Un référendum d’initiative partagée, pour entraver la réforme des retraites de Macron

L’opposition a encore des moyens de bloquer la réforme

L’escalier d’honneur du Conseil Constitutionnel, rue Montpensier, au Palais Royal

Les parlementaires opposés à la réforme des retraites ont déposé une proposition de loi ouvrant la voie à un référendum d’initiative partagée (RIP) sur l’âge de départ en retraite. Le succès de l’initiative est encore incertain, mais ce dispositif pourrait empoisonner la mise en oeuvre de la réforme.

Les opposants à la réforme des retraites n’ont pas épuisé toutes leurs cartouches. Quelque 250 parlementaires ont ouvert ce lundi la voie à une consultation des citoyens sur l’âge de départ à la retraite en utilisant une procédure complexe et encore peu utilisée.

Ce recours au référendum d’initiative partagée (RIP), via le dépôt d’une proposition de loi dédiée, a été officialisé le jour même où le gouvernement a franchi le dernier obstacle à l’adoption du projet de loi à l’Assemblée via le recours à l’article 49.3 de la Constitution.

A peine les motions de censure sur le texte étaient-elles rejetées que des députés de gauche brandissaient des pancartes RIP. Cette démarche pourrait contribuer à alimenter la contestation – déjà puissante – contre le report de l’âge légal de 62 à 64 ans et compliquer la mise en oeuvre de la réforme prévue dès septembre.

« Ardente demande de référendum »

La réforme « accentue les inégalités sociales et porte particulièrement préjudice aux populations les plus vulnérables », argue la proposition de loi publiée ce lundi et déjà transférée au Conseil constitutionnel. « Il revient donc au peuple français, par voie de référendum, de pouvoir se prononcer pour ou contre la limitation de l’âge légal de départ à la retraite à 62 ans. »

« C’est une ardente demande faite au président de lancer un référendum », justifie le sénateur socialiste, Patrick Kanner, qui fait partie des signataires de la proposition. Contrairement à ce que pourrait laisser penser le nom de la procédure, « l’hypothèse d’un référendum est en tant que telle extrêmement lointaine, très hypothétique », tempère la professeure de droit public, Anne Levade.

« Aucune interférence » avec l’application de la réforme

Concrètement, les opposants à la réforme ont déposé une proposition de loi prévoyant que l’âge de départ à la retraite « ne peut être fixé au-delà de 62 ans ». Si autour de 4,8 millions de Français (10 % du corps électoral) soutiennent cette proposition à l’issue d’une consultation de neuf mois, les parlementaires devront s’en emparer. Si le Parlement ne s’empare pas de la proposition de loi dans un délai de six mois, le chef de l’Etat la soumet au référendum.

« Juridiquement, il n’y a aucune interférence » avec le projet de loi réformant les retraites, explique Anne Levade. Autrement dit, sur le papier, la réforme une fois adoptée peut s’appliquer comme convenu, même si la consultation des citoyens menée en parallèle jusqu’en début d’année prochaine pourrait être difficile à assumer politiquement et alimenter la grogne sociale .

Le Conseil constitutionnel a reçu lundi une proposition de loi « visant à affirmer que l'âge légal de départ à la retraite ne peut être fixé au-delà de 62 ans ».
Le Conseil constitutionnel a reçu lundi une proposition de loi « visant à affirmer que l’âge légal de départ à la retraite ne peut être fixé au-delà de 62 ans ».

Conditions « réunies » pour un feu vert des Sages

Avant d’en arriver là cependant, le Conseil constitutionnel devra donner son feu vert au lancement du recueil des signatures des citoyens. Il a un mois pour le faire. « Les conditions de recevabilité du RIP sont réunies, la première étape peut être franchie sans grosse difficulté », estime Dominique Rousseau, professeur de droit.

Les défenseurs du RIP peuvent se targuer d’avoir déjà marqué des points en réunissant plus de 185 signatures de députés et sénateurs, comme nécessaire. Ils ont aussi dégainé rapidement leur texte pour s’engager dans la brèche avant la promulgation de la loi. Sachant qu’une telle initiative « ne peut pas avoir pour objet l’abrogation d’une disposition législative promulguée depuis moins d’un an », selon la Constitution.

Le Conseil constitutionnel devra aussi contrôler que la proposition a trait à la politique économique ou sociale de la nation, ce qui ne semble guère faire de doute parmi les juristes. « Le gouvernement cherchera vraisemblablement à faire valoir des arguments d’inconstitutionnalité, mais je pense que leur portée est faible », estime le constitutionnaliste Jean-Philippe Derosier, professeur d’université à… Lille.

