La présidentielle, tribune de la gauche révolutionnaire

Marxiste de l’intersectionnalité, le cheminot de SUD-Rail Anasse Kazib, un séparatiste, est candidat à la présidentielle.

« L’Histoire de la France s’est fondée sur le colonialisme et l’impérialisme, » selon ce Franco-marocain décolonial et pro-palestinien.

Après le facteur, on demande le cheminot ! Dans le grand jeu des sept familles de l’extrême gauche, est apparu un nouveau personnage : Anasse Kazib, 34 ans, aiguilleur, père de deux enfants, gagnant 1 700 euros par mois et… candidat annoncé à la présidentielle, revendiquant 150 parrainages. Doté d’un vrai franc-parler et d’un sens certain de la polémique, le syndicaliste trotskiste à SUD-Rail Anasse Kazib affirme faire souffler un « vent de fraîcheur » sur une extrême gauche un peu poussiéreuse, mais, en dépit sa jeunesse, son discours fleure le marxisme nauséabond des années 1960 : refus des étiquettes politiques, vocabulaire au classicisme suranné – « lutte des classes », « impérialisme », « oppressions »… Tout y est.

Seule vraie nouveauté, l’usage intensif des réseaux sociaux et l’intégration des marqueurs d’une pensée clairement intersectionnelle et décoloniale (tout en prétendant ne pas voir de quoi il s’agit, sacrés trotskistes…). En froid avec ses anciens amis du Nouveau Parti anticapitaliste (NPA), le candidat se lance avec l’étiquette Révolution permanente, nom d’une scission politique, dont l’extrême gauche française a le secret. Repéré lors des manifestations de cheminots en 2018, Anasse Kazib est régulièrement invité sur les plateaux d’émissions populaires, comme Les Grandes Gueules (RMC, groupe BFM) ou Touche pas à mon poste (C8). Sandrine Rousseau a désormais de la concurrence médiatique ! Discussion fleuve éclairante – parfois agaçante – sur les vents contraires qui balaient la gauche extrémiste…

Le Point : Vous vous êtes fait connaître comme cheminot SUD-Rail, puis comme militant NPA, maintenant comme membre de Révolution permanente… Qu’est-ce que ‘Révolution permanente’ ?

Anasse Kazib : ‘Révolution permanente’ [filiale du NPA] est, à l’origine, une tendance du Nouveau Parti anticapitaliste. Au bout de plusieurs années où les désaccords politiques se sont accumulés, nous avons été, disons, poussés vers la sortie après l’annonce de ma précandidature à la présidentielle en avril dernier.

Quelles sont vos lignes de fracture politique ?

Elles portent sur des questions de stratégie et sur le type d’organisation à construire. Nous avons toujours considéré que le NPA, qui prévoyait le regroupement des anticapitalistes, manquait d’une boussole stratégique claire, d’un projet en positif, communiste et révolutionnaire. Au fil des années, cette absence de projet l’a souvent amené à se diluer dans des fronts avec des gens qui ont une autre ligne stratégique, comme LFI. Et il y a aussi d’autres désaccords de plus longue date, comme la question du rapport aux directions syndicales ou encore de l’abandon de la perspective de ce que Marx appelait la dictature du prolétariat…

Vous croyez à la dictature du prolétariat ?

Oui ! Dans son sens le plus simple, c’est-à-dire un gouvernement des travailleuses et des travailleurs. On peut considérer d’une certaine manière aujourd’hui que l’on vit dans une dictature de la classe capitaliste. Il ne s’agit pas d’une dictature au sens politique du terme, mais au sens d’une domination sociale, tout simplement… Nous vivons dans une « démocratie bourgeoise », une démocratie certes, mais dont l’ensemble des institutions sont dirigées et gérées par une classe dominante qui, de fait, défend ses propres intérêts de classe. Un gouvernement des travailleurs aurait l’avantage d’être un gouvernement de la majorité de la population, pas d’une minorité de parasites qui vivent du travail d’autrui.

En quoi un programme marxiste pourrait constituer une solution ?

