilead continue de défendre le Remdésivir mordicus. Pour cela, la stratégie de Gilead repose sur deux piliers : la relativisation des données de ‘Solidarity‘ (essai clinique international initié en 2020 par l’Organisation mondiale de la santé) pour l’un, et la promotion systématique de l’essai dirigé par les instituts de santé américains (dit « ACTT-1 ») pour l’autre. Celui qui a permis l’autorisation de mise sur le marché de son traitement aux Etats-Unis et en Europe.

Pour relativiser l’échec de l’essai clinique Solidarity  – étude comparée de l’effet de divers traitements (quatre molécules repositionnées (remdésivir, hydroxychloroquine, lopinavir et interféron), sur des patients hospitalisés atteints de maladie à coronavirus 2019 (Covid-19) –, le jour de la sortie de ses résultats préliminaires, le 15 octobre, le laboratoire a estimé que la validité de l’évaluation était remise en cause par le fait qu' »on ne sait pas si des données concluantes peuvent être tirées des résultats de l’étude« . Dans une lettre ouverte, le 22 octobre, le médecin en chef du laboratoire conteste la rigueur méthodologique de l’OMS (qui dépend directement du Conseil économique et social des Nations unies, basée à Genève) en expliquant que ses tests ont été effectués dans des « régions du monde qui ne participent généralement pas aux études mondiales« , et évoque « la variabilité de la mise en œuvre de l’étude, des contrôles standards des soins et des populations de patients entre les sites d’essai. » Il vante par ailleurs l’étude américaine « ACTT-1 » avec obstination : « Nous savons [!] d’après l’essai « ACTT-1 » que le Remdésivir conduit à une récupération plus rapide de cinq jours chez les patients hospitalisés. » Le groupe a également utilisé les media pour diffuser cet argument. Dans le magazine L’Express le 2 novembre, deux cadres du groupe américain, Diana Brainard et Michel Joly, affirment : « L’essai dirigé par les National Institues of Health (« ACTT-1 ») démontre que notre traitement réduit de cinq jours la durée des symptômes.« 

Ampoule de Remdésivir.

Cette affirmation des « cinq jours de récupération gagnés chez les patients hospitalisés » via l’étude «  »ACTT-1″ » est devenue l’alpha et l’oméga de la rhétorique de Gilead. Puis, pour faire preuve de sérieux, le groupe nuance à son tour les résultats de Solidarity : « Nous restons très prudents quant à l’interprétation des résultats de Solidarity. Nous préférons attendre qu’ils soient publiés dans une revue scientifique et validés par des pairs indépendants. (…) Pour enrôler autant de patients dont les systèmes de soins diffèrent, ils ont dépriorisé la collecte rigoureuse de données.« 

La question reste entière: l’OMS et Solidarity souffrent-elles de problèmes de rigueur ? Les attaques de la part de cadres de Gilead ont provoqué la colère des scientifiques qui ont dirigé l’étude, dont la Française Marie-Paule Kieny. « C’est épouvantable de voir comment Gilead tente de dénigrer Solidarity, a-t-elle déclaré dans Science. (…) Prétendre que cet essai n’a aucune valeur parce qu’il se déroule dans des pays à faible revenu est une injure.« 

VOIR et ENTENDRE (vers 17′) Marie-Paule Kieny, directrice de recherche à L’Inserm (résidente de Suisse où la Covid bondit actuellement), vaccinologue, présidente du comité scientifique vaccin, ancienne sous-directrice de l’OMS, mais grand-mère qui n’est pas solidaire de ses congénères et entend aller chercher ses petits-enfants à l’école (quoi qu’en dise le premier ministre Castex), et Mathias Wargon, chef brut de décoffrage des urgences SMUR de l’Hôpital Delafontaine à Saint-Denis, qui déblatère sur tout le monde, mais « qui se met en valeur » volontiers dans les media, de son propre aveu, tout en ne tolérant pas qu’un avis contraire puisse s’exprimer dans les media, invités de Nicolas Demorand dans le Grand entretien de… France Inter, attaquer leurs contradicteurs, dont « Raoult », comme le dit l’époux vulgaire de la secrétaire d’Etat auprès du ministre de la Transition écologique et solidaire, mais aussi les réseaux sociaux diabolisés:

