Macron daigne se mêler de la pénurie, après s’en être lavé les mains
La colère monte en France où on se bat dans les stations-service après des heures de files d’attente, alors que Olivier Véran niait la pénurie de carburants et que les prix à la pompe montent en flèche mais que, les 7 et 10 octobre, Macron, depuis Prague et encore à Craon, et Borne à Bordeaux, lors de la Convention des intercommunalités de France, puis à son retour précipité d’Algérie, accusaient les automobilistes de manquer de « calme » et de sens des « responsabilités ».
L’exécutif envisage tout-à-coup des réquisitions, département par département, alors que la grève dans les dépôts pétroliers du pays continue. Mais cette décision pourrait entraîner des risques politiques pour le gouvernement, à quelques jours de la « marche contre la vie chère » de Jean-Luc Mélenchon.
Ne pas être accusé d’inertie. Et de légèreté, dans le cas du dilettante Olivier Véran, le porte-parole du gouvernement qui a appelé ce mardi sur RTL à la levée « sans délai » des « blocages » de carburant, menaçant « d’intervenir » si nécessaire, tout comme Bruno Le Maire qui a appelé au « respect de l’intérêt général » sur France info.
Mais, ces dernières heures, après deux semaines de conflit social, le gouvernement a finalement senti venir le danger face aux tensions grandissantes dans le pays, liées aux pénuries de carburants mais aussi au déni de l’exécutif. Lors d’une réunion autour d’Elisabeth Borne, de retour d’Algérie de toute urgence ce lundi soir, la première ministre a distribué les éléments de langage.
Macron passe du mépris des Français qui manquent de « calme » et de sens des « responsabilités » à la menace. « Le gouvernement prendra ses responsabilités – terme malheureux au vu de l’usage désobligeant qu’en ont eu Macron et elle, à l’encontre des automobilistes – pour assurer l’approvisionnement des Français », en cas d’échec des négociations salariales des groupes pétroliers a expliqué la patronne de l’exécutif, d’après une source gouvernementale.
Vers des réquisitions de dépôts et de personnels par les préfets ?
L’exécutif envisage des réquisitions département par département alors que la grève dans les dépôts pétroliers du pays continue. Mais ce geste pourrait entraîner des risques politiques pour le gouvernement, à quelques jours de la marche contre la vie chère de Jean-Luc Mélenchon. L’idée de « réquisitions » a été acceptée à Matignon dans la nuit de lundi à mardi à Matignon, entre la première ministre et quatre ministres concernés, Gérald Darmanin, Clément Beaune, Olivier Véran et Agnès Pannier-Runacher, bien que testée positive à la covid il y a deux jours. Elle l’a annoncé ce dimanche matin sur son compte Twitter. «Je m’isole et continue à assurer mes fonctions notamment pour soutenir l’approvisionnement en carburant des stations-service en lien avec l’ensemble des acteurs», a-t-elle déclaré.
Pour débloquer les dépôts pétroliers, le gouvernement pourrait donc procéder à des réquisitions des dépôts de carburants. Très concrètement, il est possible de réquisitionner des salariés grévistes seulement en cas d’urgence, si la grève empêche le fonctionnement de services essentiels, comme les véhicules d’intervention de la police. Mais l’opération est encadrée par la loi.
Macron oppose les Français
Macron a rappelé Borne d’Algérie pour menacer syndicats et raffineurs. Leur façon de dialoguer. Après deux semaines de conflit, tard lundi 10 octobre, le gouvernement a donc tout-à-coup mis la pression sur les syndicats et les directions des raffineries perturbées – ce qui n’est pas le cas de Donges (Loire-Atlantique) – pour qu’ils négocient, alors que plus de 4.000 stations-services sont toujours affectées par des pénuries de carburants en France, et que la CGT a reconduit son mouvement de grève pour mardi.
La question de ce recours éventuel aux réquisitions doit être tranchée d’ici ce mardi soir au sein du gouvernement, pour une possible mise en application dès ce mercredi.
Le stratège de l’Elysée tente de diviser les grévistes
Borne rappelle que des syndicats réformistes ont signé avec TotalEnergies.
Matignon oppose Esso-ExxonMobil et TotalEnergies. Le groupe américain a trouvé un accord sur des hausses de salaire, sans certitude qu’il soit respecté sur le terrain, mais le géant pétrolier français, qui vient d’accorder des augmentations salariales, n’est pas disposé à de nouvelles. L’Etat français, qui est pourtant actionnaire principal, appelle néanmoins la direction à saisir la perche tendue par certains syndicats modérés pour ouvrir des négociations rapides.
