LFI finance la grève des éboueurs

L’extrême-gauche révolutionnaire anime les actions syndicales subversives

Contre la réforme des retraites et pour que soit revu le déroulement de leurs carrières. des opposants à la réforme Macron des retraites ont débrayé à l’appel du syndicat CGT-FTDNEEA (filière du traitement des déchets, nettoiement, eau, égouts, assainissement). « Je ne sais pas si le gouvernement comprend qu’on meurt avant les autres« 

Depuis sept jours, les deux traits de fumée blanche s’élevant des cheminées de l’incinérateur d’Ivry-sur-Seine (Val-de-Marne), le plus grand d’Europe, ne barrent plus le ciel parisien: les fours sont à l’arrêt. Une partie de la centaine de salariés de l’usine, employés par Suez, est en grève. Le va-et-vient des camions-bennes est interrompu. L’entrée du site, en contrebas du périphérique, est bloquée par les éboueurs et les chauffeurs de la ville de Paris depuis le 6 mars.

Leur camp de base est installé derrière la grille cadenassée : de grandes tentes, plusieurs machines à cafés, un générateur, des longues tables avec des tréteaux, plusieurs lits de camp. Ils se relaient jour et nuit. «C’est un peu rock’n’roll, il faut se mettre dans le bain de l’occupation, raconte Olivier, 49 ans, éboueur dans le XIIe arrondissement. On s’organise pour pouvoir rentrer chez nous dans la journée, reprendre des forces, et revenir, car ça risque de durer. On fait toute l’année notre métier de manière consciencieuse, mais si on en est réduits à agir de la sorte c’est parce que c’est notre seul moyen de pression. C’est une action qui marque les esprits.» Karim, 39 ans, éboueur dans le IXe, l’assure : «Il faut être là jusqu’à ce que le gouvernement recule. Cela fait un moment que Macron n’écoute plus la rue, mais si tu pars défaitiste, c’est mort ; on n’obtiendra rien. C’est facile d’aller faire la java en Afrique comme il l’a fait la semaine dernière, mais venir sur le terrain, et discuter avec les syndicats, c’est beaucoup plus dur.»

«Tension artérielle»

Rue des Canettes, Paris 6e:
photo que Le Parisien avait assombrie à des fins partisanes

Dans le projet de réforme, les éboueurs fonctionnaires, considérés parmi les «catégories actives», voient leur âge de départ repoussé de deux ans, de 57 à 59 ans. Une perspective difficilement imaginable pour les grévistes. Daouda, 49 ans : «Je ne sais pas si le gouvernement comprend qu’on meurt avant les autres. On a une durée de vie limitée à cause des émanations.» Un de leurs anciens camarades, Pascal, 64 ans, est venu les saluer. Cet éboueur, retraité après 36 ans de carrière, témoigne : «Alors même que j’ai toujours été sportif, je me retrouve avec des problèmes de circulation du sang, de la tension artérielle et plus récemment des problèmes de thyroïde. Les gens n’ont pas idée de ce qu’est ce métier David, lui, évoque le stress d’être dehors en toutes circonstances : «On est obligés de sortir. Ce qui importe par-dessus tout, c’est qu’on ramasse les poubelles.»

Certains moments ont marqué cet éboueur de 49 ans. La canicule de 2003, il venait de commencer. La crise sanitaire, quand il se demandait ce qu’il risquait de rapporter à sa femme et à ses enfants. Et puis un samedi matin, où il a eu peur, où l’atmosphère dans la rue était incomparable à celle des autres matins, celui du 14 novembre 2015. Tous n’auront pas tous leurs trimestres à 59 ans, car tous n’ont pas commencé dans la fonction publique, comme Christophe, 42 ans, éboueur dans le VIe, qui a alterné pendant douze ans emplois dans le privé, dans la manutention ou la restauration rapide, et périodes de chômage, avant d’entrer à la ville à 30 ans.