« Les media ont fait de certains, qui avaient des positions scientifiques qui ne tenaient pas, des vedettes »

Philippe Froguel, professeur au CHU de Lille et à l’Imperial College de Londres, apporte à Marianne son éclairage : « C’est une technique très classique des grands labos pour décrédibiliser une étude, que Servier a utilisée dans l’affaire du Mediator : ‘pile je gagne, face tu perds’. Une petite étude ? Elle est trop peu significative. Une grosse étude ? Ses critères sont trop peu rigoureux car parmi les patients certains viennent de pays trop lointains. Gilead parvient alors à mettre en doute les résultats de Solidarity. »

« On peut trouver une efficacité à toute étude si l’on retient seulement les patients qui ont les yeux bleus et une jambe de bois. » (Marie-Paule Kieny)

Quid, maintenant, du second argument massue de Gilead, ces « cinq jours de récupération gagnés chez les patients hospitalisés » que suggère l’étude « ACTT-1 » ? Rappelons d’abord qu’elle a été menée en partenariat avec les instituts de santé américains. Mais surtout que, selon une enquête du Washington Post, les chercheurs du gouvernement chargés de l’étude ont modifié les critères d’évaluation du Remdésivir pendant son déroulement : « Le taux de mortalité comme mesure primaire des résultats a été retiré, remplacé par le temps que mettent les patients à se rétablir. » Ce changement de critère (consultable sur le site gouvernemental qui supervise les essais cliniques américains) opéré deux semaines avant les autorisations émises par l’agence américaine des médicaments (FDA) et la première invocation de ces « cinq jours de récupération gagnés », avait suscité la consternation des spécialistes en essais cliniques interrogés par le Washington Post. Comme Henry Drysdale, expert en transparence des essais cliniques de l’Université d’Oxford : « Il est extrêmement inquiétant que ces résultats très importants aient été écartés du résultat principal.« 

Dans Science, Marie-Paule Kieny procède par métaphore pour décrire les biais de Gilead et son obstination à s’en remettre à l’étude américaine « ACTT-1 » : « On peut trouver une efficacité à toute étude si l’on retient seulement les patients qui ont les yeux bleus et une jambe de bois.« 

IV – La Commission européenne reprend la défense de Gilead

« ACTT-1 » ou non, depuis, l’étude de l’OMS a fourni ses résultats. Dès lors, une question se pose : comment la Commission européenne, qui a signé un tel contrat avec Gilead, considère-t-elle les conclusions de l’OMS ? Cette dernière s’explique : « Nous prenons note que l’OMS a maintenant mis à jour ses lignes directrices sur l’utilisation du Remdésivir. L’Agence européenne des médicaments a demandé les données complètes de Solidarity à l’OMS et évaluera les preuves de l’essai Solidarity, ainsi que d’autres données disponibles, pour voir si des modifications sont nécessaires à son autorisation de mise sur le marché. Pour le moment, il n’y a aucun changement aux utilisations autorisées de Remdésivir.« 

Si une nouvelle étude de l’Agence européenne des médicaments est en cours, la Commission européenne ne se déjuge pas sur le Remdésivir pour le moment. La virologue Marie-Paule Kieny n’a  guère de doute sur la suite : « Les données complètes de Solidarity viendront compléter prochainement les données préliminaires déjà publiées et renforceront sans nul doute les résultats déjà communiqués, » assène-t-elle.

