Qualité des eaux en bouteille : la responsabilité du gouvernement est-elle engagée ?

« Ce scandale démontre une opacité et questionne la responsabilité du gouvernement »

Eaux du groupe Nestlé

Une grande partie des eaux en bouteille vendues, notamment par le groupe Nestlé et le groupe Sources Alma, doit subir des processus de purification pour être consommable, selon une première enquête du 30 janvier. Une purification interdite par le code de santé publique pour les eaux en bouteille dites “minérale” ou “de source”. Les différentes enquêtes présentent une contamination importante des eaux et une note de l’Anses (l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail) rapporte la présence de pesticides en décomposition (ou métabolites), de différentes bactéries ainsi que de per- et polyfluoroalkylées (PFAS). Ces derniers, aussi appelés PFAS, sont des substances chimiques, dont certaines sont jugées cancérogènes par le Centre international de recherche sur le cancer. Les PFAS sont principalement utilisés dans l’industrie, notamment pour le revêtement des poêles. Les PFAS sont aussi appelés “polluants éternels” du fait de leur persistance dans la nature et le corps humain.

“Quand on manque de transparence, c’est encore pire que tout. On peut aller vers une catastrophe industrielle à cause de ce manque de transparence”, tranche le sénateur socialiste, Hervé Gillé, qui qualifie de “scandale” les révélations du journal Le Monde et de Radio France.

Cette retenue est difficilement compréhensible”

Au-delà de la contamination d’un certain nombre de sites de production d’eaux en bouteilles, les enquêtes mettent en lumière la défaillance des pouvoirs publics, un point qui suscite le mécontentement des sénateurs. Le Monde et Radio France rapportent en effet que l’Igas (Inspection générale des affaires sociales) a réalisé une première enquête en 2021 dont les conclusions n’ont pas été rendues publiques. La note de l’Anses faisant état de la qualité insatisfaisante de l’eau, datée d’octobre 2023, est également restée confidentielle. “Cette retenue est difficilement compréhensible”, souligne Hervé Gillé qui ne comprend pas pourquoi les résultats de l’enquête de l’Anses n’ont pas été publiés. Guillaume Gontard,  le président du groupe écologiste au Sénat, n’hésite pas à essentialiser cette rétention d’information. Il y a un “problème général sur la question des contaminations, l’ensemble des eaux de notre territoire commence à être contaminé, impropre à la consommation,” distille le sénateur.

Socialistes et écologistes espèrent d’ailleurs mobiliser les pouvoirs de contrôle du Sénat pour identifier les éventuels dysfonctionnements des pouvoirs publics. Le groupe socialiste souhaite notamment créer une commission d’enquête sur le sujet. Si le groupe a déjà utilisé son droit de tirage annuel au Sénat, les députés socialistes pourraient utiliser leur droit de tirage à l’Assemblée. “On a fait la demande à la commission des affaires économiques pour qu’il y ait une mission flash sur la question”, rapporte Guillaume Gontard

Le groupe écilogiste a également utilisé son droit de tirage pour une commission d’enquête sur Total Energies. Pour la sénatrice Florence Lassarade (LR), il n’apparaît pas utile de multiplier les commissions d’enquête, en particulier sur ce qu’elle considère être une “erreur de communication”. “Si une commission d’enquête devait être créée, il faudrait peut-être s’orienter vers un sujet plus large, sur l’ensemble des contaminations de l’eau ou des aliments”, affirme Florence Lassarade.

Le gouvernement au coeur des critiques

Face à cette situation, les sénateurs de gauche mettent en cause la responsabilité du gouvernement. Si Bruno Le Maire a indiqué, en réponse à une question d’Hervé Gillé, dit qu’il partage “la gravité des faits”, ce dernier affirmait également qu’il s’en remet à l’enquête judiciaire en cours. Une réponse insatisfaisante pour le sénateur socialiste qui fustige le manque de transparence de la part de l’exécutif. “Ce scandale, qui est en train de se consolider, démontre une opacité et questionne la responsabilité du gouvernement”, insiste Hervé Gillé.

