Certains vaccinés sont-ils plus vulnérables à la Covid que les non-vaccinés ?

Une étude du «Lancet» jette le trouble

Publié le 19 juin 2020:
Libération a la mémoire courte,
mais la haine tenace

Le site FranceSoir a publié le 18 novembre un texte très relayé sous le titre: «Vaccin anti-Covid-19 : une étude du Lancet montre l’érosion immunitaire des personnes vaccinées au fil des mois.»

Une étude du «Lancet» montre-t-elle que certains vaccinés sont plus vulnérables au Covid que les non-vaccinés ?

La fonction immunitaire des vaccinés à la covid est-elle inférieure à celle des non-vaccinés après six mois ?

L’article fait état d’un article scientifique paru en février 2022 : «Menée en Suède auprès de 1,6 million d’individus pendant neuf mois, [elle] a montré que la protection conférée par le vaccin contre le Covid-19 symptomatique diminue assez rapidement»: jusqu’ici, rien d’arnomal. «Et qu’au bout de six mois, les personnes les plus vulnérables du groupe des vaccinés pourraient être plus exposées au virus que leurs homologues non vaccinés».

L’emploi du conditionnel laisse ensuite place à une affirmation qui interpelle : «Immédiatement après la deuxième dose, les personnes vaccinées semblent être mieux protégées contre le Covid-19 que les personnes non-vaccinées. Cependant, au-delà de six mois et plus encore à partir de huit mois, les chiffres évoluent et peuvent montrer chez certaines personnes vulnérables une efficacité non significative, voire une efficacité négative.» Ces derniers mots recèleraient une interprétation erronée.

Des résultats non significatifs

Il est tout à fait exact, dans cette étude du Lancet, revue scientifique britannique hebdomadaire située à Londres, du côté de la City, que l’efficacité des deux doses de vaccins contre les souches virales en circulation devient, après plusieurs mois, «statistiquement non significative». Cela signifie qu’au bout de plusieurs mois, les données recueillies ne permettent plus de distinguer si la vaccination apporte un bénéfice. Dans les tableaux présentés dans l’étude, cela se traduit par des résultats assortis d’un «intervalle de confiance» dont les bornes ont des valeurs positives et négatives. L’hypothèse, selon laquelle les vaccinés ont une protection supérieure à celle des non-vaccinés, ne peut plus être privilégiée : l’incertitude attachée aux résultats est trop importante (1).

Une étude du «Lancet» montre-t-elle que certains vaccinés sont plus vulnérables au Covid que les non-vaccinés ?

Dans le cas où les deux bornes de cet «intervalle de confiance» auraient présenté des valeurs négatives, le résultat serait redevenu statistiquement significatif… mais «dans le mauvais sens» : il y aurait eu significativement plus d’infectés chez les vaccinés que chez les non-vaccinés, ce qui aurait soulevé des questions légitimes. Toutefois, aucun des résultats présentés dans l’étude ne correspond à ce cas de figure.

En bref : dans cette publication, l’évaluation de l’efficacité d’une double dose de vaccin cesse bien, après plusieurs mois, d’être statistiquement significative, mais à aucun moment n’est mis en évidence un effet délétère de la vaccination sur la fonction immunitaire.

Les auteurs de l’étude rejettent les conclusions de l’article

Marcel Bailin, coauteur de l’étude du Lancet, confirme qu’il «est exact que les estimations de l’efficacité négative du vaccin contre les infections de toute gravité à la fin de la période de suivi n’étaient pas statistiquement significatives.» Il juge «inexacte» l’affirmation du site de presse, selon laquelle «les chiffres les plus alarmants [de l’étude] se retrouvent chez les sujets les plus fragiles, à savoir les personnes de plus de 80 ans ou celles qui présentent des comorbidités». Les résultats présentés pour ces âges, admet le chercheur, «sont sujets à une grande incertitude : les intervalles de confiance sont très larges et se chevauchent. Plus précisément, l’efficacité du vaccin était de 5 %, avec un intervalle de confiance à 95 % allant de -53 à +41. Donc, en gros, aucun effet significatif, et une très grande incertitude. Pour cette analyse, aucune efficacité n’a été détectée – ce qui n’est pas la même chose que de dire qu’il y a eu un effet négatif…»

