La territorialisation des peines, une proposition de la candidate Pécresse

Possibilité contestée pour lutter contre les zones de non-droit

Et pas de justice sociale sans sécurité pour tous

La candidate LR souhaite que les crimes et les délits commis dans certaines zones géographiques soient sanctionnés avec plus de sévérité. En octobre dernier, la candidate potentielle des Républicains avait maintenu au Grand Jury de RTL sa proposition de 2018 de « territorialiser les peines. » En clair, la présidente de la région Ile-de-France proposait déjà que le fait de « commettre une peine dans un lieu dans lequel on en commet beaucoup trop » puisse « être une circonstance aggravante » , comme le « saccage » de grandes avenues commerçantes dans les manifestations. Ainsi « sur les Champs-Elysées, quand on saccage ou quand on pille pendant des manifestations, l’amende serait doublée. » Au-delà des Champs-Elysées, ses détracteurs prenaient l’exemple des manifestations, validant du même coup les saccages de l’ultra-gauche: les Gilets jaunes et les antifas ou le Black block auraient le champ libre et conserveraient leur impunité. Une controverse qui occulte également le sujet – plus vaste et quotidien – des exactions et incivilités, crimes et délits en tout genre commis dans les quartiers et rendant impossible la vie de leurs habitants. Et de soulever la question de savoir si cette proposition peut aboutir ou, comme le soutient la gauche conservatrice, si elle se heurte à des principes juridiques ou constitutionnels ?

Sur la faisabilité juridique de la proposition, un expert s’est exprimé : Emmanuel Daoud, avocat à la Cour, spécialisé en droit pénal, est membre d’un collectif de juristes basé à Versailles et intervenant à l’Ecole Nationale de la Magistrature (ENM). Il  livre un avis de militant droit-de-l’hommiste.

Pourquoi la candidate LR a-t-elle livré cette proposition ?

La candidate LR part d’un constat : dans des territoires plus criminogènes, il faut que la réponse pénale soit plus sévère pour dissuader les auteurs de délits et de crimes, notamment dans les Quartiers de Reconquête Républicaine (QRP) qui nécessitent un effort particulier à ses yeux, comme à ceux des Français respectueux des lois de la République.

Geoffroy Didier, de l’équipe de campagne de Valérie Pécresse, défend, quant à lui, ce qu’il appelle un « parallélisme des formes »« Nous voulons accroître les moyens de police dans ces quartiers difficiles, donc il est normal en parallèle d’intensifier la réponse pénale dans ces lieux dit de Reconquête Républicaine, ces quartiers exigent un effort de la présence de l’Etat des Services Publics et de l’intensité de la réponse pénale, c’est la seule façon de réhabiliter ces quartiers. Sans sanction, il n’y pas d’ordre. Sans ordre, il n’y pas d’espoir ».

Geoffroy Didier considère que l’aggravation des peines permettra de faire baisser la délinquance dans ces quartiers, même s’il n’existe aucune étude scientifique et documentée qui a établi et a démontré une corrélation entre ces deux phénomènes. A l’inverse, pas davantage…

Alors est-ce possible dans le cadre actuel ?

Oui, selon l’entourage de Valérie Pécresse. Geoffroy Didier évoque « le principe de circonstance aggravante » déjà présent dans la loi et qui s’applique « quand on commet un acte délictueux par exemple dans un lieu particulier comme l’école ou dans les transports publics« . Effectivement, comme l’explique Me Daoud, le législateur a déjà choisi de protéger certains lieux ou de protéger les victimes potentielles dans certains lieux, en aggravant des peines encourues. Encore faudrait-il qu’elles soient appliquées…

Exemple : le fait, pour un narcotrafiquant, de vendre des produits stupéfiants dans un établissement d’enseignement ou d’éducation, ou aux abords de ces établissements, porte la peine de cinq à dix ans d’emprisonnement (article 222-39, alinéa 2, du Code pénal). « L’objectif ici est bien de protéger la santé et la moralité des mineurs, en dissuadant les narcotrafiquants d’organiser un tel trafic dans des lieux dédiés à l’instruction publique et au savoir. »

Donc, pour Geoffroy Didier et une large portion de la population – qui se désolidarise de la gauche doctrinaire et permissive comme le démontre les sondages – , il existe déjà des « lieux d’inégalité juridique territoriale : celui qui commet un délit dans une école ne sera pas jugé de la même façon que celui qui commet ce crime sur le trottoir en face de l’école ou quelques rues plus loin ». Donc, aux yeux de Geoffroy Didier et des Français saturés de violences et agressions dans l’espace public, il suffirait de voter une loi qui permettrait la création d’une nouvelle circonstance aggravante en relation avec le lieu de commission des infractions concernées. 

