Une formule bien différente de la semaine « de » 4 jours
Une différence qui tient au mot près. Lors de son discours de politique générale devant l’Assemblée nationale, le premier ministre Gabriel Attal a annoncé ce mardi 30 janvier le lancement d’une expérimentation dans les ministères, « non pas de la semaine de 4 jours, mais la semaine en 4 jours ».
La proposition de Gabriel Attal suppose que le salarié fasse le même nombre d’heure que dans une semaine classique, mais en 4 jours. Si son nombre de jours travaillés est bel et bien réduit, son temps de travail effectif reste le même.
L’expérimentation de l’Urssaf Picardie
Cette idée a déjà fait l’objet d’une expérimentation qu’il a lui-même lancée, du temps où il était ministre des Comptes publics. A partir du 1er mars 2023, les salariés de l’Urssaf Picardie ont pu bénéficier de cette semaine en 4 jours, sur base du volontariat. Mais les agents ne se sont vraiment pas bousculés.
Selon un article du Figaro, qui cite les mots de la directrice adjointe de la structure, seulement trois salariés ont décidé d’y avoir recours un mois après le début de l’expérimentation. La raison de ce « fiasco total » ? Faire les 36 heures hebdomadaire en seulement quatre jours suppose de faire des journées de travail beaucoup plus longues.
Un rythme plus intense, donc, qui ne convient effectivement pas à tout le monde, surtout pour les employés qui doivent aussi gérer des questions de garde d’enfants, une charge de travail accrue ou un temps de trajet important entre le lieu de travail et le domicile.
Les Français favorables
Pourtant, les Français semblent plus favorables à la semaine en 4 jours que ce que les résultats de l’expérimentation laissent penser. Selon un sondage YouGov mené aux beaux jours, en mai 2023, 75 % des personnes interrogées se disent « pour » le passage à la semaine de quatre jours, à condition de conserver un salaire inchangé.
Surtout, 23 % des Français se disent ouverts à ce nouveau modèle… uniquement si leur temps de travail global est réduit. Ils sont néanmoins 52 % à y être favorables, même s’ils travaillent le même nombre d’heures à l’échelle de la semaine.
Existe-t-il une différence entre la volonté de passer à la semaine en 4 jours et la réalité ? Dans le cas de l’Urssaf Picardie, 75 % des salariés potentiellement concernés dans cet organisme « trouvaient l’idée intéressante », et 25 % étaient « personnellement intéressés » pour changer avant le lancement de l’expérimentation, qui s’est donc terminée sur un échec, toujours selon Le Figaro.
Des témoignages élogieux
Si l’idée de la semaine de 4 jours séduit autant sur le papier, c’est peut-être en raison des études qui ont été menées ces dernières années et des témoignages de salariés qui l’ont expérimentée, vantant ses vertus aussi bien pour l’employeur que pour l’employé.
Au Royaume-Uni, entre juin et décembre 2022, plus de 60 entreprises ont permis à plus de 3 300 salariés de travailler un jour de moins dans la semaine, tout en conservant le même salaire et sans augmenter leur volume d’heures. Et les résultats, publiés en février 2023, sont dithyrambiques : plus de neuf sociétés sur dix ont choisi de poursuivre l’expérimentation, selon un article du journal Le Monde.
Les raisons de ce succès sont variées. Du côté des salariés, ces derniers sont plus motivés et leur productivité n’a pas chuté. Au contraire de l’absentéisme, qui a diminué de 66 %, selon les résultats de cette étude menée par l’université de Cambridge et le Boston College pour le compte de « 4 Day Week Global », association à l’origine de l’expérimentation.
Quels sont les témoignages des salariés qui bénéficiaient de la semaine de 4 jours en France. Là aussi, les retours étaient positifs. L’une d’entre elles profitait par exemple de ce jour de repos supplémentaire pour « lire, récupérer ses enfants plus tôt et faire les tâches ménagères qu[’elle] n’aurai[t] pas envie de faire le week-end ». Récupérait-elle ses gosses plus tard le reste de la selaine? Mais, comme pour les salariés des entreprises anglaises, ses heures en moins n’ont pas été redistribuées sur le reste de la semaine. Pas vraiment ce que souhaite mettre en place Gabriel Attal, donc.
Alors, que mijote Attal
Ses cobayes sont la fonction publique.
Ses cobayes sont la fonction publique. Lors de son discours de politique générale, le premier ministre, Gabriel Attal, a demandé à ses ministres d’expérimenter la semaine de travail en 4 jours dans leurs administrations, mais pas question de rogner sur le nombre d’heures travaillées. L’objectif est d’attirer de nouveaux venus, alors que la fonction publique souffre d’un déficit d’attractivité croissant. Mais les observateurs s’interrogent sur le bien-fondé d’une mesure qui pourrait avoir de nombreux effets indésirables.
Si les modalités concrètes du dispositif à la française n’ont pas encore été détaillées, il s’agira bien d’effectuer 35 heures en quatre jours, et non 32 heures. Pas touche au nombre d’heures travaillées donc, il s’agit là d’une simple modification de leurs plages horaires. Concrètement, au lieu de travailler du lundi au vendredi de 9 heures à 17 heures, les agents auront la possibilité de ne travailler que du lundi au jeudi mais cette fois-ci de 8 heures à 18 heures (ou bien le lundi, mardi, jeudi et vendredi, avec un jour de pause le mercredi).