Notre programme essaie déjà de mettre en lumière cette réalité dont le Covid nous a rendus conscients : ceux qui font tourner la société sont ceux qui sont le plus mal payés. C’est pourquoi nous réclamons une augmentation des salaires, mais aussi l’indexation des salaires à l’inflation. Nous considérons d’autre part que c’est une aberration qu’une partie des travailleurs se tue à la chaîne tandis que l’autre se retrouve au chômage, c’est pourquoi nous sommes pour le partage du travail entre tous, ainsi que pour la retraite à 60 ans, 55 pour les métiers pénibles. Et nous sommes enfin opposés au régime quasi monarchique de la Ve République, nous sommes pour l’abolition de la présidence et du Sénat [la dictature du prolétariat?] et pour la déprofessionnalisation de la politique, avec des élus révocables et rémunérés à hauteur du salaire moyen.

Philippe Poutou, Nathalie Arthaud et maintenant vous, Anasse Kazib… Trois candidats marxistes à la présidentielle, ça ne fait pas un peu trop ?

Il n’y en a jamais trop… On se respecte mutuellement et nous avons de nombreux points de convergence. Simplement, j’essaie d’apporter un vent de fraîcheur. Ceux que vous venez de citer en sont à leur troisième candidature à la présidentielle… Leur discours, on les connaît et ça n’attire pas spécialement les nouvelles générations et les couches les plus exploitées des travailleurs, ils ont un côté très « siècle passé ». Il y a une radicalité qui a émergé ces dernières années sans que l’extrême gauche parvienne à la canaliser, je pense, par exemple, au mouvement des Gilets jaunes. Avec le comité Adama et le collectif Intergares issu de la grève de 2018 contre la réforme du ferroviaire, il nous semblait évident qu’il fallait en être… Il faut arrêter de se pincer le nez lorsque surgissent des mouvements spontanés. Moi, ça ne m’a jamais dérangé, bien au contraire que le Gilet jaune vienne avec un drapeau bleu blanc rouge et chante La Marseillaise, car ces gens l’ont chanté avec un imaginaire révolutionnaire, en criant « révolution » avenue des Champs-Elysées.

Je considère que, oui, il y a des violences policières et je me joins à ce qu’avait dit Philippe Poutou, oui la police tue.

Vous avez pourtant eu des mots très durs, en expliquant que pour vous « le drapeau français […] est entaché par l’impérialisme. C’est avec ce drapeau qu’on a collaboré avec les nazis, c’est avec ce drapeau-là qu’on a fait la colonisation ».

Je le maintiens, car, très sincèrement, c’est une réalité. Au siècle dernier, les gens ont découvert la colonisation à travers la fameuse exposition coloniale [1889], cette espèce de « zoo humain » dans lequel on a ramené des colonisés de différents pays africains ou asiatiques. On doit poser un regard lucide sur la responsabilité de l’État français dans la situation internationale, par exemple. Aujourd’hui, les Français dans leur grande majorité ne savent pas ce qui se passe au Mozambique ou au Mali…

L’armée française est présente au Mali parce qu’elle a été appelée par le gouvernement malien aux prises avec des mouvements terroristes islamistes…

Est-ce que c’est à la France de régler ça ? Est-ce que vous avez l’impression que c’est en train de fonctionner ?

Vous suggérez de les laisser se débrouiller ?

Non, au contraire, il faut lutter farouchement contre toutes formes d’islamisme ou de terrorisme. Je ne suis pas le moins du monde du côté de ces gens-là et de ces organisations réactionnaires. Mais y aller, ça ne fonctionne pas, ça n’a jamais fonctionné. Je vous renvoie aux propos de quelqu’un dont je ne suis pas du tout proche, Dominique de Villepin explique que notre politique de lutte internationale contre le terrorisme n’a fait que le renforcer. On l’a vu lors du procès du Bataclan pendant lequel les terroristes ont expliqué qu’ils avaient agi en réponse à ce qu’avait fait François Hollande en Syrie…

Ce n’est pas parce qu’un terroriste explique qu’il voulait se venger de la France que l’on est nécessairement obligé de le croire ou de juger cette explication légitime…

Ce n’est pas ce que je suis en train de dire. Je considère simplement que la politique impérialiste de la France peut avoir des conséquences sur la population civile. Je suis favorable à l’autodétermination des peuples, à leur droit à se soulever et pour les aider à se battre contre toutes les formes d’oppression et de domination. Quel est le bilan de l’Afghanistan ? Ce qui se passe aujourd’hui là-bas est la pire des choses, le régime est ultraréactionnaire. La Chine a mis la main sur une exploitation de cuivre au sud de Kaboul tout en permettant au gouvernement taliban de se faire passer pour respectable. En échange, les Chinois ont obtenu des talibans qu’ils rompent avec les mouvements ouïgours… Ce sont des alliances de salopards, qui se font toujours au détriment des peuples opprimés.

