Ingérences étrangères : la loi adopte les conclusions de la commission mixte paritaire sénatoriale

Les ingérences du président Macron dans les Européennes est un autre sujet…

Votée à l’Assemblée au mois de mars, puis au Sénat le 27 mai, la proposition de loi sur les ingérences étrangères a définitivement été adoptée par la chambre haute, ce 3 juin. Une commission mixte paritaire s’était réunie la semaine précédente, débouchant rapidement sur un accord commun entre parlementaires. « C’est globalement l’écriture du Sénat qui a été reprise », s’était félicitée à cette occasion la sénatrice Les Républicains Agnès Canayer, rapporteure du texte.

La loi entend d’abord mieux encadrer les représentants d’intérêts étrangers en France, en obligeant leur inscription dans un registre géré par la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP). Pour permettre au Parlement d’en mesurer l’ampleur, le gouvernement devra également lui remettre un rapport sur « l’état des menaces qui pèsent sur la sécurité nationale ».

En parallèle, le texte renforce aussi la surveillance des opérations d’ingérence en autorisant les services de renseignement à expérimenter la surveillance par algorithme des activités suspectes en ligne. Un point qui avait cristallisé les oppositions de la gauche lors de l’examen du texte au Sénat, craignant des atteintes aux libertés publiques.

Cercueils devant la tour Eiffel, tags d’étoiles de David et de mains rouges : les soupçons d’ingérences – russes (pourquoi?) – se multiplient.

Plusieurs amendements introduits par la commission des lois du Sénat ont ainsi été conservés, notamment un nouvel article qui prévoit l’aggravation des peines pour atteintes contre les biens ou les personnes, si ces infractions sont commises « dans le but de servir les intérêts d’une entité étrangère ». Pour les infractions habituellement punies de trois ans de prison, la peine passerait par exemple à six ans de prison. Les auteurs de crimes punis de trente ans de réclusion risqueront quant à eux la perpétuité.

Des mains rouges taguées sur le Mur des Justes au
Mémorial de la Shoah à Paris,
le 14 mai 2024 

En parallèle de cette nouvelle loi, une commission d’enquête sur les influences étrangères est également en cours au Sénat. Ses travaux devraient déboucher sur un rapport publié au plus tard mi-juillet. Il y a un an, une première commission d’enquête sénatoriale sur l’influence du réseau social Tiktok et les ingérences chinoises avait déjà rendu ses conclusions. Preuve que le sujet mobilise fortement les parlementaires, alors que les opérations d’ingérences – notamment russes – se multiplient en France : après les tags d’étoiles de David en Ile-de-France et les mains rouges dessinées sur le mémorial de la Shoah, une nouvelle enquête a été ouverte après la découverte de faux cercueils ornés de la mention « soldats français de l’Ukraine » devant la tour Eiffel. Lien PaSiDupes

Ingérences en tout genre:

Assemblée : le RN prend la tête d’une commission « mains propres » des députés

Des élus craignent que cette création mette au jour des affaires

Avant même les révélations du Qatargate, les députés RN ont obtenu la création à l’Assemblée nationale d’une commission d’enquête parlementaire sur les élus qui auraient cédé aux ingérences étrangères. Présidée par Jean-Philippe Tanguy, RN, cette commission inquiète des députés craignant qu’elle se transforme en tribunal.

L’enquête du Parlement européen sur des soupçons de corruption d’eurodéputés par le Qatar continue d’ébranler l’institution suggère que les députés français pourraient ne  pas être davantage que les eurdéputés à l’abri de ces jeux d’influenc. Juste avant que n’éclate ce scandale du Mondial 2022 de football à Doha, le groupe Rassemblement national a obtenu la création à l’Assemblée nationale d’une commission d’enquête parlementaire sur les ingérences politiques de puissances étrangères visant les députés.