«Il convient également de souligner qu’il s’agit d’une étude d’observation et que plusieurs formes de biais peuvent expliquer pourquoi l’efficacité contre les infections de toute gravité diminue, en particulier sur les longues périodes de suivi», argue Bailin. «Par exemple, il pourrait y avoir [ou non] une différence entre les vaccinés et les non-vaccinés en termes de comportement de recherche de santé, imagine M. Bailin, ce qui pourrait influencer la décision d’un individu de passer un test PCR, suppute-t-il, ce qui est important à prendre en compte étant donné que le résultat ‘‘infection de toute gravité” était basé sur le test PCR. Si les individus non vaccinés étaient moins enclins à passer un test PCR que les individus vaccinés, cela contribuerait également à la baisse de l’efficacité du vaccin» (2). Mais seulement si on mêle les deux groupes: mais pourquoi le faire ?

On notera que, pour cette même raison, si des «résultats négatifs statistiquement significatifs» étaient apparus, ils n’auraient pas suffi – à eux seuls – à valider l’hypothèse d’un affaiblissement immunitaire des vaccinés. Peut-on toutefois admettre qu’ils devraient interpeller? L’étude mesure, en somme, l’effet cumulé de la protection vaccinale et des différences de comportements des populations étudiées. Il reste que les comportements doivent impérativement être pris en compte…

«La protection contre une maladie plus grave est maintenue»

Dans leur article paru en février, les auteurs, loin d’alerter contre une «érosion immunitaire», écrivaient déjà noir sur blanc que leurs résultats «renforcent les arguments fondés sur des preuves en faveur de l’administration d’une troisième dose de vaccin en tant que rappel, en particulier à des populations spécifiques à haut risque». Que faut-il en penser avec huit mois de recul ?

Depuis 2021, de nombreux sites accusés de désinformation médicale interrogent sur un risque d’immunodéficience lié à la vaccination contre la Covid. Certains ont même taxé de fantasme un «syndrome d’immunodéficience acquise provoqué par le vaccin» («VAIDS», sorte d’avatar du sida). En février 2022, Reuters diffusait l’idée que l’étude nouvellement parue dans The Lancet était détournée de son sens pour servir cette vision, plutôt que de soulever des questions toujours non résolues huit mois plus tard. S’adressant à l’agence de presse britannique, Peter Nordström, également coauteur de l’étude, formulait un démenti qui ne convainc toujours pas les lanceurs d’alerte : «Notre étude [montre] que la protection contre une maladie plus grave est maintenue, ce qui contraste fortement avec toutes les affirmations selon lesquelles nos résultats soutiendraient les affirmations selon lesquelles le VAIDS existe.» Le ton monte et le principe du bénéfice pour le plus grand nombre prévaut.

Bailin relève que, dans l’étude parue en février et nécessairement menée plus tôt encore, l’efficacité du vaccin contre la maladie grave «s’est beaucoup mieux maintenue», au fil des mois, que la seule protection contre l’infection (2). Le co-auteur Peter Nordström soutient que ce résultat, aux côtés de ceux d’autres études [lesquels?], «vient contredire l’idée que les vaccins seraient nuisibles». «Dans le même ordre d’idée, poursuit-il, les allégations parfois rencontrées selon lesquelles les rappels seraient nocifs sont contredites par les résultats de la dernière étude que nous avons menée sur les personnes âgées, qui montrent qu’un deuxième rappel est associé à une réduction du risque de décès, par rapport aux personnes qui n’ont eu qu’un seul rappel seulement. […] Il est clair [??] que l’effet global des vaccins à ARNm est bénéfique.» Point de vue officiel.