Quel est le rapport avec la France ?

La France n’échappe pas à cette logique, elle a été directement impliquée pendant environ dix ans en Afghanistan et elle garantit et protège ses intérêts avant tout. Des amis militaires m’expliquent que la plupart des missions qui leur sont confiées à l’étranger consistent à protéger des pipelines, des diplomates ou des patrons de grands groupes d’énergie lorsqu’ils viennent sur place. On doit arrêter de considérer que dès qu’un pays subit quelque chose, ce serait à la France ou aux Etats-Unis, d’aller régler le problème, d’autant plus que ça n’a jamais fonctionné. Au final, on aboutit à des situations encore plus réactionnaires que celles qu’on a trouvées en arrivant.

J’ai 34 ans, je n’ai pas souvenir d’avoir vu autant d’images de violences policières à la télé que ces dernières années.

Vous avez publié un programme dans lequel vous proposez l’abrogation de toutes les lois et mesures sécuritaires liberticides. Vous commencez par laquelle ?

Nous considérons que l’abrogation du pass sanitaire doit se faire immédiatement. On contraint par la force et par l’autoritarisme au lieu d’expliquer. On ne peut pas prolonger ad vitam aeternam ce pass ou imposer la troisième dose. Je pense aussi à tout ce qui a trait à la loi de sécurité globale, à la loi séparatisme, je ne vais pas toutes les citer…

Donnez tout de même quelques exemples…

Provocateur anti-flic

Je pense à l’article 24 de la loi sécurité globale, devenu article 25 de la loi séparatisme, qui empêche de filmer un policier et de diffuser les images sur les réseaux sociaux… On a bien compris l’objectif, qui a d’ailleurs été très clairement énoncé par le rapporteur de la loi et ancien patron du Raid, qui admettait avoir « perdu la bataille de l’image », notamment face aux réseaux sociaux et à des médias indépendants, comme StreetPress, Le Média, QG, Cerveaux non disponibles, Révolution permanente… J’ai 34 ans, je n’ai pas souvenir d’avoir vu autant d’images de violences policières à la télé que ces dernières années. Je considère que, oui, il y a des violences policières et je me joins à ce qu’avait dit Philippe Poutou, oui la police tue.

C’est une accusation très lourde…

C’est la réalité, qu’on le veuille ou non. Il y aura début décembre des commémorations pour Zineb Redouane à Marseille. Là, il y a un jeune garçon, Souheil, tué en pleine rue par la police cet été. Il y a aussi le cas de Cédric Chouviat, d’Adama Traoré, de Zyed et Bouna… Souvent, si l’on ne prend que le cas d’Adama Traoré, les gendarmes ont été décorés ou promus. Le commissaire qui était chargé du dispositif policier lors de la mort de Steve Maia Caniço a été promu. Comment refuser de voir tout cela ?

A vous entendre, la police française, c’est presque la Gestapo…

Ah, mais, moi, je ne caricature pas la situation. Je ne considère pas qu’on vit dans le fascisme ou dans une dictature. En tant que marxiste attaché à la dialectique, décrire une situation, c’est aussi énoncer nos tâches. Donc, non, ce n’est pas la Gestapo, mais il faut considérer qu’il existe des dérives très importantes et encore plus face aux gens des quartiers populaires, face aux mouvements ouvriers ou aux mouvements spontanés et subversifs, comme a pu l’être le mouvement des Gilets jaunes. Au début, les Gilets jaunes applaudissaient la police…

Que s’est-il passé d’après vous ?

Il y a eu une rencontre entre Castaner qui était alors ministre de l’Intérieur et les syndicats, aboutissant sur des augmentations de salaire. Les syndicats sont sortis en expliquant qu’ils avaient eu encore plus que ce qu’ils demandaient ! Ça veut dire quoi ? Moi, je suis assimilé fonctionnaire à la SNCF, je n’ai jamais vu un syndicat sortir du ministère des Transports en disant « le ministre nous a donné encore plus que ce qu’on avait demandé »… Ça fait huit ans que les salaires sont gelés à la SNCF ! Et pourquoi dans l’Éducation nationale, on fait passer les profs pour des salauds de gauchistes et des fainéants ? Bref, pas étonnant que par la suite les policiers se soient déchaînés sur les Gilets jaunes jusqu’à faire des dizaines de mutilés. Ils avaient été payés pour !