Rumeurs d’évacuation par les CRS

«Pour les ripeurs – en langue française, ce sont des éboueurs -, le recul de l’âge de départ à la retraite n’a pas beaucoup de sens. Le reporter à 65, 77 ou 99 ans ne changerait rien. Le problème principal, dans les entreprises que j’ai pu observer, c’est celui de la cessation de travail pour inaptitude, avec un pic à l’âge de 52 ans», note une tête chercheuse associée au Centre d’études et de recherches appliquées à la gestion à l’université de …Grenoble, Isabelle Salmon, universitaire déconstructrice de la langue française (,thèse de 2019 dirigée par Emmanuel Abord de Chatillon et Jean-Yves Juban) . Cette médecin, qui a consacré sa thèse à la profession de ripeur à l’Institut national de recherche et de sécurité, dresse la liste des motifs d’inaptitude : «Troubles musculosquelettiques, accidents du travail qui atteignent le plus fréquemment les membres inférieurs et le dos, ainsi que l’usure qui, elle, ne se mesure pas mais ne permet plus au ripeur de mettre un pied devant l’autreCe métier est probablement l’un des plus éprouvants, car il cumule nombre des difficultés contemporaines du travail : contraintes physiques, avec des postures inconfortables et l’exposition aux intempéries, contraintes de temps, contacts avec les usagers qui se résument souvent à du mépris, complexité des chaînes de responsabilité en matière de qualité de vie au travail, avec une myriade d’acteurs…» Elle se dit «scandalisée» par «la tournure qu’a prise le débat sur la réforme» : «Il évite soigneusement la question de la soutenabilité du travail, et donc des conditions de travail des métiers les plus pénibles, comme celui d’éboueur, qui pourraient être améliorées afin de préserver la santé sur le long terme et permettre d’atteindre la retraite en étant moins usé. Traiter le problème en proposant des visites médicales en fin de carrière, c’est bien trop tardif».

Sur le piquet devant l’incinérateur d’Ivry-sur-Seine, les heures s’écoulent, rythmées par les barbecues merguez-saucisses, la réparation des bâches arrachées par les bourrasques, les nouvelles arrivant des différents blocages, dans les deux autres usines d’incinération autour de Paris, celle de Saint-Ouen (Seine-Saint-Denis) et celle d’Issy-les-Moulineaux (Hauts-de-Seine), dans six garages à camions, dans la centaine d’ateliers pour la propreté et la quinzaine d’ateliers pour l’assainissement. Des heures aussi rythmées par des rumeurs d’évacuation par les CRS. Tous se souviennent que les derniers conflits sociaux dans le secteur avaient été interrompus par une intervention rapide des forces de l’ordre. Parmi les exceptions : l’occupation de 2010 qui avait tenu 21 jours, contre une réforme des retraites, déjà. Des heures également ponctuées par d’innombrables visites – des passants, des enseignants, des militants, des élus, des adhérents d’autres sections CGT…

La députée Mathilde Panot est venue plusieurs fois. Samedi, la présidente du groupe LFI à l’Assemblée a apporté un chèque de soutien de 20 000 euros pour tous les grévistes, que les agents ont refusé. «On leur a dit d’envoyer à la confédération. La caisse, c’est trop d’embrouilles pour le partage», tranche Karim, éboueur dans le XIVe : partager les fruits du travail est-il plus aisé ? Son collègue Christophe, 42 ans, rémunéré entre 1 800 et 2 000 euros net, a calculé que chaque journée de grève lui coûte autour de 65 euros. Lui non plus n’est pas favorable aux caisses de grève, même en ce moment, où «c’est difficile de mobiliser, tout le monde est à découvert, tout le monde est pris à la gorge.»

5.600 tonnes de déchets

Louis Boyard, 22 ans,
et Clémence Guetté, 31 ans (LFI), députés poings levés

Jeudi matin, un cercle de grévistes se forme autour de Céline Verzeletti, 54 ans, co-secrétaire générale de l’UFSE (Union fédérale des syndicats de l’Etat), venue les encourager. «Avec l’inflation, c’est difficile pour tout le monde. Il y a une envie de gagner vite, il ne faut pas que cela dure des mois», considère la rivale de Marie Buisson, candidate présentée par Philippe Martinez pour sa succession. La quinqua pourrait se porter candidate à la succession de Philippe Martinez en vue du 53e congrès de la CGT, qui se tiendra à la fin du mois. Sa présence n’est pas anodine alors que la CGT-FTDNEEA entretient depuis plusieurs années des relations tendues avec la confédération, notamment au sujet de la parité et de la lutte contre les violences sexistes et sexuelles.

