Le Quai d’Orsay demande au secteur de la culture de ne plus inviter les artistes du Niger, du Mali et du Burkina Faso

Catherine Colonna a frappé, en concertation avec Rima Abdul Malak

Alors que le Mali, le Niger et le Burkina Faso rompent avec la France sommée de quitter ces pays, secoués par des coups d’Etat, le ministère des Affaires étrangères demande que les artistes de ces trois pays ne puissent plus être programmés en France.

Le Quai d’Orsay contre-attaque à la façon de la mule du pape au sabot vengeur. Selon une information révélée par France Inter, jeudi 14 septembre, la ministre des Affaires étrangères a donné pour consigne de ne plus inviter des artistes ressortissants du Mali, du Niger et du Burkina Faso, trois pays à se produire en France. Le mail, envoyé par l’intermédiaire des directions générales des affaires culturelles (DRAC), chargées de veiller à l’application des lois et réglementations du domaine culturel, a été transmis aux centres dramatiques et chorégraphiques nationaux, aux festivals et aux salles et programmes qui leur sont rattachés.

Un message politique inédit survenu suite aux importants courants anti-français qui traversent les trois pays et qui a notamment conduit à des retraits de troupes françaises. Le Quai d’Orsay précise dans son courrier la mesure de rétorsion concernant la culture :

« Sur instruction du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères, il a été décidé de suspendre, jusqu’à nouvel ordre, toute coopération avec les pays suivants : Mali, Niger, Burkina Faso. […] Par conséquent, tous les projets de coopération qui sont menés par vos établissements ou vos services avec des institutions ou des ressortissants de ces trois pays doivent être suspendus, sans délai, et sans aucune exception […]. De la même manière, aucune invitation de tout ressortissant de ces pays ne doit être lancée. »

Cette décision risque de fortement impacter le monde de la culture dans les semaines à venir, obligeant les salles à repenser en urgence leur programmation et risquant de précariser fortement les artistes maliens, nigériens et burkinabés. Ceux-ci ne pourront plus se voir octroyer de visas, continue le ministère : « A compter de ce jour, la France ne délivre plus de visas pour les ressortissants de ces trois pays sans aucune exception, et ce jusqu’à nouvel ordre. »

La ministre de la Culture, Rima Abdul Malak, précise que « cette décision n’affecte pas les personnes qui seraient titulaires de visas délivrés avant cette date ou qui résident en France ou dans d’autres pays ». Elle se justifie ensuite en prétendant que la mesure serait due à une perturbation des services de délivrance des visas sur place pour venir en France… Pas de représailles, assure-t-elle.

Le syndicat national des entreprises artistiques et culturelles (Syndeac) s’est d’ores et déjà indigné contre cette décision et a demandé une réunion d’urgence avec le ministère des affaires étrangères.

« C’est comme une punition collective »

Pour l’essayiste sénégalais Elgas, sociologue chercheur associé à l’IRIS, qui a analysé la généalogie du « sentiment anti-français » en Afrique, la « partition diplomatique de Paris est ratée » depuis la récente série de coups d’Etat dans les pays francophones et l’annonce de ce jeudi sur la coopération culturelle en est un exemple supplémentaire.

Les discours qui ont accompagné la récente série de coups d’Etat dans les pays francophones ont confirmé que la présence française en Afrique n’a jamais été autant contestée depuis les indépendances au début des années 1960. Poussée hors du Mali, du ­Burkina ­Faso, du Niger ou de Centrafrique, peu entendue au Cameroun, au Gabon, au Bénin et ailleurs, la France n’est pas à son avantage. La décision du Quai d’Orsay de « suspendre » la collaboration des scènes culturelles subventionnées avec les artistes des trois pays dAfrique de l’Ouest ne devrait pas arranger les choses. La refondation des relations avec le continent africain, proclamée à Paris depuis des décennies, n’a abouti qu’à un résultat confus. Les raisons du ressentiment, multiples, devraient être plus sérieusement prises en compte au sommet de l’Etat, qui s’est plutôt distingué jusqu’ici par une certaine méconnaissance des sociétés concernées.