“On a un gouvernement qui reconnaît la gravité des faits, mais n’agit pas, c’est tout le problème du “en même temps”. A partir du moment où les résultats nous donnent une eau impropre à la consommation, on doit retirer ces produits du commerce,” tranche Guillaume Gontard. Une évidence aussi pour Florence Lassarade qui estime “qu’il aurait fallu rappeler immédiatement les produits concernés pour des raisons sanitaires”, mais également pour “rassurer les consommateurs”.

Une proposition de loi sur l’interdiction des PFAS bientôt au Sénat ?

Peu après les révélations du Monde et de Radio France, l’Assemblée nationale examinait ce jeudi, dans le cadre de la niche parlementaire du groupe écologiste, une proposition de loi sur l’interdiction des PFAS. Le texte proposait, entre autres, d’interdire les PFAS dans les ustensiles de cuisine, notamment les revêtements de poêle d’ici 2026. Si le texte a été adopté, le gouvernement a amendé le texte pour exclure les ustensiles de cuisine de son champ d’application, après une manifestation des salariés de la marque Tefal (groupe SEB) devant l’Assemblée nationale. Le gouvernement craint en effet de faire peser des contraintes trop importantes sur les industriels. Dans ce contexte, le gouvernement a également présenté un plan d’action de réduction des PFAS, ce jeudi 4 avril. Ce plan succède “à un plan de diagnostic” et doit permettre d’améliorer les “méthodologies de mesure”.

S’ils ne remettent pas en cause la dangerosité des PFAS, le gouvernement et les parlementaires LR refusent une interdiction qu’ils jugent dangereuse pour les secteurs économiques concernés. “Les industriels peuvent évoluer, interdire est peut-être excessif, plutôt que de multiplier les lois, je suis plutôt favorable au développement d’une information de qualité pour généraliser l’information sur les risques sanitaires que font courir ces produits”, assure Florence Lassarade.

Un renoncement, selon Guillaume Gontard qui estime que c’est le moment de faire preuve d’anticipation. Le groupe écologiste avait déjà déposé un amendement proposant l’interdiction des PFAS en 2021 lors de l’examen de la loi contre le dérèglement climatique. “Tout le monde s’aperçoit qu’il y a une problématique sanitaire, donc on réfléchit à inscrire le texte dans notre niche parlementaire au Sénat”, affirme Guillaume Gontard.

Pannier-Runacher a autorisé la purification des eaux minérales… naturelles

Borne, ex-ministre de la Transition écologique de Macron, a caché des pratiques interdites

Fin du débat
eau du robinet
vs
eau minérale

L’exécutif était au courant depuis 2021 des pratiques non conformes de Nestlé, mais a préféré alléger la réglementation en sa faveur plutôt que de saisir la justice. L’Américain n’est pas le seul à imposer ses volontés à Macron. En fait, tout commence en décembre 2020, après un signalement de fraudes au sein du groupe Sources Alma, qui produit une trentaine d’eaux en bouteille en France, dont Cristaline, « l’eau préférée des Français », vantée par Guy Roux, Rozana, recommandée par un papi sympa qui fleure bon le terroir, puis son fils, esprit sain dans un corps sain, mais aussi Saint-Yorre, Vichy Célestins ou encore l’eau de Châteldon, une eau « d’exception » qui « se fit connaître à la cour des rois de Versailles pour ses vertus digestives », selon le site internet de la marque.

Pierre Papillaud,
capable de vendre l’eau du robinet
au prix de l’eau minérale naturelle

Les bouteilles de Perrier, mais aussi de Vittel, Hépar et Contrex, ont été concernées par des traitements interdits, révèle une enquête du Monde et de Radio France.

Le gouvernement d’Elisabeth Borne savait depuis 2021 que plusieurs industriels de l’agroalimentaire ont appliqué des traitements et filtrages interdits sur leurs eaux en bouteille, révèle cette enquête publiée ce mardi 30 janvier.

Pire, le gouvernement – de la personne de l’ineffable Agnès Pannier-Runacher, aurait assoupli la réglementation pour permettre la poursuite de pratiques non conformes chez le Suisse Nestlé.