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Les réquisitions auront lieu département par département, par arrêté préfectoral, et entraîneraient l’envoi des forces de l’ordre dans les dépôts de carburants.
Les automobilistes qui vivent en Bretagne ou dans le Sud-Ouest sont épargnés par la CGT (outre les régions frontalières qui s’approvisionnent à l’étranger : Espagne, Suisse, Allemagne et Belgique), tandis que l’autre moitié vit une galère infernale depuis deux semaines et des augmentations de prix à la pompe, lorsque un carburant est disponible.
Or, Macron et Borne ont de surcroît autorisé les préfets à contingenter la vente de carburants aux particuliers dans trois départements français, le Var, le Vaucluse et les Alpes-de-Haute-Provence : la vente de carburants aux particuliers est limitée à 30 litres par véhicule.
Le droit de grève est garanti par la constitution
Ce cadre juridique très précis pose d’abord la question de l’incertitude de la légalité de ces réquisitions. Très déterminée dans les dépôts pétroliers occupés, la CGT pourrait saisir la justice administrative pour faire casser ces arrêtés pris par la préfecture. Le droit de grève est en effet un principe constitutionnel.
Une épreuve de force par l’exécutif pourrait créer de fortes turbulences politiques, à quelques jours de la marche contre la vie chère de Jean-Luc Mélenchon.
Un risque politique très important
Ce cadre juridique très précis pose d’abord la question de l’incertitude de la légalité de ces réquisitions. La CGT, très active dans les dépôts pétroliers bloqués, pourrait saisir la justice administrative pour faire casser ces arrêtés décidés par la préfecture. Le droit de grève est en effet un principe constitutionnel.
Et même si la justice donnait gain de cause au gouvernement, le contexte social hautement inflammable, avec une dette publique sans cesse accrue et une inflation au plus haut depuis 1987, pourrait pousser l’exécutif à souhaiter se passer de scènes d’affrontements violents entre les CRS et les ouvriers des dépôts pétroliers. Après deux mois consécutifs de ralentissement de l’activité économique, l’indice des prix est reparti à la hausse au quatrième trimestre. En moyenne sur l’année, l’inflation atteindrait 5,2%, selon l’institut de la statistique. Mais pour être honnête, la tendance est à la contraction: après +0,2% au troisième trimestre, la France devrait chuter à une croissance nulle au quatrième. Ce qui s’appelle la récession.
Sans compter le risque politique. En 2016, alors que le gouvernement se penche sur la Loi Travail, le dépôt pétrolier de Fos-sur-Mer, l’un des plus grands de France, est débloqué par les forces de l’ordre, après plusieurs jours de blocage. Le geste déplaît fortement à la CGT et envenime un contexte social déjà tendu et débouche sur des manifestations d’ampleur en France.
Ne pas être accusé d’inconscience et d’inertie. Porte-parole dilettante du gouvernement, qui a nié les pénuries avec un aplomb indécent, Olivier Véran a appelé ce mardi sur RTL à la levée « sans délai » des blocages de carburant, menaçant « d’intervenir » si nécessaire, tout comme Bruno Le Maire qui a appelé au « respect de l’intérêt général » sur France info.
Le contexte de l’examen du budget à l’Assemblée nationale est défavorable. En l’absence de majorité absolue, le recours au 49.3 pour voter le texte semble très probable et peut donner du grain à moudre aux accusations de passage en force de la part des oppositions. Le pouvoir peut donc craindre la coagulation des mécontentements dans la rue. La NUPES organise, à l’initiative de La France Insoumise, le 16 octobre prochain une « marche contre la vie chère ». Si la CGT est actuellement centrée sur cette mobilisation, elle pourrait finalement joindre ses forces à celles de Jean-Luc Mélenchon d’ici la fin de la semaine et donner force à cette deuxième manifestation sociale depuis la rentrée la réélection de Macron et même depuis la rentrée.
Preuve que l’exécutif craint à tout prix la surenchère, la première ministre laisse 24 heures pour procéder aux réquisitions, en espérant que les négociations salariales puissent avancer entre les grévistes et TotalEnergie dont l’Etat français est le principal actionnaire (15% des parts) et bénéficiaire.