Quand les députés Jean‑Philippe Tanguy et Marine Le Pen enregistrent leur projet de résolution sur les ingérences étrangères, ils n’anticipent pas l’ampleur et la profondeur du scandale de corruption qui éclabousse le Parlement européen et justifie leur initiative. Deux jours seulement avant l’arrestation de l’eurodéputée grecque et vice-présidente du Parlement européen Eva Kaili, l’Assemblée nationale a validé officiellement, début décembre, la création d’une commission d’enquête sur « les ingérences politiques, économiques et financières de puissances étrangères visant à influencer ou corrompre des relais d’opinion, des dirigeants ou des partis politiques français. »  Composée de 30 membres de tous les bords politiques, cette commission présidée par Jean‑Philippe Tanguy doit commencer ses travaux en janvier.

Des débats houleux entre députés

Pour l’obtenir, Marine le Pen et le groupe RN ont usé de leur “droit de tirage” qui permet une fois par an à chaque groupe parlementaire la création d’une commission d’enquête parlementaire. Plusieurs fois accusé par le candidat Macron à sa réélection d’avoir été sous influence russe, le Rassemblement national promet que “cette commission d’enquête s’intéressera naturellement aux réponses possibles pour éliminer les ingérences qu’elle aurait identifiées, écarter et punir les responsables mais aussi rénover nos institutions pour qu’elles soient capables de prévenir et d’empêcher de telles dérives”.

Avec cette commission, le Rassemblement national affirme vouloir établir s’il existe “des réseaux d’influence étrangers qui corrompent des élus, responsables publiques, dirigeants d’entreprises stratégiques ou relais médiatiques et cela dans le but de diffuser de la propagande ou d’obtenir des décisions contraires à l’intérêt national”. La Conférence des présidents qui a validé la création de cette commission a été le théâtre de débats particulièrement houleux entre députés. Nombre d’entre eux estiment qu’elle n’aurait jamais dû voir le jour. Ils dénoncent un périmètre d’enquête trop imprécis et trop large qui pourrait aboutir en pleine Assemblée à “l’Inquisition”, selon Pieyre-Alexandre Anglade, député Renaissance ou “partir dans tous les sens et de donner lieu à des dérives“, pour Hervé Saulignac, député socialiste.

Un périmètre très large

Derrière le risque d’une opération “mains propres” au cœur de l’Assemblée nationale, il y a la crainte très concrète que le Rassemblement national n’utilise cette commission pour tenter de dévoiler des affaires judiciaires pas forcément médiatisées impliquant des députés. Dans la résolution rédigée par son président, le RN Jean‑Philippe Tanguy écrit “la commission pourra être amenée à connaître de graves manquements, des délits voire de crimes qui devront immédiatement être confiés à la Justice.”

Cette menace n’est pas à prendre à la légère si l’on s’en réfère au courrier envoyé le 19 octobre dernier par le garde des Sceaux à la présidente de l’Assemblée. Appelé à donner son avis sur la création de cette commission, Eric Dupond-Moretti écrivait que “le périmètre de la commission d’enquête parlementaire est susceptible de recouvrir pour partie plusieurs procédures judiciaires en cours”.

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L’article 139 du règlement de l’Assemblée nationale prévoit en effet que les commissions d’enquête n’ont pas le droit de discuter d’affaires judiciaires en cours. Pour la députée socialiste Cécile Untermaier, cette commission grand angle sur l’ingérence étrangère au sein de l’Assemblée serait même inédite sous la Ve République. “C’est la première fois, dit la députée Nupes, que je vois une proposition de résolution dont le champ soit aussi large. Je plains le garde des Sceaux, qui a dû faire la liste des affaires judiciaires liées à ‘des ingérences politiques, économiques et financières de puissances étrangères – États, organisations, entreprises, groupes d’intérêts, personnes privées – visant à influencer ou à corrompre des relais d’opinion, des dirigeants ou des partis politiques français’Je ne vois pas comment il a pu répondre à cette question, sauf à embarquer tous les dossiers de la chancellerie

Contacté par franceinfo, le député RN Jean-Philippe Tanguy assume totalement. “Si cette commission fait peur à certains, lève des lièvres et révèle des faits nouveaux, c’est tant mieux, estime-t-il. Depuis des années, les commissions d’enquête de l’Assemblée nationale ne servent à rien. Elles ronronnent ! Nous allons travailler par régions d’influence. J’ai une idée très précise des sujets à aborder, y compris celui d’une prétendue ingérence russe sur notre famille politique.”

