Darmanin est « disqualifié », selon Romuald Pidjot, indépendantiste kanak

Les délégués du CCAT envoyés en métropole invitent le gouvernement à l’introspection. 

Depuis plusieurs jours, les les violences d’émeutiers kanaks sèment la peur dans la population blanche de Nouvelle-Calédonie et ont fait 5 morts et des centaines de blessés, malgré les appels au calme et les gestes de fermeté du gouvernement français. Jeudi soir, l’état d’urgence, décrété mercredi, était en cours, et le premier ministre Gabriel Attal continue de marteler que « rétablir l’ordre » est le « préalable » aux négociations, un principe général. A Paris, où il est coincé depuis la fermeture de l’aéroport de Nouvelle Calédonie, Romuald Pidjot, membre du bureau politique du Front de libération nationale kanak et socialiste (FLNKS), pointe ce qui relève, selon lui, de la responsabilité du gouvernement français dans les violences qui traversent son île : « Ce qui a mis le feu aux poudres, c’est le passage en force de l’Etat, du gouvernement [une habitude notamment déplorée avec ses recours  abusifs à l’article 49.3]. Cela fait six mois que l’on se mobilise pacifiquement dans la rue. Lors de la dernière mobilisation, le 13 avril à Nouméa, on a réuni 60.000 personnes, sur un territoire de 270.000 habitants. C’est le signe que le peuple [dans sa composante kanak] était complètement opposé à ce projet de loi constitutionnelle ». Romuald Pidjot, évoque ici le projet, contesté par les indépendantistes, de réforme constitutionnelle qui élargit le corps électoral en Nouvelle-Calédonie.

Gérard Larcher, « un interlocuteur possible »

Malgré l’opposition des Kanaks au texte, l’Assemblée nationale l’a adopté dans la nuit de mardi à mercredi, satisfaisant ainsi la position des loyalistes, qui soutiennent la réforme et l’Etat français, bien souvent composés de « Caldoches », d’origine européenne sur plusueurs générations. C’est en prévision de cette adoption par l’Assemblée et après le vote acté que les violences ont éclaté. Désormais, selon Romuald Pidjot, la situation est presque hors de contrôle : « C’est compliqué. Les gens ont le sentiment – et c’est une réalité – que l’Etat ignore la volonté du peuple. Ce sera difficile de ramener le calme de manière pacifique si le gouvernement ne fait pas un geste de son côté : retirer le projet de loi constitutionnelle ».

Au-delà de la revendication de retrait du texte, les indépendantistes d’extrême gauche rejettent résolument le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin. « Le FLNKS n’a plus confiance en Gérald Darmanin. Le dialogue avec lui est difficile, on estime qu’il ne nous a pas respectés, qu’il ne nous a pas toujours dit la vérité.

Romuald Pidjot se montre favorable à une mission de médiation, « indispensable », selon lui, justement à cause du rejet de la personnalité de Gérald Darmanin. Et dans ce rôle, le président du Sénat, Gérard Larcher, serait vu d’un bon oeil par Romuald Pidjot, qui serait, selon lui, « par sa connaissance fine et par sa hauteur dans les discussions », un « interlocuteur possible ». On dit aussi que Manuel Valls se verrait bien dans ce rôle.

Aucune ingérence russe, ni chinoise ?

Sans voir un lien direct avec l’explosion des tensions, le ministre de l’Intérieur, à de nombreuses reprises, a évoqué une ingérence de l’Azerbaïdjan à Nouméa. « Je regrette qu’une partie des leaders indépendantistes calédoniens ait fait un deal avec l’Azerbaïdjan, c’est incontestable », a ainsi affirmé Gérald Darmanin, sur le plateau de France 2 ce 16 mai. mi-avril. Au nom du président du Congrès calédonien, une élue indépendantiste s’était rendue en Azerbaïdjan pour signer un texte de coopération avec l’Assemblée nationale du pays, notamment en matière de culture et d’enseignement.

De Mayotte à la Nouvelle-Calédonie, les Outre-mer sont devenus la cible d’opérations d’ingérences ou de déstabilisation. La Russie, la Chine, l’Azerbaïdjan et les Comores sont parmi les plus actifs.

Banderole en soutien à Poutine et drapeau azéri,
à la manifestation contre la réforme du corps électoral
en Nouvelle-Calédonie,
le 28 mars 2024 

La lointaine république du Caucase a pris fait et cause pour le mouvement indépendantiste kanak via le Groupe d’initiative de Bakou (GIB) qui a été créé le 6 juillet 2023. Ce groupe de réflexion et d’influence affiche, parmi ses objectifs principaux, de « soutenir le combat contre le colonialisme et le néo-colonialisme ». Mais le GIB semble avoir une vision du colonialisme limitée à la France. Dans une vidéo promotionnelle, son directeur exécutif, Abbas Abbasov – ancien cadre du fonds pétrolier de l’Etat d’Azerbaïdjan – énumère les « colonies » concernées. Et il cite : la Nouvelle-Calédonie, la Guyane française, la Polynésie française, la Guadeloupe et la Corse. De fait, sur les réseaux sociaux, 90% des propos du GIB concernent les Outre-mer français et ils sont accompagnés d’une multitude de mots-clés comme #politiquecolonialefrançaise. Au lendemain de la manifestation de Nouméa, le jeudi 28 mars, le fil X (ex-Twitter) du GIB se félicite de cette mobilisation et de la présence du drapeau national azéri dans le cortège.

Radio France a également mis au jour les images d’une manifestation indépendantiste à Nouméa, le 28 mars dernier, lors de laquelle des drapeaux azéris et une banderole « Poutine, bienvenue en Kanaky » étaient visibles.

Romuald Pidjot rejette par ailleurs les accusations du ministre de l’Intérieur dénonçant des ingérences étrangères dans la cause indépendantiste kanak : « Le ministre de l’Intérieur essaye de nous infantiliser en disant que nous sommes soumis à des ingérences extérieures. Mais le peuple kanak a toujours combattu pour son indépendance. Que des puissances étrangères nous soutiennent, c’est le jeu du concert des nations ». Plusieurs média ont pourtant effectivement pointé des liens entre l’Azerbaïdjan chiite et certains membres du FLNKS. « La Nouvelle-Calédonie est un territoire autonome inscrit aux Nations unies dans le cadre des territoires à décoloniser, donc c’est un sujet international. Dans ce cadre, le FLNKS participe à des organisations de l’ONU, tel que le mouvement des non-alignés, dont l’Azerbaïdjan, catalogué « dictature impitoyable » par Le Monde, avait la présidence il y a deux ans. C’est dans ce cadre que les relations ont été tissées avec l’Azerbaïdjan [riche de son pétrole en mer Caspienne]. C’est un cadre formalisé, normé, qui n’a rien à voir avec de l’ingérence », répond Romuald Pidjot.

Les présidents des groupes UC et UNI au Congrès néo-calédonien déplorent les violences qui secouent l’agglomération depuis lundi soir. Ils appellent à « lever le pied » et à poursuivre le dialogue, localement et avec l’Etat. Restent les anarchistes qui veulent la perte de Nouméa et se comportent en casseurs racistes.