Malmenée par des jeunes, Sarah El Haïry diligente une inspection de la Fédération des centres sociaux

La secrétaire d’Etat à la jeunesse ne laisse pas passer son mauvais quart d’heure sur la laïcité avec des jeunes, fin octobre à Poitiers.

Sarah El Hairy, secrétaire d’Etat à la Jeunesse et à l’Education fait la leçon à 130 jeunes adultes à Poitiers sur le theme religion, le 22 octobre 2020.

Changement de ton à la tête de l’Etat où la consigne n’est plus de subir. Sarah El Haïry refuse de minimiser en « dialogue de sourds » le comportement d’une centaine de jeunes, entre 14 et 23 ans, réunis à Poitiers fin octobre: début novembre, la Fédération des centres sociaux, organisatrice de la rencontre, a reçu une lettre de l’inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche. « On avait été avertis de l’initiative par mail, rapporte Tarik Touahria, qui préside depuis six ans cette fédération quasi centenaire. Mais de le lire sur du papier à en-tête de la République française, ça remue… »

Le lancement d’une mission d’inspection est annoncée avec pour objet d’« examiner les objectifs, les conditions d’organisation et d’encadrement de la dixième édition des rencontres du réseau jeunes qui s’est déroulée à Poitiers du 16 au 23 octobre [Sarah El Haïry n’était présente que lors de la matinée du 22 et a lancé l’inspection le 23], ainsi que, plus largement, les conditions d’organisation et de fonctionnement de [l’]association ». Pas moins de trois inspecteurs ont été désignés : Laurent de Lamare, Frédéric Mansuy et Matthieu Lahaye. Les participants, encadrants comme jeunes, seront entendus sur la base du volontariat. L’échéance n’est pas mentionnée dans ce courrier en date du 29 octobre mais, dans l’entourage de la secrétaire d’Etat, on évoque un « rapport sous quatre à six semaines ».

De cette « rencontre ratée »La VieLa Croix, la presse quotidienne régionale, se sont, entre autres, fait l’écho et leurs versions divergent sur certains points.

« Il y a eu une réelle incompréhension entre la ministre, les jeunes et nous, » selon la Fédération

Dans un communiqué publié jeudi 12 novembre, la Fédération des centres sociaux et sociaux culturels de France (FCSF) a livré sa version de cette rencontre organisée par ses soins entre la secrétaire d’Etat et 130 jeunes âgés de 15 à 20 ans.

Le cabinet de la secrétaire d’Etat avoue avoir été «très surpris» par la teneur des échanges du 22 octobre. «Les revendications principales étaient très fermes, sur la volonté de liberté du port du voile, de garantir des repas de substitution, de condamner des discours islamophobes, notamment sur BFM et plus généralement dans les médias. Et le clou du spectacle : la loi de 2004, qu’ils trouvaient islamophobe.»

« Dialogue de sourd », « rendez-vous manqué », selon un article du 30 octobre de l’hebdomadaire La Vie, restée ancrée dans son idéologie laxiste. Son réflexe, conditionné par des décennies d’indulgence aux incivilités des « jeunes accidentés de la vie », est de faire état d‘une incompréhension entre les adolescents et la secrétaire d’Etat à la Jeunesse. Les premiers sont présentés comme désireux de partager leurs vécus concernant la religion et le vivre-ensemble, face à la seconde qui serait restée dubitative face à l’évocation du racisme et des discriminations. Née de parents franco-marocains, un père médecin et une mère chef d’entreprise, de surcroît membre du MoDem, la jeune femme était attendue de pied ferme par cette jeunesse formatée, par une majorité de professeurs de l’Education nationale, d’animateur de MJC et donc de centres sociaux, à l’idée de l’injustice sociale, de la décolonisation, de l’antiracisme et de la haine des flics : les personnels y sont massivement issus de la diversité, politisée et prosélyte, au même titre que nombre de mosquées.

Dans un entretien au Point publié le 14 novembre, Sarah El Haïry a tenu à revenir sur cette matinée de discussion et à clarifier son point de vue. « Je ne considère pas cet échange comme vain, au contraire. Il est saisissant et il nous engage d’autant plus. Les jeunes, ce sont les adultes de demain et ne pas affronter la réalité, éviter ce genre de débats, serait une faute grave », estime la secrétaire d’Etat auprès de Blanquer .