La Commission européenne préfère donc justifier sa position et l’autorisation de mise sur le marché européen du Remdésivir en invoquant l’étude « ACTT-1 » et l’argument des « cinq jours de récupération gagnés ». Elle affirme : « L’autorisation de mise sur le marché conditionnelle du 3 juillet 2020 est basée sur un essai randomisé (« ACTT-1 »), qui a montré une amélioration du temps de récupération chez les patients hospitalisés. Plus précisément, dans la population globale de l’étude, les patients traités par Remdésivir se sont rétablis après environ 11 jours, contre 15 jours pour les patients sous placebo. » Au moins 220 millions d’euros empochés.

« C’est cynique, mais Gilead est dans son rôle en signant des contrats, tout en sachant que les résultats sont négatifs, ils font comme toutes les entreprises : tout ce qui n’est pas illégal pour se vendre est du registre du possible. Le vrai problème, c’est que la Commission ait donné son feu vert dans ces conditions« , résume Philippe Froguel. Comment expliquer une telle confiance en Gilead de la part de la Commission européenne ? Le registre de transparence de la Commission [consultable ICI] nous renseigne sur le budget annuel de Gilead en lobbying auprès des instances européennes : environ 800.000 euros, en 2019. Mais il s’agit de pratiques courantes pour la Commission, d’un montant comparable à ceux des autres labos : 300.000 euros pour AbbVie et 800.000 pour Pfizer sur la même période.

Les regards se tournent désormais vers l’exécutif européen, alors que les annonces de Solidarity risquent de mettre un coup d’arrêt aux commandes de Remdésivir. Et que Gilead risque de ne pas atteindre le pactole potentiel de 1,2 milliard de dollars. L’enquête du journal Le Monde dénombre 640.000 doses déjà vendues, lesquelles ont rapporté plus de 220 millions d’euros à Gilead. Toujours selon le quotidien, trente-sept pays, dont certains n’appartenant pas à l’Union européenne, mais que la Commission a incorporé au contrat, ont apposé leur signature avec Gilead. Et il est désormais impossible pour eux de renoncer à celles-ci, ni de renégocier les prix durant les six prochains mois. La Belgique, par exemple, a dépensé 4.3 millions d’euros via ce contrat, et la commande a été passée après les résultats négatifs de Solidarity, rendus le 15 octobre. Dans la presse, le ministre de la Santé belge a expliqué qu’il ne prenait en compte « que les directives européennes« , celle de la Commission et de l’Agence européenne du médicament, favorables au traitement.

V – La France et le Remdésivir : une relation complexe

La France tente-t-elle un coup de poker ? Comme l’explique Le Monde, elle fait exception parmi la frénésie de commandes d’octobre. Notamment grâce à un garde-fou. La Haute Autorité de santé a considéré le 17 septembre que le service médical du Remdésivir est faible et que l’accès à son remboursement n’est pas justifié, en statuant sur les résultats de l’essai ACTT-1.

Reste que si la France n’a pas participé à cette commande groupée, les directives de la Direction générale de la santé (DGS), appuyées sur celles de la Commission européenne, ont conduit, jusqu’à ce mois de novembre, à l’utilisation des stocks de Remdésivir payés par la Commission en juillet, malgré les avis négatifs de la Haute autorité de Santé. C’est ce que prouve une note de la DGS, signée par Jérôme Salomon, qui a fuité dans la presse, ci-dessous. Datée du 14 octobre, elle invoque « l’autorisation de mise sur le marché conditionnelle de la Commission européenne« , et annonce une « mise à disposition des prescripteurs hospitaliers des doses allouées par la Commission européenne« . Cette note suggère aux hospitaliers de passer outre la fin de l’autorisation temporaire d’utilisation (ATU) du traitement en France, qui a eu lieu le 23 octobre. Et évoque des livraisons de Remdésivir aux hôpitaux allant jusqu’au 1er novembre (semaine 44).

Note de la Direction générale de la Santé (DGS) en date du 14 octobre.
© Document « Marianne ».