Groupe d’amitié France-Qatar

Les groupes d’amitié entre la France et des pays étrangers s’inscrivent parmi les possibles vecteurs d’ingérences et d’influences étrangères cités à l’Assemblée nationale. Or, le groupe d’amitié France-Qatar à l’Assemblée vient opportunément d’être renouvelé au prix d’une bataille feutrée entre groupes parlementaires. Depuis trois mandatures, c’est le groupe parlementaire UDI qui s’accroche à la présidence de ce groupe d’amitié à l’Assemblée. Après Pascal Brindeau (ex-député UDI du Loir-et-Cher), c’est désormais Christophe Naegelen, député UDI des Vosges qui a repris la présidence très prisée de ce groupe, fort de 22 membres.

Christophe Naegelen ne voit pas de raisons de douter de la probité des groupes d’amitié dont l’activité est largement contrôlée par le législateur. “Tous les cadeaux ou avantages en nature doivent être déclarés au déontologue de l’assemblée qui juge de la légalité ou de l’illégalité, rappelle Christophe Naegelen. Et le mieux d’ailleurs, c’est simplement de refuser ces cadeaux. Personnellement, je vais étudier le Qatar comme je peux étudier n’importe quel texte de loi. C’est à dire que je vais au fil des auditions et rencontres avoir les tenants et les aboutissants de ce qui se passe réellement aussi bien socialement qu’économiquement dans ce pays. Je vais bien entendu voir rapidement l’ambassadeur du Qatar en France, rencontrer des personnalités pro-régime ou des opposants au régime en place. C’est en rencontrant toutes les personnes, tous les groupes en relation avec le pays, qu’on fait vivre un groupe d’amitié”.

Quand on lui rappelle que le groupe d’amitié France-Qatar a fait l’objet par le passé de fortes suspicions et que l’affaire récente du parlement européen ou la délégation Europe-Moyen Orient a été l’un des possibles points de contact de la corruption, le député Christophe Naegelen s’étonne. “Le Parlement européen et le Parlement français, ce sont deux réalités totalement différentes. Personnellement, je suis chef d’entreprise et je gagne très bien ma vie. Je n’ai pas de tentations”, assure celui qui a présidé auparavant le groupe France-Colombie.

Fort de 22 membres, le groupe d’amitié France-Qatar compte des députés de tout bord. Parmi ses nouveaux arrivants, Damien Abad (Renaissance) ou Hélène Laporte (RN).

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L’article 80-1-2 du Règlement de l’Assemblée nationale prévoit que les députés déclarent au déontologue dans un délai d’un mois tout don, invitation à un événement sportif ou culturel ou avantage d’une valeur excédant 150 euros, et les invitations à des voyages dans le cadre de leur mandat. Ces déclarations sont publiques et disponibles sur le site de l’Assemblée nationale. Interrogé sur le contrôle de ces groupes d’amitié, le déontologue de l’Assemblée Christophe Pallez explique que “tout député, s’il omet de faire ses déclarations est en contravention par rapport au code de déontologie et par rapport au règlement de l’Assemblée, est passible de sanctions par le bureau de l’Assemblée. Des sanctions pouvant aller du rappel à l’ordre à l’exclusion temporaire. »

« Les groupes d’amitié sont extrêmement encadrés par le bureau de l’Assemblée qui en fixe la liste, qui attribue les présidences de groupes et décide aussi de leurs déplacements officiels. » (Christophe Pallez, déontologue)

« Si un groupe d’amitié agit en dehors des missions pour lesquelles il a eu l’autorisation officielle du bureau, rappelle Christophe Pallez, on sort du cadre habituel. On est dans un domaine qui relève non plus de la déontologie mais clairement de la justice. Il y a des jeux d’influence qui peuvent émaner d’États étrangers ou de représentants d’intérêts agissant en France. Un député se trouve confronté nécessairement à des personnes qui représentent des intérêts pas tout à fait légitimes. C’est précisément pour cela qu’un cadre déontologique a été bâti à l’Assemblée nationale et plus généralement dans la législation française ».

Des noms de députés ont émergé dès 2016

Les journalistes Georges Malbrunot et Christian Chesnot affirment dans leur livre Nos très chers Emirs, 2016, que plusieurs élus ont bénéficié des largesses de l’ancien ambassadeur qatari en France.

