Retraites: quelles sont les mesures que le Conseil constitutionnel pourrait censurer ?

La douzième  mobilisation intersyndicale, jeudi, pèsera-t-elle sur les décisions du Conseil constitutionnel, vendredi ?

A la veille des décisions attendues du Conseil constitutionnel sur la réforme des retraites, les syndicats français ont appelé à une nouvelle journée de mobilisation jeudi sur l’ensemble du territoire.

Alors que les syndicats et partis politiques sont suspendus à la décision du Conseil constitutionnel, qui rendra sa décision vendredi sur la réforme des retraites, la mobilisation se poursuit dans la rue, jeudi 13 avril. Des grèves doivent à nouveau perturber les secteurs des transports, de l’énergie et de l’éducation.

Parmi les trois scénarios envisageables par les neuf Sages du Conseil constitutionnel, dont aucun n’est représentant de LFI ou du RN, le plus vraisemblable serait la non-conformité partielle du texte. Si les neuf de la rue de Montpensier jugent, vendredi 14 avril, que certaines dispositions de la réforme des retraites sont contraires à la Constitution, ils peuvent les censurer. Dans ce cas, elles ne figurent pas dans le texte qui doit entrer en vigueur à partir du 1er, septembre 2023. Le gouvernement est toutefois libre de les insérer dans un autre projet de loi. Après les onze recours au 49.3, tout est possible…

C’est une hypothèse qui aurait le mérite de satisfaire (presque) tout le monde : l’exécutif, qui s’assurerait ainsi que l’essentiel de son texte -« notamment le report de l’âge légal à 64 ans – entre en vigueur, et les Sages, qui ne pourraient pas être accusés d’avoir eu la main tremblante. Seuls les oppositions et les partenaires sociaux, qui demandent depuis des semaines le retrait total de la réforme, y perdraient. Mieyx que ceka, ce serait un casus belli.

Le « CDI senior » est-il menacé ?

« C’est un classique : Matignon fait exprès de placer quelques cavaliers législatifs [des dispositions non conformes au cadre législatif choisi par l’exécutif] évidents dans un projet de loi pour donner quelques os à ronger aux Sages. Ces derniers ne perdent pas la face et le fond du texte n’est pas remis en cause. Cela arrive très souvent », décrypte un vieux routier anonyme de l’Assemblée nationale. Ainsi, le Canard enchaîné rappelait-il la semaine dernière que 14 cavaliers avaient été repérés dans la loi climat en 2021, 10 dans le budget pour 2022, etc. Mais, en l’occurrence, quels points précis de la réforme des retraites, adoptée via un projet de loi de financement rectificatif de …la Sécurité sociale (PLFRSS) pour 2023, pourraient être censurés ?

L’article 2 du texte – le fameux « index senior » – concentre toute l’attention, car c’est celui qui risque le plus de subir la censure. Selon le texte définitif remis au Conseil constitutionnel le 21 mars, cet index, destiné à contrôler l’emploi des séniors, prévoit de mettre en place un « indicateur relatif à l’emploi des salariés âgés ». Si cette mesure n’était pas censurée, cet index serait obligatoire dès novembre 2023 pour les entreprises de plus de 1.000 salariés ; l’obligation est fixée à juillet 2024 pour les entreprises dont les effectifs sont compris entre 300 et 1.000 salariés.

Or, même si les entreprises qui ne publieraient pas cet index seraient soumises à des pénalités financières, les Sages ne devraient avoir aucun mal à prouver qu’il ne devrait pas figurer dans un PLFRSS. En effet, à la différence d’autres dispositions, cet index n’est pas une mesure d’ordre financier et ne devrait pas avoir d’impact sur les comptes de la Sécurité sociale pour 2023. Or, c’est précisément ce qu’il faut prouver pour qu’une disposition d’un PLFRSS ne soit pas retoquée ; pour être accepté, cet index aurait dû figurer dans une loi spécifique sur l’emploi ou le travail.