Arnaud Montebourg… lui qui ramenait des croissants aux Florange, le voici en train de piocher dans le programme d’Eric Zemmour et de Marine Le Pen ! Lien PaSiDupes

Vous affirmez que la candidature d’un ouvrier issu de l’immigration serait subversive. Pourquoi ?

Elle est subversive parce qu’on ne veut pas d’un ouvrier issu de l’immigration post-coloniale… Dans ce pays, il y en a beaucoup qui ne supportent pas le fait qu’un ouvrier puisse se présenter, alors un ouvrier issu de l’immigration, c’est encore pire. C’est dans ce sens-là que je considère que ma candidature est subversive. Face à une montée des idées réactionnaires dans le pays avec un Zemmour annoncé à 17 %, avoir un candidat avec un prénom maghrébin à la présidentielle, qui vient batailler contre ces idéologies c’est aujourd’hui subversif. On a franchi les 150 parrainages dans un contexte de menaces et d’insultes assez incroyable ! Il y a une vraie tétanie de la part d’un large secteur raciste, xénophobe.

Il n’y a pas une personnalité publique comme vous l’êtes, quel que soit son positionnement politique, qui ne se soit pas fait insulter ou menacer sur les réseaux sociaux…

Peut-être, mais, moi, je n’ai jamais vu des hashtags « Arlette Laguiller remigration », ou « Jean-Luc Mélenchon remigration » en top tendance. Je n’ai jamais vu Arlette Laguiller être attaquée sur la question du drapeau rouge. Philippe Poutou, personne ne va lui dire : « Rentre chez toi, retourne d’où tu viens. » Par contre, moi qui suis ouvrier et issu de l’immigration, on considère que je ne suis pas chez moi, que je ne suis pas à ma place, que je devrais me réjouir d’être là et ne rien dire… Le principe même d’une démocratie, c’est de pouvoir s’opposer politiquement lorsqu’on n’est pas d’accord avec quelque chose. Il n’y a pas besoin de dire à quelqu’un de retourner dans son pays lorsqu’on n’est pas d’accord avec lui. Moi, je suis né à Sarcelles, donc quoi ? Je vais retourner à la clinique où je suis né, à Sarcelles ? C’est quoi cette histoire ? Je suis partiellement d’accord sur le fait qu’il y a une forme de trollage généralisé sur les réseaux sociaux, mais il n’est pas pour autant normal d’accepter que des personnes se fassent menacer de mort, qui plus est lorsqu’elles sont candidates à la présidentielle. Je reçois des messages qui me disent qu’on veut violer mes enfants ou me pendre avec le drapeau bleu blanc rouge… Si ma candidature était insignifiante et ne provoquait rien, les gens ne se donneraient même pas la peine de m’insulter…

Comment expliquez-vous le surgissement de Zemmour dans le paysage politique français ?

Un article du Financial Times au moment de la crise sanitaire expliquait, en résumé, que, dans ces périodes-là, c’est soit Hitler, soit Lénine. Les périodes de crises profondes amènent toujours à une forme de radicalité. Pour ce qui est de Zemmour, il faut voir par qui il est soutenu. Les classes populaires ne le suivent pas, ceux qui sont prêts à voter pour lui sont des bourgeois qui se radicalisent et qui n’ont strictement rien à faire de ce qu’il raconte sur Pétain ou la Seconde Guerre mondiale. La seule question qui les obsède est ce qu’il dit autour de la question de l’immigration ou de la question de l’islam. Ces gens se fichent de son programme économique, social, ou sanitaire. Il prospère sur un terreau qui a commencé à germer avec Macron, avec Le Pen ou avec une partie de l’ex-gauche…

Vous pensez à qui dans ce que vous appelez « l’ex-gauche » ?

Je suis bien obligé de citer Arnaud Montebourg… Lui qui ramenait des croissants aux Florange, le voici en train de piocher dans le programme d’Éric Zemmour et de Marine Le Pen ! Il y a aussi toute une ancienne gauche, plutôt vallsiste, autour du Printemps républicain, qui servent ces thèses…

Vous êtes très actif sur les réseaux sociaux et avez récemment publié ou relayé votre « top 10 de la fachosphère ». On se limite au podium de tête : Zineb El Rhazoui, Caroline Fourest et Rachel Khan… On a du mal à vous suivre, C’est quoi être « facho » pour vous ?