Tous se déplacent sur le piquet pour soutenir les éboueurs particulièrement mobilisés, à Paris, mais aussi à Nantes, à Saint-Brieuc, à Antibes, ou au Havre. Peu de secteurs ont ainsi répondu à l’appel de l’intersyndicale de «poursuivre et amplifier le mouvement». Un élu CGT de la RATP se désespère de mobiliser son dépôt de bus. Il passe symboliquement le relais aux éboueurs : «Cela peut être eux, les fers de lance, cette fois, on est venus discuter avec eux pour leur dire de ne pas lâcher.» S’ils apprécient le soutien, les grévistes préféreraient que la mobilisation s’étende. Pour Christophe Farinet, secrétaire général adjoint de la CGT-FTDNEEA : «Nous, les ports et les docks, les raffineries, les mines énergie, ça se voit. Il faut maintenant que les salariés dans toutes leurs taules s’emparent de leur outil de travail. C’est le moment.»

Les jours passent et les poubelles s’accumulent sur les trottoirs de la moitié des arrondissements parisiens, ceux dont la collecte dépend de la régie municipale. Les autres sont gérés par des entreprises privées, dont les salariés ne sont pas partis massivement en reconductible, même si certains sites de l’entreprise Pizzorno, notamment, voient leur fonctionnement perturbé.

Lundi, la mairie dénombrait 5 600 tonnes de déchets non ramassées. Quelques véhicules ont été envoyés pour déblayer à la fin des marchés, ou pour dégager des sacs posés à même le sol. Une fois collectés, les déchets de Paris et de 82 autres villes de la métropole sont traités par le Syndicat mixte de traitement des ordures ménagères. Les trois incinérateurs étant bloqués, les bacs gris sont stockés dans des centres de transferts, comme celui de Romainville, en Seine-Saint-Denis, ou renvoyés à une quarantaine de kilomètres, vers des sites d’enfouissement, comme ceux de Claye-Souilly ou de Bouqueval. «On a mis en place un plan de secours, indique-t-on au syndicat mixte d’Ile-de-France. Pour l’instant, tant qu’il reste des capacités d’enfouissement disponibles, on enfouit ; mais ce n’est pas la meilleure des solutions.»

«Grossière manipulation»

Les poubelles non ramassées sont devenues un enjeu politique en quelques jours, les élections municipales de 2026 en filigrane. Karim, éboueur dans le XIVe, 21 ans d’ancienneté, explique : «L’évacuation, elle dépendra du préfet. La maire de Paris, elle ne fera rien, si elle ne veut pas se décrédibiliser. Elle ne peut pas accrocher des banderoles contre la réforme des retraites sur la mairie et, derrière, nous envoyer les CRS.» 

A l’indignation des maires d’arrondissement de l’opposition – Delphine Bürkli, dans le IXe indique par exemple dans un message à ses administrés que «cette grève porte une atteinte importante à la salubrité et à la santé publique» – a succédé celle de plusieurs ministres, parmi lesquels Clément Beaune, sherpa de Macron qui convoite la mairie de Paris.

Devant la presse, lundi dans son bureau de l’Hôtel de ville, le premier adjoint de la maire Hidalgo a nié l’instrumentalisation des éboueurs salariés par la ville. Emmanuel Grégoire a dénoncé comme «inapproprié» le « rejet de la faute sur la municipalité», évoquant également «une très grossière manipulation» : «Les agents sont mobilisés contre la réforme des retraites. La première chose à faire est de retirer le projet de loi.» 

Un avis partagé par Régis Vieceli, le secrétaire général de la CGT-FTDNEEA, la filière traitement des déchets nettoiement eau égouts assainissement: «Les poubelles qui s’entassent, c’est la faute de Macron. On comprend bien que ce n’est agréable pour personne d’avoir des déchets qui s’amassent dans les rues. Mais pour le moment, les gens nous soutiennent.» A voir.