Alexis Kohler, la doublure du président en campagne

Faut-il ré-élire Alexis Kohler?

Les faits

Extraits. Entre le chef de l’Etat et son secrétaire général, les secrets d’une alchimie gémellité au cœur du pouvoir et de la conquête.

Le 24 janvier, dans la Creuse, Emmanuel Macron déclare : « J’annoncerai ma décision en temps voulu. » Le 25 janvier, dans le baromètre Odoxa-Mascaret pour La Voix du Nord, la cote de popularité du président de la République accuse une chute de cinq points.

Il lui arrive de prendre de l’avance. Le président n’est pas candidat, Alexis Kohler est déjà en campagne. Chaque jeudi, il participe à une réunion au siège de LREM, rue du Rocher, à Paris 8e. Entre temps, David Amiel, ancien collaborateur de l’Elysée, joue les messagers entre l’Elysée et l’équipe du parti dédiée à la réélection. Il rencontre régulièrement Alexis Kohler. Le sujet est partout, y compris dans la réunion de calage du lundi après-midi au Palais où plusieurs conseillers se retrouvent autour du secrétaire général. Christian Dargnat (ci-dessus à droite, avec Castaner), le financier qui avait levé les fonds nécessaires à la campagne de Macron en 2017, est de nouveau à la tâche, en lien avec le secrétaire général. Ce proche de Macron, spécialisé dans la gestion d’actifs et l’investissement, est à la tête d’Alphée Consulting, cabinet de conseil aux dirigeants fondé en 2016 (Groupe URVIKA). Cette fois, il s’agit de trouver six millions d’euros, seulement.

Macron (à droite) avec Muriel Pénicaud (à gauche) au CES de Las Vegas, le 7 janvier 2016, au lendemain de la French Tech Night

Evocation de l’affaire Business France, parallèle, qui concerne la signature par Business France, dont Muriel Pénicaud, ex-minimstre du Travail de Macron, était la directrice générale à l’époque des faits, sans appel d’offres préalable, d’un contrat d’un montant de 381.759 euros, dont 100.000 euros de frais d’hôtel, avec la société Havas, pour organiser une soirée le 6 janvier 2016, à l’hôtel The Linq à Las Vegas, avec 500 personnalités et dirigeants de start-ups françaises à laquelle a participé le ministre des Finances de F. Hollande et futur candidat Macron « autour d’un fastueux banquet », en marge du Consumer Electronics Show (CES). Or, « selon le code des marchés publics, un appel d’offres est obligatoire pour l’attribution de marchés publics dont le montant est supérieur à 25.000 euros ».

French Tech Night
de Las Vegas, 2016

Kohler au cœur de la campagne ? Dans la macronie, les uns, conscients du risque d’incompatibilité entre l’action au quotidien et l’inventivité programmatique, minimisent : ils concèdent au secrétaire général un rôle de trait d’union entre le front électoral et son bureau à l’Elysée. Sans plus. Les autres banalisent : a-t-on jamais vu l’occupant de cette fonction au service d’un Président sortant ne pas s’impliquer à fond quand se joue le destin de son patron ? L’un d’entre eux en rajoute : « Alexis Kohler prépare déjà les 100 premiers jours du futur mandat, parce que l’on sait à quel point les débuts sont cruciaux. »

Pour le commun des mortels, les journées comptent 24 heures. Pour Emmanuel Macron, elles durent deux fois plus. L’homme responsable de ce miracle s’appelle Alexis Kohler, secrétaire général de la présidence de la République, et bien plus que cela. Il est le bras, l’œil et le cerveau bis du chef de l’Etat. Non qu’il le remplace, mais il le prolonge. Il n’est pas son double – Emmanuel Macron ne le supporterait pas – mais sa doublure.

Il lui arrive de prendre de l’avance. Le président n’est pas candidat, Alexis Kohler est déjà en campagne. Chaque jeudi, il participe à une réunion au siège de LREM, rue du Rocher, à Paris. Entre temps, David Amiel, ancien collaborateur de l’Elysée, joue les messagers entre l’Elysée et l’équipe du parti dédiée à la réélection. Il rencontre régulièrement Alexis Kohler. Le sujet est partout, y compris dans la réunion de calage du lundi après-midi au Palais où plusieurs conseillers se retrouvent autour du secrétaire général. Christian Dargnat, le financier qui avait levé les fonds nécessaires à la campagne de Macron en 2017, est de nouveau à la tâche, en lien avec le secrétaire général. Cette fois, il s’agit de trouver six millions d’euros, seulement.

[A. Kohker est redevable. Notamment depuis l’affaire politico-financière des relations entre MSC et Alexis Kohler déclenchée par les plaintes déposées par l’association Anticor en juin et août 2018 et par la publication par Mediapart en juin 2020 d’une note d’Emmanuel Macron adressée au Parquet national financier (PNF) pour disculper Alexis Kohler, au lendemain d’un rapport de police l’accablant en juin 2020, en lien avec ses liens familiaux avec MSC.]