Il faut prendre les choses avec un peu de légèreté. De la même manière, ça veut dire quoi être islamo-gauchiste, ça veut dire quoi être woke ou décolonial ?

Ce n’est pas en brouillant les définitions qu’on arrive à quelque chose de clair…

Pour moi, le terme de la fachosphère, c’est l’incarnation de toutes celles et tous ceux qui portent des idées réactionnaires.

Donc pour vous, Caroline Fourest et Marine Le Pen, c’est la même chose…

Je ne dis pas que c’est pareil, mais sur cette histoire de top 10 de la fachosphère, je trouvais que c’était assez drôle. Sur Twitter, c’est bloc contre bloc, c’est une lutte permanente… Les gens qui vous insultent habituellement se taisent le jour où vous êtes menacé de mort. Ce sont pour moi des gens qui incarnent des idées réactionnaires, profondément anti-ouvriers, qui dissimulent de moins en moins leur racisme et leur islamophobie.

Donc la gauche universaliste, laïque et républicaine est raciste… ?

Ça veut dire quoi l’universalisme ?

Disons que c’est le refus de la mise en avant de particularismes pour obtenir des droits particuliers…

Anasse Kazib, candidat à la présidentielle, dans une manifestation le 12 juin 2021.

Dans ce cas, je suis opposé à ce pseudo-universalisme et au fait de faire croire qu’il suffit de fermer les yeux face aux oppressions pour qu’elles disparaissent. Ce n’est pas en cassant le thermomètre qu’on guérit les malades. Sous couvert d’universalisme, il y a une forme de bataille idéologique qui consiste à opprimer des gens qui vivent déjà l’oppression. L’un des chevaux de bataille de ce secteur-là, c’est la question du port du voile. Et on voit finalement que sous couvert d’une forme d’universalisme, en réalité ils participent à l’oppression des personnes qui sont déjà opprimées. Ces gens sont profondément contre les antiracistes, ils détestent toutes les figures de l’antiracisme et essaient systématiquement de les discréditer. C’est de cette gauche-là que vient la thématique de l’islamo-gauchisme ! Ce n’est pas spécialement l’extrême droite ou le Rassemblement national. Après la mort de George Floyd et les mobilisations du comité Adama, on a vu Manuel Valls, Amine El Khatmi, Rachel Khan, Sonia Mabrouk qui essaie de dire qu’elle n’est pas une femme musulmane qui pleurniche sur sa vie…

Elle dit surtout que ce n’est pas parce qu’elle est d’origine musulmane qu’on est obligé de la considérer comme appartenant à sa religion… En remontant votre fil Twitter, on voit que vous vous en prenez à Zineb El Rhazoui, Sarah El Haïry, Najwa El Haïté, Zohra Bitan, Sonia Mabrouk, Fatiha Boudjahlat, vous avez un problème avec les femmes qui combattent l’islamisme ou disent en souffrir ?

Je ne sais pas lesquelles en ont souffert, elles disent ce qu’elles veulent, mais je constate qu’elles sont souvent issues de milieux très aisés et visent systématiquement les mêmes. Elles sont devenues les porte-voix de tout un secteur ultraréactionnaire sur la question du port du voile. Elles s’attaquent à des femmes qui sont opprimées…

Mais de quelle oppression parlez-vous ? Celle de la religion ?

Elles sont opprimées en tant que femmes vivant dans une société patriarcale, par rapport à laquelle les musulmans ne font pas exception, et ensuite elles sont pointées du doigt parce qu’elles portent le voile…

Pour moi, le vrai privilège qui existe, c’est un privilège de classe, et derrière il y a une classe dominante qui perpétue des oppressions raciales, des oppressions patriarcales et cherche par là à nous diviser.

Dans la tradition marxiste la religion peut tout à fait être considérée comme un asservissement et une oppression…

Le marxisme, tel que je le conçois, n’a jamais en tout cas participé à l’oppression de gens déjà opprimés… Il y a des gens qui ne deviennent de grands marxistes que lorsqu’il faut opprimer les musulmanes et les musulmans. Il n’y a que là qu’ils connaissent la fameuse phrase de Marx sur l’opium du peuple.

