Retraites : le Sénat adopte l’index senior pour les entreprises de plus de 300 salariés

Cet index sera obligatoire dès novembre 2023 dans les entreprises de 1.000 salariés. 

Une majorité de députés a rejeté, mi-février, l’article 2 de la réforme des retraites, qui dessinait les contours de l’index senior visant à pousser les entreprises à maintenir les plus de 55 ans dans leurs effectifs. La

L’assemblée à minorité présidentielle a donc amputé de son index senior le projet Macron de réforme des retraites, alors que le gouvernement souhaitait obliger les plus grosses entreprises à faire preuve de transparence sur le sort qu’elles réservent aux plus âgés de leurs salariés, alors que le taux d’emploi des seniors est en progression constante. A 6,3 % en 2021, le taux de chômage des seniors reste plus bas que celui de l’ensemble des actifs, même si l’écart se réduit depuis 2003. Entre 2014 et 2021, la part des seniors en emploi augmente de 7,7 points, tandis que celle des retraités diminue, suite aux réformes des retraites.

Avec l’index senior, dont les contours étaient définis dans l’article 2 du projet de loi en cours d’examen, les employeurs concernés étaient contraints de rassembler des données précises sur les plus de 55 ans dans leur effectif: nombre, la part de ces seniors dans les recrutements, la formation professionnelle qui leur est garantie (entre autres). A charge pour eux, ensuite, de rendre toutes ces données publiques.

Le Sénat a quant à lui adopté l’article 2 de la réforme des retraites sur l’index sénior, dans la nuit de dimanche 5 à lundi 6 mars. Les sénateurs ont ramené à 300 salariés le seuil à partir duquel les entreprises devront publier l’index. La gauche a dénoncé un dispositif inconstitutionnel et qui ne « sert à rien », tandis que la majorité sénatoriale a timidement défendu une mesure qu’elle veut compléter par un CDI senior et qu’il faut laisser vivre dans le dialogue social.

L’index senior proposé par le gouvernement a été comparé à un numéro vert pour lutter contre la canicule l’été ou à un cache-sexe, ce dimanche au Sénat. Si le dispositif proposé à l’article 2 du projet de loi a en effet été loin de faire l’unanimité, ce n’est pas vraiment à cause d’une opposition frontalement politique, contrairement à l’article 1er sur la suppression de cinq régimes spéciaux. Ce que la gauche a cette fois reproché à la mesure proposée par l’exécutif, c’est qu’elle ne sert à rien. « Je ne comprends même pas que l’on soit en train d’en discuter », tacle notamment la sénatrice écologiste Mélanie Vogel. « L’index ne remédiera pas aux représentations négatives liées à l’âge », ajoute la sénatrice Eliane Assassi, la présidente du groupe communiste, alors que la sénatrice socialiste Laurence Rossignol, qui confie « beaucoup aimer les index », regrette que « ça ne fasse pas une politique publique. »

Quoi d’étonnant donc que la France soit à la 16e place sur 27, avec un taux d’emploi des seniors de 55,9 %. Selon Eurostat, c’est en Suède que l’index senior est en revanche le plus élevé avec 76,9 % en 2021 contre 43,8 % en Roumanie, pays où il est le plus bas. La moyenne européenne se situe à 60,5 %. 

Même du côté de la majorité sénatoriale, on défend timidement cet article rejeté par l’Assemblée nationale. « Pour tout vous dire, je ne suis pas un grand fan », lâche même le rapporteur LR du texte, René-Paul Savary, qui préfère mettre en avant des dispositifs comme le « CDI Senior », qui exonérerait de cotisations familles les employeurs qui embauchent une personne de plus de 60 ans en CDI. Le sénateur de la Marne donne par ailleurs rendez-vous aux sénateurs pour l’examen d’une future loi travail dans les prochains mois.

Elisabeth Doineau, rapporteure générale centriste du budget de la Sécurité sociale, défend, elle une « responsabilisation des chefs d’entreprise », tout en concédant au micro de Public Sénat, en marge de la séance, que le CDI Senior de la majorité sénatoriale présenterait des résultats « beaucoup plus significatifs. »

L’article, qui était débattu depuis le milieu d’après-midi ce dimanche, a été adopté dans la nuit, peu avant 1 heure du matin, par 244 voix pour et 96 voix contre.

🔴 #RéformeDesRetraites : le Sénat adopte l’article 2 du projet de loi (244 voix pour, 96 voix contre), qui prévoit la création d’un « index senior » dans les entreprises de plus de 300 salariés. pic.twitter.com/vNw6NljEcD— Public Sénat (@publicsenat) March 5, 2023

Un seuil d’application rétabli à 300 salariés

Sur le fond, le texte met en place un « indicateur relatif à l’emploi des salariés âgés », appelé « index senior » obligatoire pour les entreprises de plus de 300 salariés dans la version votée par le Sénat. « Le seuil de 300, c’est le seuil de discussion au sein de l’entreprise, de la gestion prévisionnelle des emplois […] En dessous c’est un peu compliqué », a exposé le rapporteur LR René-Paul Savary. Dans la version transmise au Sénat, le gouvernement avait abaissé le seuil à 50 salariés, comme le souhaitait une majorité de députés avant le rejet de l’article. Ce dimanche, le gouvernement a finalement adressé un avis de sagesse à la modification proposée par les rapporteurs du Sénat. Retour donc au seuil présent dans la version initiale du projet de loi.