Même cause, mêmes effets pour le « CDI senior »

Le « CDI senior » pourrait également être censuré pour la même raison. Cette disposition, qui ne figurait pas dans le texte initial – c’est l’un des apports des sénateurs LR -, prévoit la création d’un contrat à durée indéterminée spécifique aux plus de 60 ans et, surtout, exonéré de cotisations familiales « afin de compenser le coût d’un salarié senior, qui, compte tenu de son expérience, peut prétendre à une rémunération plus élevée qu’un jeune actif », plaidait le sénateur René-Paul Savary, corapporteur du texte au Sénat. Que cette idée passe à la trappe ne déplairait pas au gouvernement : Gabriel Attal, ministre délégué aux Comptes publics, avait alerté sur le risque d’un « effet d’aubaine » d’une mesure coûteuse (800 millions d’euros pour la branche famille, selon le ministre).

D’autres propositions semblent menacées

Certains constitutionnalistes, dont les avis divergent radicalement sur la future décision du Conseil constitutionnel, estiment par ailleurs que le compte pénibilité, par exemple, pourrait être censurés. D’autres, tel Jean-Philippe Derosier, professeur de droit public à l’université de Lille, ont rappelé qu’une autre option s’offrait aux Sages : la constitutionnalité sous réserve.

Cet outil permet au Conseil constitutionnel de « déclarer une disposition conforme à la Constitution à condition qu’elle soit interprétée ou impliquée de la façon qu’il indique ». Cela permettrait donc de valider des mesures qui, sans cette réserve, auraient été censurées. Quoi qu’il en soit, nul ne pourra remettre en cause la décision des Sages : selon l’article 62 alinéa 3 de la Constitution, « les décisions du Conseil constitutionnel ne sont susceptibles d’aucun recours. Elles s’imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives et juridictionnelles ». Encore une fois, les représentants du peuple seront contredits par des juges.

Loi retraites : le Conseil constitutionnel peut-il la détricoter ?

Le droit de censure exercé par neuf juges politiques suprêmes est-il vraiment démocratique ?

Laurent Fabius, le président socialiste du Conseil constitutionnel, qui est tenu à un devoir de réserve, ne s’est exprimé qu’une fois sur le sujet en janvier. Trois mois plus tard, les huit locataires de la rue de Montpensier et lui sont sollicités de toute part pour répondre à une question cruciale : la réforme Macron des retraites et les conditions de son examen sont-elles conformes à la Constitution ?

Lundi, après avoir échappé de justesse à une motion de censure, Elisabeth Borne a annoncé sa décision de saisir « directement » le Conseil constitutionnel pour que « tous les points soulevés au cours des débats puissent être examinés dans les meilleurs délais ». La première ministre entend ainsi répondre aux critiques des oppositions de la gauche et de l’extrême droite ou de l’extrême gauche et de la droite qui ont, eux aussi saisi les Sages.

Dans son recours déposé ce mardi 21 mars, le Rassemblement national attaque trois points : le choix du véhicule législatif – un projet de loi de financement rectificatif du budget de la sécurité sociale (PLFRSS) -, la présence de cavaliers budgétaires [qui n’auraient pas de rapport avec le texte], comme l’index senior, ainsi que « la sincérité des débats » altérée par « l’abus du droit d’amendement de la part de la Nupes qui a empêché que nous ayons un vote », selon l’un des porte-parole du parti Thomas Ménagé. La NUPES partage la critique sur le PLFRSS et celle sur les cavaliers législatifs. Elle interroge également la sincérité du débat, mais en dénonçant l’accumulation des procédures, notamment au Sénat, qui ont obligé à accélérer les discussions.

La mise en garde de Fabius

Le Conseil constitutionnel devra trancher tous ces points. Mais son chef Laurent Fabius a déjà mis en garde sur l’un d’entre eux : le risque de « cavalier budgétaire » qui menace toutes les dispositions qui se retrouvent « hors champ financier »« Dans ce cas, il faudrait un deuxième texte », a-t-il lâché en janvier, cité dans l’hebdomadaire anarchiste Le Canard Enchaîné.

Les potentiels cavaliers législatifs sont bien identifiés, et pas seulement par les élus d’opposition. En février, une note du Conseil d’Etat soulignait ce risque pour l’index senior. Une disposition qui se retrouve néanmoins dans le texte définitivement adopté lundi à l’issue du rejet des motions de censure, tout comme le CDI senior imposé par la droite au Sénat et qui pourrait aussi être considéré comme un cavalier.