Comment les échanges ont basculé

La Fédération nationale des centres sociaux s’enlise en laissant entendre que c’est comme ça dans son ‘Réseau Jeune’ de 45 centres sociaux où elle organise, chaque année, des discussions autour d’un sujet que les participants choisissent eux-mêmes des mois avant : cette année, ce fût « les religions », une demande forte selon eux, mais raccord avec l’actualité politique, car les centres sociaux, comme les MJC, son politisés. La rencontre avec Sarah El Haïry clôturait donc plusieurs jours de discussions sur cette thématique et le dernier devait être consacré à la restitution des débats. Mais il trahit un climat révélateur de la teneur des échanges et, en fait, de leur orientation univoque. Sur le sujet, « le dialogue a été très difficile », reconnaît l’association. En fait, un aveu d’une absence habituelle de dialogue: l’échange d’idées différentes n’est pas une nécessité, quand tous sortent du même moule. Visiblement, ce centre social n’est pas mieux que les autres rompu au débat et au respect de l’opinion d’autrui. Le respect de la parole de l’Autre n’y est pas inculqué: dès lors, la mission des centres sociaux n’est pas accomplie et se pose donc la question de leurs subventions municipales (EELV) et départementales (DVD, donc mâtinée de LREM).

Ces « jeunes », dont certains sont des adultes, des « grands frères », ont exprimé les idées de leur milieu familial et culturel

C’est ainsi qu’ils ont répété le besoin d’avoir des cours sur le fait religieux à l’école: ce sujet d’actualité (écoles privées islamiques ou aide au devoirs noyautée par des fondamentalistes, etc) est une de leurs propositions pour lutter contre l’intolérance. Celle dont ils se disent victimes et non celle qu’ils opposent aux « Français », car s’ils s’affirment français, ils se distinguent néanmoins des « mécréants » en les désignant comme « les Français »… « Les religions n’ont pas leur place à l’école, un point c’est tout« , aurait tranché Sarah El Haïry, selon La Vie – hebdomadaire français chrétien d’actualité, qui a effacé de son titre le mot « catholique » – qui avait peut-être diligenté un journaliste. Vous êtes des mineurs, la laïcité est là pour vous protéger ! »  Ainsi présentés, les propos paraissent abrupts, surtout si les jours d’échanges n’avaient pas abordé le sujet sous cet angle républicain.

De la même manière, La Vie catholique‘ raconte un passage sur les violences policières. Alors qu’un « élève » [on n’est ni au collège, ni au lycée !] aborde les contrôles au faciès, sujet tarte à la crème s’il en est, en précisant qu’il part d’expériences vécues, Sarah El Haïry s’empare [sic] du micro pour prendre la défense des forces de l’ordre. « Il faut aimer la police, car elle est là pour nous protéger au quotidien. Elle ne peut pas être raciste, car elle est républicaine, » s’exclame-t-elle. « Malaise dans la salle », commente Le Point.

Plus « français » que les autres, ces jeunes de la diversité rejettent ‘La Marseillaise’ en France

Sarah El Haïry reconnaît une atmosphère pesante dans son entretien au Point. « Il y a des silences, je vois les visages de chacun et je sens le monde adulte absent, comme abasourdi, relate-t-elle. Je conclus en disant qu’il est important de respecter le pacte républicain. » C’est là qu’elle lance une Marseillaise… très peu suivie. Une partie de la scène a été filmée par France 3 Poitou-Charentes dont les caméras étaient également présentes lors de la rencontre. « Les jeunes ont rapidement pris le micro pour dire leur incompréhension face à cette initiative », relaie le média sur son site internet. 

« Ils ont complètement analysé qu’elle utilisait La Marseillaise pour clore le débat, explique Tarik Touahria, président de la FCSF, au magazine…Politis.

L’angle de Politis – fondé par des altermondialistes et activistes d’ATTAC – diffère de celui du Point… « Qu’est-ce qui l’a choquée : les questions de signes extérieurs de religion ? Leurs témoignages sur ce qu’ils vivent avec la police ? Mais c’est la réalité, estime le journal [assurant par ailleurs rejeter l’idéologie du choc des civilisations] et la ministre leur a rétorqué “vous êtes dans la plainte” », s’étouffe [sic] Tarik Touahria, président de la FCSF. Sarah El Haïly aurait même ajouté : « Il faut aimer la police, car elle est là pour vous protéger au quotidien. Elle ne peut pas être raciste car elle est républicaine ! » glousse le journal La Vie« Un article dégueulasse » pour le cabinet, qui dénonce les liens de parenté du journaliste auteur de cet article, Laurent Grzybowski, avec l’ancien président-fondateur de l’association ‘Coexister’, invitée via sa présidente Radia Bakkouch à l’événement, en même temps que la secrétaire d’Etat. Coexister est un mouvement indépendant de jeunes militants pour la paix et la cohésion sociale « en s’appuyant sur la diversité de convictions religieuses, entre croyants de toutes confessions et non-croyants »: légitime sur le sujet, en termes de pluralisme et de tolérance ? Quant à La Vie catholique, c’est un hebdo chrétien (officiellement) d’actualité et édité par une filiale du… Groupe Le Monde ! Détail savoureux: une page est réservée à un entretien entre une personnalité et le psychanalyste Gérard Miller qui collabora au pilotage de web-télé Le Média de LFI et Mélenchon. Autre chose ?