Index senior : @OlivierDussopt donne un avis de sagesse à l’amendement de la commission des affaires sociales, qui propose de relever de 50 à 300 salariés le seuil au-delà duquel la publication de l’index est obligatoire. Il s’agit du seuil du texte initial.#RéformeDesRetraites pic.twitter.com/nq1snKUSQ5— Public Sénat (@publicsenat) March 5, 2023

Cet index sera obligatoire dès novembre 2023 pour les entreprises de 1.000 salariés. Les entreprises dont les effectifs sont compris entre 300 et 1000 auront un peu plus de temps pour se préparer, le projet de loi fixant l’obligation pour la publication de l’index à partir de juillet 2024.

Une pénalité en fonction de la masse salariale est prévue en cas de non-publication, mais pas en cas de résultats insuffisants sur l’emploi des seniors. Le pari de la « responsabilisation des entreprises » sans contrainte ou sanctions financières n’a évidemment pas enchanté la gauche sur le principe. Mais en l’espèce, le problème est encore plus profond.

Déjà, l’article avait été rejeté par l’Assemblée nationale en première lecture. Si le texte avait été une loi ordinaire examinée jusqu’à son terme par la chambre basse, cet article n’aurait donc pas figuré dans la version transmise au Sénat. Mais le gouvernement ayant eu recours à l’article 47-1 au terme des délais prévus pour un budget de la Sécurité sociale, l’index senior a pu être réintégré dans la version du texte transmise au Sénat. « Le gouvernement se plaint de l’obstruction mais quand un article est voté et rejeté, ça ne vous intéresse pas. Moi je ne comprends pas », a notamment protesté Mélanie Vogel.

Surtout, l’article 2 représente un risque de censure par le Conseil constitutionnel, comme le confirme l’avis du Conseil d’Etat qui a fuité dans la presse, et que René-Paul Savary a pu consulter, comme il l’a admis ce samedi en séance. « Cette note ne contient rien de scandaleux, quelques dispositions sur l’index des séniors […]. Ce sont des alertes tout à fait courantes qui ne remettent pas en cause les discussions que nous avons au Sénat », précisait le rapporteur du projet de loi interpellé par la gauche dans la nuit de samedi à dimanche.

« Nous allons discuter d’un index senior manifestement inconstitutionnel »

« Le véhicule législatif choisi est proprement scandaleux. Nous allons discuter d’un index senior dont l’avis du conseil d’Etat que nous n’avons pas dit qu’il est manifestement inconstitutionnel. […] L’emploi des seniors, voilà un beau sujet. Manque de chance, nous sommes dans un budget rectificatif de la Sécu, donc ce débat, nous allons le mener à partir de l’article 2. Mais vous avez évacué les amendements qui présentaient une vision alternative de ce travail. Le détournement de procédure auquel vous vous livrez malmène les possibilités que nous avons dans notre travail », a notamment tancé le sénateur écologiste Daniel Breuiller.

La gauche s’est en effet vu censurer des amendements sur l’index des seniors au motif qu’ils n’avaient pas d’impact sur les dépenses ou les recettes de la Sécurité sociale… ce qui est précisément le problème constitutionnel posé par l’index senior lui-même.

« Nous avons écouté les partenaires sociaux pour ne pas tout rejeter d’un revers de main »

Olivier Dussopt est resté très silencieux sur les risques d’inconstitutionnalité et a principalement défendu un index des seniors qui misait sur le dialogue social et une construction du dispositif par les partenaires sociaux. « La CFDT a regretté cette suppression de l’index. On renvoie au dialogue social pour la fixation des critères et leur adaptation », a notamment expliqué le ministre du Travail. « La CFDT est attachée à l’index. Nous avons consulté énormément, cela fait quatre ou cinq ans que certains d’entre nous se penchent sur le sujet. Nous avons écouté les partenaires sociaux pour prendre en compte cet index et ne pas tout rejeter d’un revers de main », a ajouté René-Paul Savary.

Olivier Henno, qui a travaillé sur ces questions pour la majorité sénatoriale, a lui aussi voulu défendre une mesure qui « ne doit pas trop être encadrée », mais que le paritarisme « doit faire vivre. » Le sénateur centriste ne « désespère » pas d’un dispositif qui doit représenter « du grain à moudre » pour l’emploi des seniors dans l’année à venir. « Le paradoxe, c’est l’incohérence. Celles et ceux qui étaient pour sa suppression et qui veulent l’étendre à toutes les entreprises », a-t-il notamment lancé à la gauche qui défendait des amendements pour étendre le dispositif aux petites et moyennes entreprises.