Le rejet de ces articles pourrait entraîner une censure partielle du texte. Cependant, cela serait sans impact sur la mesure la plus controversée, à savoir le recul de l’âge de départ à la retraite de 62 à 64 ans. Et un rejet partiel ne ferait pas non plus renoncer l’exécutif. A propos de l’index senior par exemple, l’entourage de la première ministre précisait en février dans les colonnes du journal de gauche Le Monde qu’en cas d’invalidation, la mesure « sera reprise dans le projet relatif au plein-emploi qui doit être présenté au printemps ».

La forme compte plus que le fond

Une censure partielle du texte ne serait qu’une maigre victoire pour les opposants à la réforme. C’est la raison pour laquelle les plus grands espoirs se fondent sur les recours déposés sur la forme. « Nous n’avons jamais vu ça ! A toutes les étapes, on nous tord les bras ! Tout cela sera abrogé à la fin », assurait ainsi un Mélenchon très aggressif sur le plateau du Grand Jury RTL/Le Figaro/LCI dimanche 19 mars.

La liste des doléances parlementaires est longue« Le premier grief est d’avoir utilisé l’article 47-1 de la Constitution qui contraint les délais d’étude du texte à 50 jours. Cette contrainte temporelle n’a de sens que pour les projets de loi de finances et de financement de la Sécurité sociale qui sont étudiés chaque automne, car la loi doit être promulguée avant le 1er janvier. Mais là, dans le cadre d’un budget rectificatif, il n’y a aucune raison de limiter le temps du débat parlementaire », explique dans Capital le constitutionnaliste Dominique Rousseau qui y voit « le risque le plus important d’inconstitutionnalité qui peut faire tomber toute la loi ».

Le deuxième sujet de discorde concerne la tenue des débats au Parlement. La chambre basse n’a pu étudier que les deux premiers articles du texte ; la chambre haute a tout étudié, mais en limitant les temps de parole grâce à l’article 38 du règlement et au vote bloqué ; quant à la commission mixte paritaire, « le gouvernement s’est permis au dernier moment (de rajouter) un amendement additionnel  », met en garde dans Le Figaro Paul Cassia, professeur de droit constitutionnel à Paris 1-Panthéon-Sorbonne.

Fabius face à Macron ?

De quoi porter un peu plus atteinte à « la clarté et la sincérité des débats », un point sur laquelle les parlementaires misent beaucoup pour faire retoquer l’ensemble du texte. D’autant plus, souligne Dominique Rousseau, que « la recevabilité sociale d’une loi dépend de la clarté et de la sincérité des débats parlementaires ».

Après cinq jours de rassemblements spontanés, émaillés de heurts, dans toute la France, le risque d’explosion du climat social peut difficilement être négligé. Mais retoquer la réforme des retraites dans son ensemble – outre qu’une telle décision est rarissime – serait aussi un véritable affront politique fait par l’ancien socialiste Laurent Fabius au président Macron.

Le Conseil constitutionnel a un mois maximum pour trancher, moins si le gouvernement réclame un examen en urgence. En parallèle, il devra aussi se prononcer sur le référendum d’initiative partagée dont il a été saisi le 20 mars. Si le fond de cette procédure – interroger le peuple sur la réforme – fait l’unanimité des oppositions, son utilité immédiate est questionnée.

Sur le papier, le RIP ne peut pas empêcher la promulgation d’une loi. Lors du précédent sur la privatisation des aéroports de Paris en 2019, le Conseil constitutionnel avait acté le 9 mai que jusqu’à vérification par ses soins du nombre de signatures recueillies, « l’examen de la proposition de loi par le Parlement est suspendu. » Sauf que la loi, définitivement adoptée le 11 avril 2019, avait déjà fini la navette parlementaire, au même titre que la réforme des retraites aujourd’hui. En revanche, le couple exécutif de l’époque, Emmanuel Macron et Edouard Philippe, n’avait pas pris les décrets d’application permettant sa mise en œuvre et le projet avait finalement été abandonné en mars 2020.