[…] Le nom de Nicolas Bays [ex-époux d’Aurore Bergé, 2009-2015] est notamment évoqué dans l’ouvrage. Le député PS aurait envoyé plusieurs textos – en vain – pour demander des avantages en liquide ou en nature, dont des billets d’avion pour le Qatar ou des chaussures de luxe. « L’ancien ambassadeur lui avait fait cadeau de chaussures de marque, affirmerait un proche de Meshaal Al-Tahini, cité dans le livre. Il pensait que Meshaal allait faire la même chose que son prédécesseur ! » Mis en cause, l’élu s’est fendu d’un communiqué, dans lequel il nie ces accusations et évoque « deux cadeaux d’usage », qu’il a aussitôt signalés « à la déontologie de l’Assemblée nationale » conformément au règlement de cette dernière.

En 2016, l’insistance de Nicolas Bays aurait conduit le nouvel ambassadeur à l’éviter, poursuivent Georges Malbrunot et Christian Chesnot. Le député aurait essayé, malgré tout, d’être reçu par le ministre de la Défense du Qatar. « Au courant des pratiques de son collègue, le président du groupe d’amitié France-Qatar, le député du Loir-et-Cher, Maurice Leroy, a rapporté ces dérives à Claude Bartolone, le président de l’Assemblée nationale », affirment les auteurs dans le livre. Nicolas Bays assure que Claude Bartolone n’a jamais été informé « de prétendues dérives le concernant ». Maurice Leroy juge pourtant « exact » ce passage de l’ouvrage.

« Nicolas était très actif au démarrage du groupe, il avait de bonnes relations avec l’ancien ambassadeur, commente Alexis Bachelay. Il faisait partie de la commission Défense, stratégique avec ce pays. Mais c’est tout. »

Selon le livre, Alexis Bachelay (ancien député PS) aurait « cherché des financements pour sa campagne des législatives auprès de l’ambassade du Qatar ». Un passage qui le met en rogne. Il explique à franceinfo : « Le maximum pour une campagne, c’est 40 000 euros, dont la moitié est remboursée par l’Etat ! En 2012, j’ai emprunté 20 000 euros, avec aussi 8 000 ou 9 000 d’apport personnel et de militants. Les dons de particuliers sont limités à 7 500 euros. Ces journalistes ne savent même pas comment fonctionne une élection ! « 

A l’Assemblée nationale, les cadeaux dont la valeur est supérieure à 150 euros doivent être déclarés. « Mais à Noël, Mohammed Kuwari offrait aux membres du groupe d’amitié France-Qatar à l’Assemblée nationale des montres Rolex ou des bons d’achats dans des grands magasins », affirment les deux journalistes, dont le montant serait allé « jusqu’à 5 000 ou 6 000 euros ». Alexis Bachelay évoque simplement un colis alimentaire reçu deux années d’affilée – « je l’ai donné à une banque alimentaire, je peux encore m’offrir une bouteille de champagne » – ainsi qu’une invitation à la fête nationale du 18 décembre, ou des réceptions à l’ambassade ou à la résidence.

Secrétaire du groupe, Gérard Bapt, interrogé par franceinfo, ironise sur les sacs Vuitton dont il n’a jamais vu la couleur. Vice-président du groupe d’amitié, François Pupponi évoque aussi « deux corbeilles à Noël avec du foie gras, mais d’autres ambassades font ça ». Le député PS veut saisir le bureau de l’Assemblée nationale et pourrait porter plainte contre les auteurs du livre, comme plusieurs élus contactés par franceinfo. […]

Après la fin de l’année 2013, moment qui correspond au changement d’ambassadeur, ces pratiques auraient cessé. Jean-Vincent Placé se serait plaint « dans le carré VIP du PSG que l’ambassadeur actuel ne l’invite plus à des week-ends », écrivent les deux journalistes. Une accusation « lamentable », répond l’actuel secrétaire d’Etat à la Réforme de l’État. « Je n’ai jamais rien reçu et je n’ai dîné qu’une fois avec l’ancien ambassadeur, d’ailleurs sympathique. »