Le précédent de la privatisation d’ADP

Jusque-là, seule la proposition de loi visant à lancer un référendum sur la privatisation d’Aéroports de Paris a obtenu le feu vert du Constitutionnel en 2019. Or, à l’inverse, elle a échoué à recueillir suffisamment de signatures, mais le gouvernement a renoncé à son projet sur fond de crise de Covid.

Plus récemment, les socialistes ont défendu un RIP sur la taxation des superprofits mais celui-ci a été retoqué par les Sages.

« Cela n’était pas prévu comme cela à l’origine, mais c’est devenu un levier de l’opposition pour aller chercher un soutien national contre une réforme ou une disposition voulue par le gouvernement », résume Jean-Philippe Derosier.

EDF, vache à lait de l’Etat, menacée d’assèchement par Bercy

Le courant ne passe plus entre EDF et l’Etat

Une addition salée et un revers politique, la première semaine de vacances du gouvernement pourrait se conclure avec un goût amer.
D’une part parce qu’EDF a décidé de déposer un recours contentieux auprès du Conseil d’Etat assorti d’une demande d’indemnité de 8,34 milliards d’euros.
D’autre part parce que les sénateurs socialistes ont saisi, de leur côté, le Conseil constitutionnel pour contester 3 articles de la loi pouvoir d’achat relatifs à EDF.

« On déstabilise complétement le service public » (Sébastien Pla, sénateur PS)


Pour bien comprendre l’affaire, il faut remonter à janvier 2022. A cette époque, le gouvernement, dans le cadre du « bouclier tarifaire » destiné à limiter la flambée des prix du gaz et de l’électricité, décide de modifier les règles de l’Accès régulé à l’électricité nucléaire historique (Arenh). L’actionnaire principal impose alors à l’entreprise publique d’augmenter de 20% le volume d’électricité qu’elle se doit de vendre à prix réduit à ses concurrents. Une enveloppe qui passe donc de 100 TWh à 120 TWh.

L’électricien public, qui dispose déjà des 100 TWh initialement prévus, se voit donc contraint d’acheter au prix fort sur les marchés les 20 TWh qui lui manquent.  Et de les revendre à un prix (bas) fixé par l’autorité publique aux opérateurs alternatifs, ses concurrents.
Un choix assumé par l’exécutif car « sans les mesures prises par le gouvernement, en particulier le volume d’Arenh supplémentaire, les factures des ménages auraient augmenté de 35 % TTC », affirme le ministère de l’Economie.

Une hérésie selon Sébastien Pla, sénateur (PS) de l’Aude. « On déstabilise totalement le service public EDF en lui faisant porter le coût de la libéralisation du marché de l’énergie », s’étrangle ce membre de la commission des affaires économiques du Sénat.

Un refus de taxer les superprofits qui ne passe pas
 

C’est donc au nom d’EDF que les sénateurs socialistes ont décidé de saisir, dès le début de la semaine, le Conseil constitutionnel.
Paradoxalement, les 3 articles de la loi pouvoir d’achat qu’ils attaquent sont plutôt en faveur de l’entreprise publique.
Ils concernent le relèvement du prix du MWh vendu par EDF à ses concurrents, qui passe à 49,5 € minimum à partir du 1er janvier 2023 (contre 42 € aujourd’hui) et le volume de 120 TWH qui devient indépassable jusqu’en 2025. Une disposition de la majorité sénatoriale de droite et du centre, votée contre l’avis du gouvernement, censée « permettre à EDF de respirer » selon Sophie Primas, président (LR) de la commission des affaires économiques du Sénat.

Pour Sébastien Pla : « on s’oppose à l’augmentation votée en s’appuyant sur la législation européenne et sur le fait que la fixation de ce tarif n’est pas étayée. On ne dit pas qu’il ne faut pas l’augmenter, mais rien ne dit que les 49,5 euros décidés soient suffisants ».
Sur le fond, dans leur saisie du Conseil constitutionnel, les sénateurs socialistes soulignent que « l’obligation de vendre à un tarif réglementé », quand « EDF fait face à des difficultés économiques historiques », « porte une atteinte disproportionnée à sa liberté d’entreprendre ».

« Je n’ai rien contre les multinationales, explique Sébastien Pla, mais il faut avouer que Total, qui est un opérateur alternatif, se gave sur le dos d’EDF quand même. Et refuser de taxer les superprofits ça nous reste en travers de la gorge ».

Pour Sophie Primas, « le vrai sujet est la réforme de l’Arenh. Ça mettra au moins deux ans entre la mise au point d’un nouveau dispositif et la validation de l’Europe ».

Le Conseil constitutionnel rendra lui sa décision ce vendredi 12 août.