Cette proposition comporte-t- elle un risque d’inconstitutionnalité ?

Une telle réforme s’oppose à plusieurs principes : tout d’abord, l’article 6 de la Déclaration du 26 aout 1789 des Droits de l’Homme et du Citoyen prévoit que la loi “doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse”. En contrariété avec le principe d’égalité devant la loi, la territorialisation des peines entraînerait une aggravation de la peine injustifiée entre deux individus, sans rapport direct avec l’objet de la loi. 

De plus, cette proposition entre en contradiction avec l’article 121-1 du Code pénal qui prévoit que « nul n’est responsable que de son propre fait ». Ce principe a été rattaché aux articles 8 et 9 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen par le Conseil constitutionnel (Conseil constitutionnel, 16 juin 1999, n°99-411 DC). Or, la territorialisation des peines aurait pour effet d’aggraver la peine d’une personne condamnée, au seul motif que plusieurs autres individus auraient commis des faits semblables au même endroit.

Alors en cas de censure de la réforme par le Conseil constitutionnel, que compte-t-elle faire pour contourner cette difficulté ?

Geoffroy Didier avance deux solutions.

La première consisterait à proposer un référendum constitutionnel à l’automne 2022 pour une mise en œuvre « avant la fin de l’année d’un projet de loi réformant le code pénal ». Selon les termes de l’article 89 de la Constitution le Président de la République, sur proposition du Premier ministre, ou par les parlementaires engage une procédure de révision. L’Assemblée Nationale et le Sénat l’examinent et doivent la voter en des termes identiques. Pour être définitivement adoptée, la révision suppose ensuite d’être approuvée par référendum. En pratique, l’adoption d’une loi nécessite entre 6 mois et un an de travaux parlementaires. Une révision constitutionnelle suppose l’écoulement du même délai (en prenant en compte les travaux préalables au dépôt du projet ou de la révision). 

Autre possibilité : elle adressera via son ministre de la Justice des indications de politique pénale aux procureurs pour qu’ils soient plus sévères dans les QRR. C’est ce que prévoit déjà la loi. L’article 39-1 du Code de procédure pénale stipule que le “Procureur de la République met en œuvre la politique pénale définie par les instructions générales du ministre de la Justice […] en tenant compte du contexte propre à son ressort »

En pratique, des réunions se tiennent entre le préfet et le procureur pour mener au mieux les politiques de sécurité, mais chacun peut constater qu’elles sont ni productives ni dissuasives. Ainsi, assure Me Daoud, « il n’est pas rare [selon lui} que certains territoires identifiés (par exemple les quartiers de reconquête républicaine) fassent l’objet d’une politique répressive adaptée au phénomène criminel local [« adaptée » veut précisément dire inappropriée à la nuisance et à l’exaspération générales]. Ce qui se traduit par une politique de poursuites plus systématiques pour certaines infractions (par exemple : les infractions à la législation sur les stupéfiants), et une répression accrue ». 

Est-ce que cela existe dans un autre pays européen ?

Au Danemark, en 2018, le parti libéral avait proposé d’introduire dans la “loi anti-ghetto” (22 mesures introduites pour essayer de réduire la criminalité), la possibilité pour les magistrats de doubler les peines pour les infractions commises dans les ghettos (défini par la loi même comme des lieux d’habitation caractérisés par une moitié d’habitants d’origine extra occidentale – souvent de confession musulmane -, par un fort pourcentage de criminalité, par un taux élevé de chômage). Cette proposition n’a pas abouti: était-elle en avance sur les mentalités danoises ?.

Des réformes s’imposent.

D’où l’importance des législatives qui suivront la présidentielle en France et devront renouveler la majorité présidentielle en profondeur.

Elles sont actuellement fixées aux 12 et 19 juin 2022.

Une majorité de droite est requise pour faire évoluer le code pénal et donner au prochain locataire de l’Elysée les moyens juridiques de la réduction du nombre des victimes de voyous.

Au Conseil constitutionnel, le mandat de ses neufs membres dure neuf ans et n’est pas renouvelable. Le socialiste Laurent Fabius, 74 ans, le préside depuis février 2016 et encore quatre années jusqu’en mars 2025… Mais, outre Laurent Fabius, Michel Pinault et Corinne Luquiens céderont la place, soit un total de deux possibilités d’alternance.