« Le rapport au travail a changé, je mesure dans ma génération comme dans les autres les changements de mentalités, les nouvelles attentes sur les horaires sur la disponibilité, sur l’équilibre entre vie professionnelle et familiale », a assuré le premier ministre au Palais du Luxembourg majoritairement à droite, avant de tenter de rassurer les sénateurs : « Personne ne demande un droit à la paresse dans notre pays. Mais ces aspirations doivent être regardées pour ce qu’elles sont. On ne peut pas appliquer les mêmes calques génération après génération ».
« C’est moins de temps passé dans les transports, moins de stress, et plus de bien-être au travail », estime le cabinet de Gabriel Attal. En témoignent les expérimentations déjà menées à l’étranger ou dans le secteur privé français.
Autre argument avancé par Matignon : selon une concertation en ligne réalisée à l’été 2023 auprès des agents de la fonction publique, trois quarts se disaient « intéressés par une réorganisation de leur temps de travail ». Et « pour certains agents aujourd’hui à temps partiel, c’est une possibilité offerte de rester quatre jours tout en passant à temps complet, et donc d’améliorer leur rémunération », poursuit-on à Matignon.
Flop anticipé ?
Mais cette nouvelle formule d’organisation du temps de travail ne sort pas tout à fait du chapeau du premier ministre. Lors de son passage au ministère de l’Economie, en tant que délégué aux Comptes publics, le jeune macronien avait lancé une expérimentation de la semaine en 4 jours à l’Urssaf de Picardie, arguant – en pleine mobilisation sociale contre la réforme des retraites – que « les Français aspiraient à travailler différemment ». La proposition s’était soldée par un véritable flop, on le sait.
Les causes de cet échec avaient alors été identifiées par la direction de l’agence qui collecte et gère les ressources des organismes de protection sociale en Picardie. Avec 72 % d’employés femmes, les salariées de l’URSSAF redoutaient la charge supplémentaire d’une telle mesure sur la parentalité et les difficultés de s’organiser pour aller chercher leurs enfants à l’école les jours travaillés. Ce qui explique d’ailleurs que les trois personnes ayant opté pour la semaine en quatre jours étaient des femmes sans enfants. Une mesure qui entre clairement en contradiction avec le réarmement démographique voulu par le chef de l’Etat. Tous deux sans enfants.
« Car la semaine en 4 jours n’est pas la semaine de 4 jours, et la plupart des gens ne veulent pas de longue journée ! », explique Pierre Larrouturou, député européen apparenté au Groupe de l’Alliance Progressiste des Socialistes et Démocrates, et défenseur historique de la semaine de 32 heures. « Pour que cette mesure soit efficace, il faut réduire le nombre d’heures travaillées, Gabriel Attal sait qu’il y a un problème d’organisation du travail, mais il ne va pas au bout du problème », poursuit celui qui a contribué à l’élaboration de la loi Robien sur l’aménagement du temps de travail en 1996. On sait par ailleurs quels ravages a occasionné la réforme des 35 heures mise en place par le gouvernement Lionel Jospin à partir de l’année 2000 et obligatoire pour toutes les entreprises à compter du 1er janvier 2002, par deux lois votées en 1998 et 2000, et portées par la socialiste Martine Aubry.
Tromperie sur la marchandise
Bien loin donc, l’idée chère aux socialistes, de « partage du temps de travail » entre salariés aux 32 heures, qui impliquerait l’embauche de nouveaux collaborateurs pour combler les heures non travaillées. « La semaine de 32 heures a de vrais effets bénéfiques, parmi lesquelles augmenter la productivité et le bien-être, ce qui explique que de grandes entreprises ont déjà opté par cette formule, comme Danone, la Macif ou Fleury Michon », poursuit le député européen qui estime, d’après ses calculs, qu’elle permettrait de créer jusqu’à 10 % d’emploi en CDI, si les entreprises étaient exonérées de leurs cotisations chômages.
En ce qui concerne la semaine de travail en quatre jours voulue par Gabriel Attal, elle serait davantage « une mesure à destination des emplois non « télétravaillables« , soit les cols-bleus », explique Eric Heyer, chef économiste de l’OFCE (Observatoire français des conjonctures économiques), organisme français indépendant. « A condition qu’elle soit volontaire, au risque de générer des effets inverses ! », prévient l’économiste. Car « plusieurs études démontrent que travailler 35 heures en un temps réduit peut impacter négativement la productivité. Plus la journée est longue, plus la productivité baisse, et on ne travaille pas aussi efficacement la 8e heure que la 7e heure, que la 6e », explique l’économiste, qui conclut que « cela dépend surtout du ressenti de chacun, de son mode de vie et de ses préférences ».
SOS fonction publique
Derrière cette annonce alléchante, l’enjeu est avant tout d’attirer des candidats potentiels, alors que la fonction publique souffre d’un manque d’attractivité croissant. Selon l’INSEE, en dix ans, les salaires du privé ont grimpé deux fois plus vite que ceux du public. Et tous les corps de métiers de la fonction publique nationale, territoriale et hospitalière sont touchés. Rien qu’en 2023, le ministère de la Fonction publique estimait à 58 000 le nombre de postes non pourvus dans l’Hexagone. Et la situation n’est pas près de s’arranger puisque les candidats aux concours de la fonction publique d’État ont chuté de 650 000 en 1997, à 228 000 en 2018.
Un point – non négligeable – n’a pas été précisé par le ministère, malgré nos sollicitations : qui seront donc les fonctionnaires concernés ? Seront également inclus les travailleurs du guichet (CAF, Poste, médecins), alors que le service public exige une continuité de ses activités ? « Cela va poser une question très importante pour les managers, qui vont devoir réfléchir à une continuité de la rotation de leurs collaborateurs », anticipe Eric Heyer. « D’où l’idée que cette mesure soit concertée, et pas imposée en surplomb ».