Kohler au cœur de la campagne ? Dans la macronie, les uns, conscients du risque d’incompatibilité entre l’action au quotidien et l’inventivité programmatique, minimisent : ils concèdent au secrétaire général un rôle de trait d’union entre le front électoral et son bureau à l’Elysée. Sans plus. Les autres banalisent : a-t-on jamais vu l’occupant de cette fonction au service d’un Président sortant ne pas s’impliquer à fond quand se joue le destin de son patron ? L’un d’entre eux en rajoute : « Alexis Kohler prépare déjà les 100 premiers jours du futur mandat, parce que l’on sait à quel point les débuts sont cruciaux. »

Formalité. D’ici là, une petite formalité, il faut être élu. Faire un programme ou quelque chose qui y ressemble. « Entre la rue du Rocher et celle du Faubourg Saint-Honoré, les rênes sont courtes, il y a des cahiers des charges, des contraintes pour la rédaction de fiches, des commandes de mesures wahou! mais réalisables, avec un calendrier structuré, des remises de copies séquencées, c’est très processé », relate l’un des participants à cette effervescence. C’est à Alexis Kohler que s’adressent les demandeurs d’une investiture pour les législatives plus qu’à Richard Ferrand, président de l’Assemblée nationale, ou à Stanislas Guerini, délégué général de LREM. Si un directeur de campagne, doté de ce titre formel, finit par être nommé, il ne s’appellera pas Alexis Kohler, mais il en rapportera à lui. Emmanuel Macron ignore les organisations politiques, il les contourne. Il ne fait confiance qu’à une seule personne, Alexis Kohler, donc la campagne va se passer autour de lui.

« Nous travaillons en harmonie, dit Alexis Kohler à l’Opinion. Le Président fixe le cap et déploie sa vision avec volontarisme et énergie. Je suis là pour rendre possible ce qui est souhaitable: ce n’est pas à lui de s’occuper de la tuyauterie. » N. Sarkozy se voit en revanche reprocher en justice de ne pas s’être tenu informé du financement de sa campagne.

Seule Brigitte Macron peut revendiquer un tel lien, dans un registre différent. Elle est la part non négociable d’Emmanuel Macron, côté personnel ; Alexis Kohler occupe cette place dans la sphère professionnelle. Tous deux jouent le même rôle, celui d’une prise de terre qui relie l’homme et le Président à la réalité. « Nous travaillons en harmonie, dit Alexis Kohler à l’Opinion. Le Président fixe le cap et déploie sa vision avec volontarisme et énergie. Je suis là pour rendre possible ce qui est souhaitable : ce n’est pas à lui de s’occuper de la tuyauterie.»

Le poste de bras droit à l’Elysée est promis par Emmanuel Macron à Alexis Kohler dès qu’il quitte le ministère de l’Economie, en août 2016. Kohler, qui fut son directeur de cabinet, part pour Genève travailler dans la branche croisière de MSC. Pourtant, il reste en contact permanent avec le candidat, vient à Paris une fois par semaine et tous les week-ends. Les réunions d’arbitrage ont lieu le samedi. Les deux hommes ne se connaissent que depuis 2012. Et Kohler n’était pas le premier choix de Macron pour diriger son cabinet à Bercy. Il voulait François Villeroy de Galhau. Plusieurs voix avertissent le jeune ministre : cet inspecteur des finances à la carrière prestigieuse, presque vingt ans de plus que lui, sera considéré comme le vrai tenant du pouvoir.

Terrain de foot. L’entente entre Macron et Kohler est immédiate, elle ne faiblit pas. « Ils partagent un corpus idéologique très proche. Sur un terrain de foot, ils seraient capables de se passer la balle sans se regarder. Ils ne se cherchent jamais parce qu’ils sont sûrs de se trouver », affirme Philippe Grangeon, ancien conseiller spécial à l’Elysée,toujours proche des deux hommes. Kohler est rassurant : proximité intellectuelle, absence d’ambition politique personnelle, loyauté absolue, caractère tempéré. Pas du genre à traverser le pont d’Arcole tous les jours comme un Dominique de Villepin sous Jacques Chirac. « Il est le ‘Waze’ du Président, résume un conseiller. Avec lui vous prenez la bagnole, vous savez par où passer et à quelle heure vous arriverez. » « Alexis n’est pas un technocrate, et s’il lui arrive de se traiter ainsi, c’est un signe d’humilité ou d’auto-dérision. Il partageait dès 2014 avec Emmanuel Macron l’idée d’une gauche enfermée dans ses clichés, il veut assurer la réforme de l’économie, il est pleinement dans l’esprit de la loi Macron de 2015 », affirme Clément Beaune, secrétaire d’Etat aux Affaires européennes.