Comme leurs collègues de gauche, les membres de l’Union centriste et sénateurs du RDPI (LREM) ont échoué à rendre l’article plus coercitif. Ils souhaitaient rendre obligatoire la négociation d’un accord ou d’un plan d’action, en cas d’absence de progression ou de détérioration des indicateurs sur l’emploi des seniors dans une entreprise. Leurs amendements ont été rejetés.

Index senior : @OHenno et ses collègues du groupe @UC_Senat demandent que les entreprises négocient un plan d’action en cas de détérioration des indicateurs sur l’emploi des seniors.#RéformeDesRetraites #DirectSénat pic.twitter.com/NMdOXj5NeW— Public Sénat (@publicsenat) March 5, 2023

Ce lundi matin, le Sénat va examiner la proposition de la commission des affaires sociales de « CDI senior » ou « contrat de fin de carrière ». Après avoir examiné 258 amendements ce dimanche, il reste désormais 3.011 amendements à débattre pour les sept derniers jours d’examen de la réforme.

Réforme des retraites : le Sénat vote la fin progressive de quelques régimes spéciaux

Cinq sur quarante-deux: il en reste trente-sept pour l’Assemblée, dont celui des parlementaires

Première disposition forte du texte, elle prévoit la mise en extinction progressive des principaux régimes spéciaux de retraites : celui de la RATP, celui des industries électriques et gazières (IEG), celui des clercs et employés de notaire, celui de la Banque de France, et le régime du Conseil économique, social et environnemental (CESE).

Selon les termes de l’article, les personnes recrutées à partir du 1er septembre 2023 seront affiliées au régime général des retraites. C’est la fameuse clause du grand-père. « Nous considérons que la fermeture des régimes spéciaux est une question d’équité », a fait savoir le ministre du Travail, Olivier Dussopt.

L’article 1 du projet de loi de réforme des retraites, qui propose la mise en extinction des principaux régimes spéciaux de retraite, a été adopté par les sénateurs, ce 4 mars.

Au terme de trois jours de bras de fer et d’une longue séance marquée par l’examen fastidieux de plus de 300 amendements de l’opposition de gauche, la majorité sénatoriale de droite et du centre a adopté en première lecture l’article 1er du projet de loi, par 233 voix pour et 99 contre.

#Retraites : le Sénat vote l’extinction de cinq régimes spéciaux (RATP, IEG, Banque de France, Cese et clercs de notaires), par 233 voix pour et 99 voix contre#directSénat pic.twitter.com/7aTy1FZ72g— Public Sénat (@publicsenat) March 4, 2023

« Prolixes pour certains, patients pour d’autres »

Du début de la matinée jusqu’à la nuit, les groupes de gauche ont bataillé pour contester les premières mesures du projet de loi, qu’ils ont qualifié de « stratégie de diversion » ou de mesures « démagogiques ». Près de 350 amendements des socialistes, des communistes et des écologistes, étaient en discussion. Les parlementaires de la gauche du Sénat ont enchaîné les prises de parole, tantôt pour défendre des amendements de suppression, tantôt pour retarder l’entrée en application des dispositions, en multipliant tous les calendriers possibles. Comme la veille, les membres de la majorité sénatoriale de droite et du centre sont restés en réaction sur leur ligne de conduite, déjà éprouvée la veille, à savoir : rendre aussi rare que possible leurs interventions pour ne pas rallonger la durée des débats.

Malgré la récurrence des argumentations qui a souvent viré au monologue, l’ambiance est restée courtoise et sereine. « Je vous remercie tous d’avoir été nombreux, prolixes pour certains, patients pour d’autres. Enfin… ça nous a permis d’avoir un débat », a même conclu dans la légèreté Gérard Larcher, à la seconde coupure de la séance, à 20 heures.

« Monsieur le ministre, vous avez décidé de bordéliser un secteur majeur de notre souveraineté énergétique »

Au gré de leurs interventions, les sénateurs de gauche ont défendu l’idée que les différents régimes spéciaux découlaient d’anciens acquis sociaux, pouvant compenser la pénibilité des métiers concernés. « Je vous invite à prendre un bus de la RATP », a par exemple enjoint la sénatrice Marie-Noëlle Lienemann (rattachée au groupe communiste) vers les bancs de droite et du gouvernement. Beaucoup de sénateurs dans la gauche de l’hémicycle se sont inquiétés des conséquences du projet de loi sur l’attractivité de ces métiers. La RATP, pour ne citer qu’elle, fait face à des difficultés de pénurie de main-d’œuvre depuis plusieurs mois. L’argument n’a pas convaincu la rapporteure Elisabeth Doineau (Union centriste). « Malgré un régime de retraite spécial à la RATP il y a un problème de recrutement d’agents », a-t-elle soulevé.

Au moment des discussions sur la fin du régime de retraite spécial pour les nouveaux entrants des industries électriques et gazières, la gauche a également mentionné la crise énergétique que traversait la France. « Monsieur le ministre, pour reprendre une expression consacrée par l’un de vos collègues, vous avez décidé de bordéliser un secteur majeur de notre souveraineté énergétique », s’est écrié le président du groupe socialiste Patrick Kanner. En référence aux propos du ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin, qui reprochait fin janvier à la NUPES, de ne chercher « qu’à bordéliser le pays ».