D’où une situation plus qu’ubuesque sur le terrain, où des stocks de Remdésivir ont continué d’affluer jusqu’à début novembre malgré les résultats négatifs de l’annonce finale de l’OMS du 20 novembre. Un infectiologue parisien, très gêné par les consignes de prescription de Remdésivir du pharmacien-chef de son hôpital, témoigne : « Certains hôpitaux parisiens utilisaient encore le Remdésivir jusqu’à fin novembre. Ces prescriptions qui s’assoient sur les recommandations de la Haute autorité de Santé [HAS] et de l’OMS montrent l’influence de la démarche de la Commission européenne. Certains ont tout de même refusé le Remdésivir, d’autres y recourent toujours dans leur protocole de soin. » Alors que le protocole du professeur Raoult, à base d’hydroxychloroquine, est banni.

Des difficultés avec les soignants français qui ne perturberont que peu le géant américain. De son côté, alors que l’OMS vient d’annoncer l’inefficacité de sa molécule, il a vu son chiffre d’affaires trimestriel augmenter de 17 % à 6,58 milliards de dollars : près de 900 millions de dollars supplémentaires. 2020, une belle année pour Gilead au bout du compte.

Défiance des Français pour les savants : la campagne de vaccination pourrait en pâtir

Sans surprise, les Français demeurent méfiants face à l’arrivée d’un vaccin contre le Covid-19. D’après un récent sondage Ipsos, seuls 54% de nos concitoyens seraient disposés à se faire vacciner dans l’année où il sera disponible. « On est sur une défiance en France bien supérieure à nos voisins », explique la Fondation Jean-Jaurès. Ils étaient encore 59% (+4%) en août. Un faible score, comparé à ceux du Brésil, de la Corée du Sud ou encore de la Chine, où l’acceptation dépasse les 80%, et alors que le Royaume Uni ouvre ce lundi sa campagne de vaccination.  

Les récents débats entre scientifiques ont « largement sapé » la confiance des citoyens envers les institutions scientifiques, observe Antoine Bristielle, professeur agrégé en sciences sociales et auteur de l’étude.

Depuis le début de l’épidémie de Covid-19, « le taux de confiance dans les scientifiques a chuté de 95 % à 75 %« , indique Antoine Bristielle, mardi 17 novembre. Selon lui, « c’est extrêmement problématique pour avoir un assentiment vis-à-vis de la politique sanitaire et sur le vaccin en particulier ».

Antoine Bristielle : Ce sont des chiffres qui sont extrêmement importants. Donc si on regarde, il y a à peu près 54% seulement des Français qui accepteraient de se faire vacciner alors que chez nos voisins allemands, par exemple, c’est 69%, au Royaume-Uni c’est 79%. Donc, on est en France sur une défiance par rapport au vaccin contre le Covid qui est bien supérieure à nos voisins.

Cette défiance par rapport au vaccin ne date pas d’hier d’ailleurs ?

Non, en France on est défiant globalement par rapport au vaccin et c’est sûr que c’est renforcé avec le vaccin contre le Covid, vu qu’il n’y a pas forcément de recul par rapport à celui-ci. C’est d’ailleurs une des raisons pour lesquelles beaucoup de personnes déclarent être, à l’heure actuelle, réticentes à se faire vacciner. C’est aussi une peur des effets secondaires.

Ce sont les débats entre les scientifiques depuis des mois qui alimentent ça ?

Oui, bien sûr. Sur certains plateaux de télévision [les réseaux sociaux ne sont pas coupables ?], il y a eu une telle mise en scène, parfois artificielle, de controverses entre des scientifiques qu’on était dans une sorte de brouhaha permanent qui fait que l’autorité scientifique a été largement sapée. Et on a cette perte de la confiance envers les institutions scientifiques.

LIEN PaSiDupes sur la défiance des Français face à la vaccination contre la Covid

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