Le chef de l’Etat choisira-t-il de temporiser de la même façon sur les retraites ? Ce mardi 21 mars, sur Sud Radio, le ministre du Travail Olivier Dussopt a assuré que « la loi entrera en vigueur le 1er septembre 2023, une fois que le Conseil constitutionnel se sera prononcé. » Avant d’ajouter, serein : « Je crois que pour l’essentiel, il n’y a pas de grand sujet ».

La parole est aux juges du Conseil constitutionnel, à majorité socialiste, six contre trois.

Retraites : la version finale de la réforme 2023

La réforme doit beaucoup aux propositions du Sénat à majorité studieuse de droite

Réunie depuis ce mercredi 15 mars à 9h à l’Assemblée nationale, alors que la gauche soi-disant réformiste provoquait la huitième journée de mobilisation contre la réforme des retraites, une commission mixte paritaire a adopté un texte commun sur la réforme des retraites. Il sera présenté jeudi au Sénat, puis à l’Assemblée nationale. Aux alentours de 17h30, ce fut chose faite. Selon la formule, la commission parlementaire, composée de sept sénateurs et sept députés, s’est avérée conclusive, mettant un point final au texte de la réforme des retraites. Ce jeudi, ce texte de compromis sera soumis au vote du Sénat le matin, puis à l’Assemblée nationale l’après-midi.

64 ans, 43 annuités, le fond de la réforme conservé

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Les travaux de la commission ont pu, sans surprise, aboutir : dix parlementaires sur les quatorze étant favorables à la réforme. Ainsi, le coeur du projet sort sans dommage de cette journée. Le report de l’âge légal de 62 à 64 ans, à partir du 1er septembre 2023 et au rythme de 3 mois par an jusqu’en 2030, est bien dans le texte. Les travailleurs handicapés, eux, pourront partir à partir de 55 ans, et ceux en invalidité à 60 ans.

En ce qui concerne le nombre d’annuités, la réforme enregistre l’allongement de la durée de cotisation, qui passera de 42 ans (168 trimestres) à 43 ans (172 trimestres) d’ici 2027, au rythme d’un trimestre par an. Cet allongement était prévu par la réforme Touraine de 2014, mais sur un calendrier moins resserré. A noter que l’annulation de la décote restera maintenue à 67 ans pour ceux qui n’auront pas tous les trimestres requis.

Les petites pensions

Les pensions des futurs retraités justifiant d’une « carrière complète », soit 43 ans de cotisations à terme, ne pourront pas être inférieures à 85 % du Smic, soit environ 1 200 euros brut par mois au moment de l’entrée en vigueur de la réforme. Les retraités actuels justifiant des mêmes critères bénéficieront aussi de cette revalorisation.

Une surcote pour les mères de famille

Le patron des sénateurs LR, Bruno Retailleau, avait fait de ce point une « ligne rouge ». La surcote pour les mères de famille figure bien dans le texte soumis au vote. Elle est censée bénéficier aux femmes qui ont au moins un enfant et qui ont une carrière complète, c’est-à-dire tous leurs trimestres, avant le futur âge légal, soit 64 ans en 2030. Elles auront une surcote de 1,25 % par trimestre, et jusqu’à 5 % au maximum. Le sujet avait été négocié directement avec le gouvernement en amont des discussions au Sénat.

Le « CDI senior » expérimenté

Autre sujet cher à la droite sénatoriale, le « CDI senior » sera testé. Les partenaires sociaux sont appelés à discuter du sujet, pour trouver un accord interprofessionnel. S’il n’était pas trouvé, une expérimentation serait mise en place du 1er septembre 2023 à 2026. La mesure, qui concerne les chômeurs de plus de 60 ans, disposera d’un budget de 100 millions d’euros.

Un « index seniors » sera également créé pour mieux connaître la place des salariés en fin de carrière dans les entreprises. Il sera obligatoire dès cette année pour les entreprises de plus de 1 000 salariés, un seuil abaissé à 300 salariés en 2024. Sa non-publication sera passible de sanctions.

La fin de seulement cinq régimes spéciaux

La plupart des régimes spéciaux existants, comme ceux de la RATP, des industries électriques et gazières et de la Banque de France, seront mis en extinction selon la « clause du grand-père », qui limite l’application des nouvelles règles aux nouveaux entrants.