Vous semblez quand même oublier que cette même tradition marxiste a « bouffé du curé » pendant des dizaines d’années…

Pour moi, le marxisme a toujours dénoncé le lien entre un Etat bourgeois et le rôle réactionnaire que pouvait jouer l’Eglise. Moi, je lutte farouchement, notamment contre tous ces gouvernements en Arabie saoudite qui utilisent la religiosité pour justifier l’oppression des peuples. Notre organisation est athée et profondément laïque. Nous considérons que la question de la religion relève de l’ordre privé et que si les gens sont libres de pratiquer leur religion, on n’a pas à les opprimer et à les empêcher de vivre sous prétexte qu’ils pratiquent une religion. Or, force est de constater, que l’une des catégories les plus opprimées ici, en tout cas en France, sinon dans le monde, ce sont les femmes musulmanes qui portent le voile et qui sont empêchées de travailler. On en vient à se demander s’il ne faudrait pas leur interdire les sorties scolaires… On croit quoi ? Que ces femmes-là vont lire le Coran aux enfants dans le car en allant au parc Astérix ? Je considère que les personnes que vous citez sont des cautions pour toutes les idées racistes, islamophobes et réactionnaires. Par ailleurs, je remarque que beaucoup plus de monde pense exactement l’inverse et ne passe pas à la télé…

C’est-à-dire ?

D’où sont sorties ces personnes-là ? Moi, je trouve ça bizarre, par exemple, que Rachel Khan, qui était un soutien du comité Adama, sorte du jour au lendemain un livre qui tacle le comité Adama et les militants antiracistes, comme Rokhaya Diallo. Il faut être clairvoyant là-dessus, ces gens sont des militants politiques. Zohra Bitan était porte-parole de la campagne de Manuel Valls, le grand-père de Sonia Mabrouk était ministre sous Bourguiba et son oncle ambassadeur de France. Ces gens-là ne sortent pas de nulle part.

Qu’est-ce que vous voulez dire… ?

Ils défendent un intérêt de classe. Zohra Bitan a reçu le prix national de la laïcité en présence du ministre Olivier Dussopt, Rachel Khan a reçu une médaille des mains de Roselyne Bachelot, quant à Zineb El Rhazoui, elle a reçu un prix de la part de Valérie Pécresse… Ces gens-là s’adoubent entre eux, se distribuent des prix… On a aussi Abdoulaye Kanté, le policier noir qui explique à chaque fois qu’on lui tend un micro que la police n’est pas raciste. Mais, bizarrement, comme disait Coluche, il faudra nous expliquer pourquoi il y a toujours un Arabe qui meurt avec des balles dans le dos…

Donc, pour résumer, pour vous, ces gens sont des idiots utiles de la classe bourgeoise, c’est ça ?

Mais non, ce sont juste des gens très intelligents qui viennent manger dans la gamelle, parce que la gamelle est bonne, parce qu’il y a des places à prendre, qu’ils auront un petit rond de serviette à la télé, ou chez un éditeur qui leur filera 30 000 ou 40 000 euros d’à-valoir. Il faut être clairvoyant là-dessus…

Vous avez expliqué en juin 2020 que vous étiez en désaccord avec le terme de « privilège blanc », que vous considérez comme un « charlatanisme », qui empêche toute lutte contre la classe dominante. Depuis, vous êtes soutenu par des gens qui ne jurent que par ces thèses ou les thématiques identitaires, on peut citer Assa Traoré ou Youcef Brakni… Vous trouvez toujours que le terme de « privilège blanc » est un « charlatanisme » ?

Je ne suis pas sûr que ce soit vraiment leur position, mais je ne vais pas parler à leur place. En ce qui me concerne, je pense qu’il faut faire attention à toute lecture qui porte à individualiser les questions d’oppressions et à diviser notre camp social. Pour moi, le vrai privilège qui existe, c’est un privilège de classe, et derrière il y a une classe dominante qui perpétue des oppressions raciales, des oppressions patriarcales et cherche par là à nous diviser. Ma question est comment on s’organise et on s’unit pour lutter frontalement contre ça.

Les Lumières n’ont pas inventé la sortie de l’esclavage.

Vous avez des soutiens dont les positions sont clairement décoloniales…

Décolonial, ça ne veut rien dire, ces gens-là ne se revendiquent pas décoloniaux.

Cela ne signifie pas pour autant qu’ils ne le sont pas…Que veut dire décolonial ?