Tout commence fin 2020, quand un ancien employé de la société du groupe Sources Alma (Cristalline, Saint-Yorre…) fait un signalement à la direction générale de la concurrence, du commerce et de la répression des fraudes (DGCCRF), qui n’avait rien détecté par elle-même. L’enquête administrative qui s’ensuit révèle des pratiques « frauduleuses »dont la désinfection de l’eau à l’ozone et la « filtration de l’eau aux UV », rapporte Le Monde.

Rendez-vous avec Agnès Pannier-Runacher

Les enquêteurs découvrent surtout que le groupe Alma est loin d’être le seul à appliquer ce genre de traitements. Parmi les industriels qui achètent des filtres non autorisés figurent notamment le géant suisse Nestlé Waters (Perrier, Vittel, Hépar et Contrex).

Se sentant en danger, Nestlé contacte la ministre de l’Industrie d’alors, Agnès Pannier-Runacher, et une rencontre est organisée à Bercy à l’été 2021. Lors de cette réunion, la multinationale argue qu’elle a besoin de filtrer au maximum ses eaux à cause de nombreuses contaminations bactériennes de ses exploitations.

Nestlé demande par ailleurs au gouvernement de lui accorder la permission d’utiliser les filtres les plus puissants, avec une filtration à moins de 0,8 micron. Ce genre de filtres n’est pas autorisé pour les eaux minérales naturelles et eaux de source car elles sont normalement « microbiologiquement saines », explique un avis de 2003 de l’Agence française de sécurité sanitaire (actuelle ANSES) des aliments (Afssa, alors), dépendant du ministère de la Santé, occupé par Jean-François Mattei. Ils sont uniquement acceptés pour traiter l’eau du robinet ou les « eaux rendues potables par traitement ».

Le gouvernement ne saisit pas la justice

Les bouteilles de Perrier, mais aussi de Vittel, Hépar et Contrex, ont été concernées par des traitements interdits, révèle une enquête du Monde et de Radio France.

Le gouvernement est donc au courant dès août 2021 de la situation et des doléances de Nestlé, mais la ministre de la Santé, Brigitte Bourguignon (PS, LREM), décide de gérer la crise en interne, sans en informer la justice. Pourtant, selon l’article 40 du code de procédure pénale, tout officier public « ayant acquis la connaissance d’un crime ou d’un délit » doit immédiatement saisir le procureur de la République, rappelle Radio France. Même s’il ne saisit pas la justice, Bercy (Francis Mer) décide tout de même de saisir l’inspection générale des affaires sociales (Igas) en novembre 2021.

Il ressort de l’enquête de l’Igas un rapport accablant publié en juillet 2022 : plus d’un tiers des marques d’eaux embouteillées en France subiraient des traitements non conformes. Et 100 % des marques d’eau de Nestlé sont concernées.

Assouplir la réglementation

Dans « toutes les usines du groupe », la note souligne une « microfiltration en deçà de 0,8 micron mais aussi charbon actif et ultra-violet dont l’interdiction est absolue, ne laissant place à aucune interprétation. » Pire, l’entreprise aurait volontairement caché sa pratique aux ARS en cachant ses traitements dans des armoires électriques.

Mais malgré ce rapport de l’Igas qui confirme les pratiques de Nestlé, le gouvernement décide d’aider la multinationale suisse et en assouplissant la réglementation des autorités sanitaires concernant les eaux minérales.

De fait, en février 2023, lors d’une réunion interministérielle, l’exécutif donne le droit aux préfets de prendre des arrêtés autorisant la microfiltration en deçà de 0,8 µm, indique l’enquête du journal Le Monde et de Radio France.

Bruno Le Maire y défend cette décision auprès de la presse, en s’appuyant sur un avis de l’Agence nationale de sécurité sanitaire alimentaire nationale de 2023, qui indique qu’une filtration maximum peut être utilisée pour retenir certaines particules. Mais le directeur général de l’Anses a, quant à lui, répondu dans un courrier au gouvernement que les filtres utilisés ne devraient jamais « viser à masquer une insuffisance de qualité ».