L’épineuse question des carrières longues

C’est le point le plus complexe. Ceux qui ont commencé à travailler tôt pourront toujours partir plus tôt. Actuellement, un début de carrière avant 20 ans peut permettre un départ anticipé de deux ans, et une entrée dans la vie active avant 16 ans peut donner droit à une retraite anticipée de quatre ans. Ce dispositif sera « adapté » avec deux nouvelles bornes d’âge : ceux qui ont commencé à travailler entre 20 et 21 ans pourront partir un an plus tôt, à 63 ans ; ceux qui ont débuté avant 20 ans pourront partir deux ans plus tôt, soit 62 ans ; ceux qui ont commencé avant 18 ans pourront faire valoir leur droit à la retraite quatre ans plus tôt, soit 60 ans ; ceux qui ont démarré avant 16 ans pourront terminer leur carrière six ans plus tôt, soit à 58 ans.

Une prise en compte de la pénibilité

Le compte professionnel de prévention prenant déjà en compte le travail de nuit et d’autres critères de pénibilité pourra être utilisé pour financer un congé de reconversion professionnelle. D’autres critères comme le port de charges lourdes, les postures pénibles et les vibrations mécaniques seront eux pris en compte au moyen d’un nouveau « fonds d’investissement dans la prévention de l’usure professionnelle ». Chez les fonctionnaires, les « catégories actives » englobant notamment les policiers, pompiers et aides-soignant(e)s conserveront leur droit à un départ anticipé.

Retraites : le Sénat adopte l’index senior pour les entreprises de plus de 300 salariés

Cet index sera obligatoire dès novembre 2023 dans les entreprises de 1.000 salariés. 

Une majorité de députés a rejeté, mi-février, l’article 2 de la réforme des retraites, qui dessinait les contours de l’index senior visant à pousser les entreprises à maintenir les plus de 55 ans dans leurs effectifs. La

L’assemblée à minorité présidentielle a donc amputé de son index senior le projet Macron de réforme des retraites, alors que le gouvernement souhaitait obliger les plus grosses entreprises à faire preuve de transparence sur le sort qu’elles réservent aux plus âgés de leurs salariés, alors que le taux d’emploi des seniors est en progression constante. A 6,3 % en 2021, le taux de chômage des seniors reste plus bas que celui de l’ensemble des actifs, même si l’écart se réduit depuis 2003. Entre 2014 et 2021, la part des seniors en emploi augmente de 7,7 points, tandis que celle des retraités diminue, suite aux réformes des retraites.

Avec l’index senior, dont les contours étaient définis dans l’article 2 du projet de loi en cours d’examen, les employeurs concernés étaient contraints de rassembler des données précises sur les plus de 55 ans dans leur effectif: nombre, la part de ces seniors dans les recrutements, la formation professionnelle qui leur est garantie (entre autres). A charge pour eux, ensuite, de rendre toutes ces données publiques.

Le Sénat a quant à lui adopté l’article 2 de la réforme des retraites sur l’index sénior, dans la nuit de dimanche 5 à lundi 6 mars. Les sénateurs ont ramené à 300 salariés le seuil à partir duquel les entreprises devront publier l’index. La gauche a dénoncé un dispositif inconstitutionnel et qui ne « sert à rien », tandis que la majorité sénatoriale a timidement défendu une mesure qu’elle veut compléter par un CDI senior et qu’il faut laisser vivre dans le dialogue social.

L’index senior proposé par le gouvernement a été comparé à un numéro vert pour lutter contre la canicule l’été ou à un cache-sexe, ce dimanche au Sénat. Si le dispositif proposé à l’article 2 du projet de loi a en effet été loin de faire l’unanimité, ce n’est pas vraiment à cause d’une opposition frontalement politique, contrairement à l’article 1er sur la suppression de cinq régimes spéciaux. Ce que la gauche a cette fois reproché à la mesure proposée par l’exécutif, c’est qu’elle ne sert à rien. « Je ne comprends même pas que l’on soit en train d’en discuter », tacle notamment la sénatrice écologiste Mélanie Vogel. « L’index ne remédiera pas aux représentations négatives liées à l’âge », ajoute la sénatrice Eliane Assassi, la présidente du groupe communiste, alors que la sénatrice socialiste Laurence Rossignol, qui confie « beaucoup aimer les index », regrette que « ça ne fasse pas une politique publique. »

Quoi d’étonnant donc que la France soit à la 16e place sur 27, avec un taux d’emploi des seniors de 55,9 %. Selon Eurostat, c’est en Suède que l’index senior est en revanche le plus élevé avec 76,9 % en 2021 contre 43,8 % en Roumanie, pays où il est le plus bas. La moyenne européenne se situe à 60,5 %. 

