Ils rendent Darmanin responsable de la feuille de route de Macron
A quelques heures de la commission mixte paritaire, cette réunion décisive entre députés et sénateurs pour parvenir à un accord sur le projet de loi immigration, la pression monte dans la majorité avec des tentations de désolidarisation d’une partie des troupes et la crainte d’une abstention, voire d’un vote contre. De quoi empêcher le vote du texte gouvernemental dans un contexte de majorité relative.
« Ca va être au mieux très très juste et au pire, ça ne passe pas », explique finement un ministre issu de l’aile gauche.
« La politique et le monde adulte, c’est de faire des compromis »
Alors que le gouvernement s’était attelé ces derniers mois à défendre un texte qui prônait à la fois « la fermeté » et « l’intégration », l’ambiance a changé. Après le vote surprise de la motion de rejet du projet de lundi dernier, le gouvernement a dû faire ami-ami avec la droite et travailler à un compromis sur la base de la version sénatoriale modifiant le texte gouvernemental.
La mouture adoptée par les sénateurs est très loin de la copie initiale du gouvernement. Si un accord semble possible lors de la commission mixte paritaire, cet espace de négociation entre sept députés et sept sénateurs, rien ne garantit que le texte soit finalement voté dans l’hémicycle mardi.
Les compteurs ont été lancés dans les rangs de la macronie: il pourrait manquer de « quinze à vingt voix » au moins, décrypte un conseiller ministériel qui suit de près le dossier. De quoi sérieusement fracturer la majorité présidentielle qui refuse les états d’âme.
« La politique et le monde adulte, c’est de faire des compromis. On ne comprendrait pas ceux qui, dans notre camp, refuseraient de voter », tance le député Eric Woerth, ancien ministre de droite.
« On se moque un peu de nous là »
Elisabeth Borne, manifestement bien consciente du risque, a assuré à ses troupes jeudi soir « ne pas vouloir d’un compromis », au détriment de « l’unité de la majorité ».
« C’est bien de nous dire ça mais à partir du moment où on a décidé de faire une commission mixte paritaire, on savait bien comment ça allait tourner », s’agace un député Renaissance, passé par le parti socialiste.
« On nous demande d’assumer ce choix alors qu’on a beaucoup retravaillé le texte en commission pour que justement, il ne soit pas comme au Sénat. On se moque un peu de nous, là », analyse encore cet élu.
« On ne va se retrouver qu’avec des mesures dures, très à droite »
En commission des lois à l’Assemblée, les députés avaient détricoté la grande majorité des mesures sénatoriales, de la fin de l’automaticité du droit du sol au rétablissement du délit de séjour irrégulier en passant par la fin de l’aide médicale d’Etat.
Si certains irritants devraient bien être enlevés de l’accord, une mesure clef du projet de loi devrait, elle, disparaître: la création d’un titre de séjour pour les travailleurs sans-papiers dans les métiers en tension.
C’est plutôt la formulation sénatoriale d’une régularisation « exceptionnelle » qui pourrait être maintenue dans l’accord, loin donc de l’ambition première de la loi.
« On nous a vendu ce texte en vantant son équilibre. On ne va se retrouver qu’avec des mesures dures, très à droite, (une loi) vide du volet intégration. Je veux bien qu’on nous appelle au compromis mais on n’est pas responsable des erreurs de Darmanin », décrypte un député Renaissance.
« Un moment difficile pour la majorité »
Même parmi les députés macronistes qui appellent à se mobiliser en faveur de la loi immigration en cas d’accord, on ne cache pas comprendre les collègues qui y sont opposés.
« Quoi qu’il se passe, c’est sûr qu’on ne va pas voter totalement ce qu’on aurait souhaité. Je comprends bien que pour certains, ce soit difficile et qu’il y ait des difficultés », reconnaît le député MoDem Vincent Bru qui veut voter pour. Il devait voter contre la PMA, mais a finalement voté pour.
Même son de cloche pour Charles Sitzenstuhl. Classé à droite de Renaissance, ce député qui va « voter sans état d’âme s’il le peut » pour la loi immigration, évoque « un moment difficile pour la majorité ». Cet ex-conseiller politique de Bruno Le Maire, a pourtant déclaré, à rebours de la position officielle de son parti, que « la défense de l’AME [Aide médicale d’Etat] est un combat d’arrière-garde. C’est un dispositif qui agace vraiment les Français et alimente le vote extrémiste. Il faut serrer la vis sur l’AME et la recentrer sur les stricts soins d’urgence. »
Optimistes, certains notent cependant que plusieurs figures de l’aile gauche ont mis de l’eau dans leur vin et ont voté jeudi en réunion de groupe pour donner mandat de négociation à Florent Boudié, le rapporteur du texte et membre de la commission mixte paritaire et ex-directeur de cabinet de Gilbert Mitterrand à la ville de Libourne et ancien responsable du projet de loi sur l’immigration au sein du groupe LREM (chargé des discussions avec le cabinet du ministre Gérard Collomb).
L’aile gauche de la macronie promet de « se battre pour la suite »
Comprendre: une fois ce mandat accepté, les députés seraient symboliquement tenus de vote pour le texte. La manœuvre, si elle a en partie agacé, a été acceptée par plusieurs figures issues des socialistes et généralement vues comme rétives à la loi immigration à l’instar de Stella Dupont, qui a vait déjà résisté au projet de réforme des retraites en France en 2023, et qui signa en septembre dernier une tribune commune publiée sur les sites de Libération et de Franceinfo qui exigeait « des mesures urgentes, humanistes et concrètes pour la régularisation des travailleurs sans papiers », ou encore de Jean-Marc Zulesi, qui soutint le lancement du courant « En commun », lancé dans le groupe LREM par Barbara Pompili.
« Je me suis posé beaucoup de questions. J’ai hésité mais si on enlève les points les plus durs, je vais voter ce texte. Et je me battrai pour la suite, pour qu’on continue d’avancer sur les sujets immigration », explique ce député, président de la commission du développement durable à l’Assemblée.
« Quatre ou cinq d’entre nous ne voteront pas pour. Mais je tiens à saluer ce pas pour l’aile gauche et je mesure ce que ce geste en faveur du texte représente », salue encore le député Charles Rodwell, ex-conseiller de Bruno Le Maire et ex-collaborateur parlementaire auprès de Franck Riester.
Darmanin, « un air de brûlé »
« Quoi qu’il se passe, vote positif ou non, après c’est les vacances de Noël. Ca va faire redescendre la pression », cherche à se rassurer un conseiller ministériel. Suffisant, vraiment ?
« A la fin, Gérald Darmanin aura des airs de brûlé au second degré ou au troisième degré suivant le résultat du vote et nous aussi d’ailleurs ».
Loin de battre en retraite, le ministre de l’Intérieur planche déjà sur un futur projet de loi sur une réforme d’ampleur de l’aide médicale d’Etat, réclamée de longue date par la droite et le Rassemblement national.