Reprise de France Rail Industry par une entreprise… britannique

Il faut oser le dire.

Comme souhaitée par Bercy, la création d’« une filière franco-française » de rails, comme souhaitée par Bercy, aura bien lieu. Jeudi 23 juillet, la chambre commerciale du tribunal judiciaire de Strasbourg a autorisé… l’indo-britannique Liberty Steel à reprendre France Rail Industry (FRI), principal fournisseur de rails de la SNCF établi à Hayange (Moselle), ainsi que l’un de ses fournisseurs d’acier, l’usine Ascoval de Saint-Saulve (Nord).

Alors qu’en juin dernier il clamait sa volonté de relocaliser l’automobile française, Bruno Le Maire applaudit en juillet à la vente à l’étranger d’un fournisseur de rails pour la SNCF, ainsi rendue dépendante de deux pays hors Union européenne.

« C’est une bonne nouvelle [sic] et une étape importante pour les sites d’Hayange et Ascoval », s’est félicité Le Maire, tout en rappelant qu’« il reste néanmoins quelques éléments importants à régler avec Liberty avant que le ministre [de l’Economie] puisse formellement autoriser cet investissement », FRI étant considéré comme une entreprise « stratégique ».

Le gouvernement positive cet échec.

Aucun repreneur français ne s’est manifesté et Bercy raconte donc qu’il souhaitait réunir à l’occasion de la restructuration – à l’avantage d’étrangers – l’aciérie de Saint-Saulve et le laminoir d’Hayange pour former une entité unique de production de rails, en France, mais détenu par Liberty Steel. Les deux sites sont déjà liés par un contrat pour la fourniture de 140.000 tonnes par an pendant quatre ans de blooms (barres d’acier) par Ascoval à Hayange, destinés à la fabrication de rails pour SNCF Réseau. « C’est cohérent [de réunir Ascoval et FRI], on recrée une filière franco-française, on peut s’en réjouir », a estimé Gérard Glas, président du site mosellan, rappelant que le pays « n’avait plus de filière de produits longs depuis 2006 ». Il n’en a pas davantage maintenant…

Réactions contrastées

Du côté des syndicats, les réactions sont contrastées. Nacim Bardi, délégué CGT à Ascoval, qui compte un peu plus de 260 salariés, s’est, pour sa part, félicité : « C’est une excellente nouvelle […]. A partir du moment où l’aciérie rentre dans une filière intégrée en amont et en aval, il y a plus de stabilité au niveau financier, on va chercher le point d’équilibre beaucoup plus facilement, et cela nous permet après d’avoir des perspectives et d’anticiper sur d’autres marchés », a approuvé M. Bardi, tant que les emplois sont sauvés.

A Hayange, site sidérurgique mosellan qui emploie environ 450 personnes, Djamal Hamdani, représentant CFDT, s’est montré plus nuancé : « On avait le choix entre ArcelorMittal et Liberty, entre la peste et le choléra, et le moins pire des deux, c’était Liberty. » « On souhaite que l’Etat s’engage. On veut des garanties sur les investissements et sur le maintien des salariés », a nuancé le syndicat réformiste, très mitigé

L’intersyndicale (CFDT, CFE-CGC et FO) de FRI était en faveur d’une reprise par le chinois Jingye, également dans la course à la reprise avec l’indien Arcelor-Mittal. Pas très européen, ni sur la ligne officielle du refus des délocalisations.

Les syndicats auraient lâché la proie pour l’ombre. En mars, Jingye avait repris British Steel, en faillite, mais n’avait pas pu reprendre son usine mosellane, le ministère de l’Economie n’ayant pas rendu son avis.

Croissance forte

Le projet industriel de Liberty, huitième producteur d’acier mondial hors Chine, prévoit le maintien de la capacité de production, des emplois et des accords sociaux, avec 31 millions d’euros d’investissement, a rappelé M. Glas. « Liberty a une croissance assez forte, ce qui doit représenter pour nous des opportunités pour livrer nos produits à des usines du groupe, en aval de notre aciérie », s’est félicité Cédric Orban, directeur d’Ascoval.

« Cette acquisition est une bonne nouvelle », ont abondé dans un communiqué commun Xavier Bertrand, président du conseil régional des Hauts-de-France, et Laurent Degallais, président de Valenciennes Métropole, rappelant la mobilisation « depuis plusieurs années pour pérenniser l’activité de l’aciérie Saint-Saulve ».

Un pis-aller que chacun la sidérurgie européenne accepte, menacée par les surcapacités de production, la concurrence de la Chine, de la Russie et de la Turquie (insuffisamment contenue par les quotas européens) et trois mois de crise sanitaire, qui ont entraîné une chute de plus de 50 % de la production d’acier. A croire que la crise sanitaire n’a frappé ni la Grande-Bretagne, ni l’Inde…

La mauvaise foi n’est pas en recul en France; à la différence de son industrie.