Même du côté de la majorité sénatoriale, on défend timidement cet article rejeté par l’Assemblée nationale. « Pour tout vous dire, je ne suis pas un grand fan », lâche même le rapporteur LR du texte, René-Paul Savary, qui préfère mettre en avant des dispositifs comme le « CDI Senior », qui exonérerait de cotisations familles les employeurs qui embauchent une personne de plus de 60 ans en CDI. Le sénateur de la Marne donne par ailleurs rendez-vous aux sénateurs pour l’examen d’une future loi travail dans les prochains mois.

Elisabeth Doineau, rapporteure générale centriste du budget de la Sécurité sociale, défend, elle une « responsabilisation des chefs d’entreprise », tout en concédant au micro de Public Sénat, en marge de la séance, que le CDI Senior de la majorité sénatoriale présenterait des résultats « beaucoup plus significatifs. »

L’article, qui était débattu depuis le milieu d’après-midi ce dimanche, a été adopté dans la nuit, peu avant 1 heure du matin, par 244 voix pour et 96 voix contre.

🔴 #RéformeDesRetraites : le Sénat adopte l’article 2 du projet de loi (244 voix pour, 96 voix contre), qui prévoit la création d’un « index senior » dans les entreprises de plus de 300 salariés. pic.twitter.com/vNw6NljEcD— Public Sénat (@publicsenat) March 5, 2023

Un seuil d’application rétabli à 300 salariés

Sur le fond, le texte met en place un « indicateur relatif à l’emploi des salariés âgés », appelé « index senior » obligatoire pour les entreprises de plus de 300 salariés dans la version votée par le Sénat. « Le seuil de 300, c’est le seuil de discussion au sein de l’entreprise, de la gestion prévisionnelle des emplois […] En dessous c’est un peu compliqué », a exposé le rapporteur LR René-Paul Savary. Dans la version transmise au Sénat, le gouvernement avait abaissé le seuil à 50 salariés, comme le souhaitait une majorité de députés avant le rejet de l’article. Ce dimanche, le gouvernement a finalement adressé un avis de sagesse à la modification proposée par les rapporteurs du Sénat. Retour donc au seuil présent dans la version initiale du projet de loi.

Index senior : @OlivierDussopt donne un avis de sagesse à l’amendement de la commission des affaires sociales, qui propose de relever de 50 à 300 salariés le seuil au-delà duquel la publication de l’index est obligatoire. Il s’agit du seuil du texte initial.#RéformeDesRetraites pic.twitter.com/nq1snKUSQ5— Public Sénat (@publicsenat) March 5, 2023

Cet index sera obligatoire dès novembre 2023 pour les entreprises de 1.000 salariés. Les entreprises dont les effectifs sont compris entre 300 et 1000 auront un peu plus de temps pour se préparer, le projet de loi fixant l’obligation pour la publication de l’index à partir de juillet 2024.

Une pénalité en fonction de la masse salariale est prévue en cas de non-publication, mais pas en cas de résultats insuffisants sur l’emploi des seniors. Le pari de la « responsabilisation des entreprises » sans contrainte ou sanctions financières n’a évidemment pas enchanté la gauche sur le principe. Mais en l’espèce, le problème est encore plus profond.

Déjà, l’article avait été rejeté par l’Assemblée nationale en première lecture. Si le texte avait été une loi ordinaire examinée jusqu’à son terme par la chambre basse, cet article n’aurait donc pas figuré dans la version transmise au Sénat. Mais le gouvernement ayant eu recours à l’article 47-1 au terme des délais prévus pour un budget de la Sécurité sociale, l’index senior a pu être réintégré dans la version du texte transmise au Sénat. « Le gouvernement se plaint de l’obstruction mais quand un article est voté et rejeté, ça ne vous intéresse pas. Moi je ne comprends pas », a notamment protesté Mélanie Vogel.