Parler à Kohler, c’est parler à Macron. « Quand Villepin vous passait un message au nom du chef de l’Etat, vous n’étiez pas sûr qu’il exprimait la pensée présidentielle », note un ancien chiraquien. Alexis Kohler, lui, est un papier calque. En mai 2021, Pierre Moscovici, premier président de la Cour des comptes, le rencontre. Le lendemain, il retourne à l’Elysée pour une décoration. Le Président le prend par le bras : « Alexis m’a raconté votre rendez-vous, viens, on en parle trente secondes. » Et de répercuter l’exact contenu de la discussion de la veille.

Pour assumer une hyper centralisation, il fallait un Kohler à Macron. Cette concentration du pouvoir ne doit pas qu’au tempérament du chef de l’Etat. « Il y a une tendance longue, depuis la création du quinquennat, à une forme d’extension du domaine réservé, par exemple aux questions de sécurité intérieure. Elle correspond d’ailleurs aux attentes des Français. Le chef de l’Etat ne peut pas ne pas être en première ligne sur ces sujets. D’où le rôle élargi du Conseil de défense », explique Alexis Kohler.

Infantilisation. Incarnant la présidence et le Président, le secrétaire général en symbolise les dysfonctionnements, inexistence du parti et infantilisation des ministres. Leurs interviews sont relues loupe à la main. Il leur arrive de recevoir des SMS directifs : « Je ne veux pas… », « Je te prie d’en tenir compte »… Lui est là pour exécuter le programme du macronisme, son obsession. Eux savent qu’il est souvent leur courroie de transmission unique avec le chef de l’Etat. La personnalité du secrétaire général adoucit la férule : affable, courtois, souvent drôle, Kohler échappe à l’arrogance parfois accolée à sa fonction. Les membres du gouvernement savent les défauts du Président, et que son bras droit les tempère.

Avec Bercy, les contacts sont particulièrement nourris car l’économie est le cœur de la compétence du secrétaire général. Celui-ci surveille de près la politique industrielle, reçoit les grands patrons (ce que le Président fait très peu). Il n’est pas toujours d’accord avec Bruno Le Maire.

« Je dis toujours ce que je pense au Président, mais mon opinion a d’autant plus de valeur qu’elle reste entre lui et moi, c’est une condition de la confiance », dit Alexis Kohler

Cela arrive aussi entre Alexis Kohler et Emmanuel Macron. « Je dis toujours ce que je pense au Président, mais mon opinion a d’autant plus de valeur qu’elle reste entre lui et moi, c’est une condition de la confiance », dit-il. Les cloisons n’étant pas toujours étanches, on aura appris que le secrétaire général n’était pas favorable au renoncement à la hausse de la taxe carbone, au moment du mouvement du Gilets jaunes, ni au grand débat qu’Emmanuel Macron a l’idée de lancer après. Qu’il soutenait Edouard Philippe, Premier ministre, dans sa volonté d’instituer un âge pivot au moment de la réforme des retraites. Une fois celle-ci suspendue, il milite pour une reprise partielle de la réforme avec au moins une mesure d’âge. En juillet 2020, il tente, en vain, de convaincre Emmanuel Macron de maintenir Marc Guillaume à son poste de secrétaire général du gouvernement.

Cuisine. Le 13 janvier, Bruno Retailleau, sénateur, annonce prématurément un accord au sein de la commission mixte paritaire (CMP) sur le pass vaccinal. Scandalisée, la majorité à l’Assemblée nationale met fin à la CMP. Cette décision est validée par Alexis Kohler. Quand les députés macronistes veulent faire passer des amendements à des textes de loi, la clef se trouve à l’Elysée, pas chez les ministres concernés. Le secrétaire général fait quelques incursions dans la cuisine politique. Par exemple, pour sauver Stanislas Guerini, menacé de perdre la tête de LREM, après les régionales de juin 2021. C’est également lui qui pousse la désignation de Cedric O, dont il est proche, au secrétariat d’Etat chargé du numérique, en juillet 2020.

Le plus étonné de la place prise par Alexis Kohler est… Alexis Kohler. Il a du mal à assumer le rôle qu’il joue de facto, cherche à le réduire à un job d’aiguilleur en chef. Il a appris la politique, ses codes et ses rites ; sans s’y plier vraiment. Lors des dîners politiques à l’Elysée, il est là. Mais avale vite son repas, pour éplucher ses dossiers tandis que les autres échangent, parfois des amabilités. Les histoires de parti ne le passionnent pas. Il lui arrive de s’étonner de mauvais sondages alors qu’il estime que l’action menée est bonne. S’attirant cette réponse de Jean-Yves Le Drian, ministre de la Défense : « La différence entre les deux s’appelle la politique. »

Par Corinne Lhaïk

A L’Express, Corinne Lhaïk couvre la politique économique et sociale, puis la politique tout court, suivant l’ascension d’Emmanuel Macron et les deux premières années de son quinquennat. A L’Opinion depuis le 1er janvier 2020, elle s’intéresse aux relations sociales et aux transformations du capitalisme. Vaste programme !

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Alexis Kohler, la doublure du Président en campagne

Corinne Lhaïk

 Par Corinne Lhaïk26 janvier 2022 à 6h00