Que ce soit décolonial, woke ou islamo-gauchiste, c’est la même grille de lecture : le pays serait « structurellement raciste » et rien ne pourrait faire oublier sa nature coloniale. Ceux qui défendent ces thèses vivent comme s’ils tenaient une forteresse assiégée par un racisme généralisé et une France intégralement rance…

Très sincèrement, je ne connais personne qui est sur ces positions-là. Je ne considère pas que l’enfant qui marche à quatre pattes est un futur raciste, pas plus que l’homme serait un violeur en puissance qui ne se connaît pas… Lorsqu’on parle de racisme, on ne parle pas de racisme d’un individu, on parle de système de domination. Je suis un militant antiraciste et, comme tous les militants antiracistes, je considère que l’Histoire de la France est une Histoire qui s’est fondée sur le colonialisme et l’impérialisme, sur la traite négrière notamment. Maintenant, on appelle ça des territoires d’outre-mer…

Raison pour laquelle ces territoires demandent à rester français quand on les interroge. La France a pratiqué l’esclavage, mais elle a aussi inventé son abrogation… Rien de tout cela n’aurait pu avoir lieu s’il n’y avait pas eu les Lumières…

Je suis en total désaccord avec ce que vous racontez. Les Lumières n’ont pas inventé la sortie de l’esclavage, malheureusement les mêmes qui défendaient la charte des droits de l’homme pour les Blancs, possédaient des esclaves… On ne peut pas résumer l’Histoire, à celle de l’homme blanc qui aurait été esclavagiste, mais qui aurait aussi été un émancipateur. Je trouve très grave de faire croire que ceux qui ont esclavagisé seraient un peu des héros. Ce n’est pas la classe dominante qui a décidé d’affranchir les esclaves au détour d’un café… Les esclaves de Saint-Domingue qui se sont insurgés contre l’État français qui a tenté par tous les moyens de les écraser. L’Histoire contemporaine n’est que l’Histoire de la lutte de classes. De même, les acquis sociaux du monde ouvrier en France n’ont été obtenus qu’à travers de grandes batailles. Sur les trente dernières années, ce ne sont que des défaites et des reculs sociaux. Depuis 1995, pas une grève nationale n’a été gagnée et il n’y a pas un acquis social qui a avancé.

Nous vivons dans une partie du monde où l’on n’a jamais été aussi libre, où chacun peut librement exercer son culte, ce qui démontre plutôt une tendance générale à l’augmentation de la tolérance et de l’apaisement général…

Je ne vois pas où il y a de l’apaisement. Il est possible qu’il y ait eu des avancées dans l’Histoire. Mais je considère qu’il faut voir la réalité des choses et que, aujourd’hui, les personnes, notamment issues de l’immigration, qui, comme moi, sont nées en France, vivent des oppressions raciales et ne peuvent pas exercer librement leur culte. Des études américaines ou anglaises sur la France le démontrent parfaitement. Est-ce un crime de dénoncer ce système-là ?

On a compris que les cibles principales de l’extrême gauche sont la gauche dite « républicaine », mais, finalement, l’extrême droite ou Marine Le Pen ne font plus partie de vos préoccupations…

Pas du tout, je combats farouchement l’extrême droite. Mais quand Fabien Roussel va manifester avec Philippot, Zemmour, ce n’est pas neutre, ça veut dire quelque chose. Son parti s’appelle Parti communiste français… Comment des gens qui luttent contre l’extrême droite acceptent que leur figure de proue manifeste aux côtés de Zemmour et de Philippot ? Si on ne le critique pas, en fait, on ne dit rien.

Faire croire que le marxisme serait uniquement l’ouvrier blanc et lutter contre la réforme des retraites ce n’est tout simplement pas la réalité ni ma vision des choses.

Mais ce n’est pas parce que Marine Le Pen dit que le ciel est bleu, qu’il faut forcément dire que le ciel est rose…

Il y a des lignes à ne pas franchir lorsqu’on est à gauche, et notamment les questions liées à l’immigration, ou dire que l’on aurait « le droit » d’être islamophobe parce que « phobie » signifierait juste « peur »… Imaginez quelqu’un qui dirait : « J’ai le droit d’être antisémite. » Lorsque des gens à gauche affirment qu’ils auraient « le droit » d’être islamophobes, je considère qu’il nous revient d’expliquer ce qu’est la ligne… Le marxisme est profondément antiraciste, profondément anti-impérialiste, de Marx à Lénine. Faire croire que le marxisme serait uniquement l’ouvrier blanc et lutter contre la réforme des retraites ce n’est tout simplement pas la réalité ni ma vision des choses.

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