Surtout, l’article 2 représente un risque de censure par le Conseil constitutionnel, comme le confirme l’avis du Conseil d’Etat qui a fuité dans la presse, et que René-Paul Savary a pu consulter, comme il l’a admis ce samedi en séance. « Cette note ne contient rien de scandaleux, quelques dispositions sur l’index des séniors […]. Ce sont des alertes tout à fait courantes qui ne remettent pas en cause les discussions que nous avons au Sénat », précisait le rapporteur du projet de loi interpellé par la gauche dans la nuit de samedi à dimanche.

« Nous allons discuter d’un index senior manifestement inconstitutionnel »

« Le véhicule législatif choisi est proprement scandaleux. Nous allons discuter d’un index senior dont l’avis du conseil d’Etat que nous n’avons pas dit qu’il est manifestement inconstitutionnel. […] L’emploi des seniors, voilà un beau sujet. Manque de chance, nous sommes dans un budget rectificatif de la Sécu, donc ce débat, nous allons le mener à partir de l’article 2. Mais vous avez évacué les amendements qui présentaient une vision alternative de ce travail. Le détournement de procédure auquel vous vous livrez malmène les possibilités que nous avons dans notre travail », a notamment tancé le sénateur écologiste Daniel Breuiller.

La gauche s’est en effet vu censurer des amendements sur l’index des seniors au motif qu’ils n’avaient pas d’impact sur les dépenses ou les recettes de la Sécurité sociale… ce qui est précisément le problème constitutionnel posé par l’index senior lui-même.

« Nous avons écouté les partenaires sociaux pour ne pas tout rejeter d’un revers de main »

Olivier Dussopt est resté très silencieux sur les risques d’inconstitutionnalité et a principalement défendu un index des seniors qui misait sur le dialogue social et une construction du dispositif par les partenaires sociaux. « La CFDT a regretté cette suppression de l’index. On renvoie au dialogue social pour la fixation des critères et leur adaptation », a notamment expliqué le ministre du Travail. « La CFDT est attachée à l’index. Nous avons consulté énormément, cela fait quatre ou cinq ans que certains d’entre nous se penchent sur le sujet. Nous avons écouté les partenaires sociaux pour prendre en compte cet index et ne pas tout rejeter d’un revers de main », a ajouté René-Paul Savary.

Olivier Henno, qui a travaillé sur ces questions pour la majorité sénatoriale, a lui aussi voulu défendre une mesure qui « ne doit pas trop être encadrée », mais que le paritarisme « doit faire vivre. » Le sénateur centriste ne « désespère » pas d’un dispositif qui doit représenter « du grain à moudre » pour l’emploi des seniors dans l’année à venir. « Le paradoxe, c’est l’incohérence. Celles et ceux qui étaient pour sa suppression et qui veulent l’étendre à toutes les entreprises », a-t-il notamment lancé à la gauche qui défendait des amendements pour étendre le dispositif aux petites et moyennes entreprises.

Comme leurs collègues de gauche, les membres de l’Union centriste et sénateurs du RDPI (LREM) ont échoué à rendre l’article plus coercitif. Ils souhaitaient rendre obligatoire la négociation d’un accord ou d’un plan d’action, en cas d’absence de progression ou de détérioration des indicateurs sur l’emploi des seniors dans une entreprise. Leurs amendements ont été rejetés.

Index senior : @OHenno et ses collègues du groupe @UC_Senat demandent que les entreprises négocient un plan d’action en cas de détérioration des indicateurs sur l’emploi des seniors.#RéformeDesRetraites #DirectSénat pic.twitter.com/NMdOXj5NeW— Public Sénat (@publicsenat) March 5, 2023

Ce lundi matin, le Sénat va examiner la proposition de la commission des affaires sociales de « CDI senior » ou « contrat de fin de carrière ». Après avoir examiné 258 amendements ce dimanche, il reste désormais 3.011 amendements à débattre pour les sept derniers jours d’examen de la réforme.