C’est une façon de claquer la porte à ces jeunes, de casser un processus où les jeunes ont envie de débattre, de comprendre, de faire société et la ministre aurait pu débattre avec eux, expliquer… » Une position que Sarah El Haïry dit avoir adoptée. « Mon devoir, ce jour-là, en tant que ministre de la République, c’est de leur expliquer en quoi leurs propos et leurs demandes n’étaient pas adaptés à notre Pacte républicain. La République n’est pas à la carte. »

A la fin de la rencontre, La Vie raconte que la secrétaire d’Etat quitte le gymnase , arguant que les 130 jeunes présents dans la salle ne sont pas « représentatifs ». « Comment ont-ils été accompagnés ? Comment le travail pédagogique a-t-il été mené ? Comment, en plusieurs jours de travaux, en sont-ils arrivés à de tels propos sans que cela n’alerte personne ? » interroge-t-elle aujourd’hui dans le Point.

La Fédération nationale des centres sociaux en question

En France, les Centres sociaux doivent être agréés CAF

Comme l’a rapporté dès jeudi le média local d’investigation Médiacités, pour répondre à ces questions, Sarah El Haïry a demandé à l’Inspection Générale de l’Education, du Sport et de la Recherche d’enquêter sur la Fédération nationale des centres sociaux (FCSF). On ignore si la Caisse d’allocations familiales a été sensibilisée, voire interpellée. Une mission qui « a pour objet d’examiner les objectifs, des conditions d’organisation et d’encadrement du Réseau Jeunes et, plus largement, les conditions d’organisation et de fonctionnement de la FCSF« , explique l’association dans son communiqué, en assurant aborder la chose « avec sérénité ».

Le ministère a dû se justifier auprès de Politis, journal se réclamant de la gauche antilibérale et écologiste. « On veut connaître le niveau des encadrants de ces centres sociaux« . On est dans un moment où il faut qu’on arrête avec ces petites compromissions et on est face à des jeunes qui ne sentent pas faire partie de la République : on se demande s’ils ont été suffisamment challengés et contredits dans leurs discours. »

Dans Le PointSarah El Haïry tente de rassurer : « On ne cherche pas à accuser, mais on veut comprendre comment ces débats et ces propositions se sont construits« , explique la secrétaire d’Etat, une ancienne responsable du Groupe Up, société coopérative et participative internationale qui conçoit et commercialise des produits et services facilitant l’accès à l’alimentation, la culture, les loisirs, l’éducation, l’aide à domicile, l’aide sociale, notamment…

Le président de la FCSF Tarik Touahria dit à Politis trouver le procédé « extrêmement choquant ». « C’est vrai que les jeunes ne sentent pas complètement faire partie de la République, reconnaît-il, mais leur façon de faire et de débattre sont plus que jamais dans la République« . Dans son communiqué, la FCSF fait aussi part de ses préoccupations plus profondes. « Nos méthodes d’éducation populaire, nos postures, le cadre et le contenu de cette rencontre sont clairement interrogés. Nous le regrettons profondément« , déplore-t-elle. 

Témoignages de journalistes présents

Un «divorce consommé entre la plupart de ces jeunes et la laïcité à la française»«sous le regard accommodant des adultes présents»«manifestement mal à l’aise sur le terrain religieux», commente le 23 octobre, un article de La Croix.

Le quotidien régional la Nouvelle République  – co-propriété de la famille Saint-Cricq (Nathalie, responsable du service politique de France 2, épouse du journaliste Patrice Duhamel, ex-directeur général de France Télévisions, et mère du journaliste politique de 25 ans, Benjamin Duhamel, BFMTV, qui débuta à la station radio RTL où travaillait son oncle, Alain Duhamel) a, lui, assisté aux échanges. Dans son article publié le 23 octobre, le quotidien rapporte un dialogue impossible. Entre des jeunes qui attendent «des réponses concrètes, des actes», et une secrétaire «bâton de pèlerin» républicain à la main. «La ministre écoute et la visite devient une leçon d’éducation civique», s’étonne le journal, avant d’évoquer la fin de la rencontre. «La colère, la fatigue des jeunes, Sarah Haïry l’a ressenti[e(s)] et [la ministre] a essayé de faire le tampon avec cette génération et, pour l’unir, a chanté la Marseillaise.». Mais «personne ne s’est levé. Pas même un élu».