Une alerte lancée par Fox News cet été

On notera que, pour appuyer son interprétation de l’étude parue en février dans The Lancet, le site de presse par qui le scandale arrive se réfère à une lettre publiée en juin dans le Virology Journal par un dénommé Kenji Yamamoto [professeur de médecine à l’Institut de recherche en Bioressources et Biotechnologie de l’Université de Ishikawa (Japon): son h-index est de 54; celui du Pr Karine Lacombe est de 42], «dans laquelle il donne son interprétation de cette étude du Lancet». Ce texte, qui avait été cité par Fox News, est stigmatisé car la lettre du Pr. Yamamoto ne comporte aucune démonstration scientifique, comme il est naturel dans une lettre.

Libération soutient la thèse officielle et ne se dédit pas sur l’étude du Lancet, du moins pour l’essentiel : «Les auteurs échouent [à] établir une différence significative entre les plus de 80 ans vaccinés depuis plus de six mois et les non-vaccinés [groupe non significatif et négligeable ?]. Impossible d’établir que les vaccinés de cet âge, à cette distance de leur seconde injection, sont plus ou moins à risque de Covid que les non-vaccinés,» assène Liberation, campant sur les positions du Lancet et des autoritaires sanitaires françaises. Après avoir rappelé la conclusion des auteurs, favorable à une troisième dose de vaccin, le quotidien rappelle ses certitudes «[qu’]en occultant les éléments qui permettent d’interpréter correctement les données […], Tucker Carlson ne fait rien d’autre que désinformer – une fois de plus – son auditoire». Conclusion qui vaut également pour des confrères.

Qu’il soit toutefois permis de rappeler aux journalistes, persuadés de détenir en tout la vérité, que The Lancet n’est pas parole d’evangile.

Le 22 mai 2020, The Lancet relayait une étude assurant que l’hydroxychloroquine est inutile, voire néfaste, dans la lutte contre le coronavirus. Ce jeudi, ses auteurs se rétractaient écrivaIt BFMTV.

Pendant des semaines, la communauté scientifique et l’actualité bruissèrent au rythme d’un feuilleton peu reluisant autour de la publication d’une étude publiée dans l’une des plus prestigieuses revues savantes. Le 22 mai 2020, alors que les autorités sanitaires étaient démunies face à la pandémie, The Lancet relaya une étude assurant que l’hydroxychloroquine était inutile, voire néfaste, dans la lutte contre le coronavirus. Pe après, ses auteurs se rétractaient.

  • Qu’est-ce que The Lancet

The Lancet est une revue scientifique britannique hebdomadaire, sise à Londres, du côté de la City, se déclinant également en des parutions plus spécialisées comme The Lancet Diabetes & Endocrinology ou encore, parmi de nombreux exemples, The Lancet Neurology. Fondé en 1823, le titre garde quelque chose de cette ancienneté: en médecine, la lancette est un petit instrument servant à opérer les incisions permettant les saignées. 

Le prestige du Lancet est immense mais il n’est qu’un pion au sein d’un empire scientifique bien plus vaste. Le journal appartient en effet au groupe Reed Elsevier, premier éditeur scientifique mondial régnant sur 2.500 revues. Et si l’intérêt public est l’horizon fixé à celles-ci, Reed Elsevier n’oublie pas ses objectifs économiques. Comme le remarquait Le Monde en 2019, le groupe avait brassé 2,8 milliards d’euros de chiffres d’affaires l’année précédente, ménageant plus d’un milliard d’euros de bénéfices, pour une marge appréciable de 35%. 

Mais les libertaires de Libération n’en a cure. Ils veulent ignorer, solidarité profesdionnelle exige, que les articles de The Lancet sont rédigés par des journalistes et non des scientifiques.

(1) Les résultats sont jugés «statistiquement significatifs» si l’on juge peu probable de les avoir obtenus si le vaccin avait, en réalité, été inefficace. De façon (très) schématique, avec «un intervalle de confiance à 95 %», il n’y a que 5 % de chance qu’en reproduisant l’essai à l’échelle de la population générale, le résultat réel se trouve hors de l’intervalle. Lorsque l’une des bornes d’un «intervalle de confiance» est inférieure à zéro, le résultat se confond avec ce que l’on aurait pu observer si le vaccin n’avait pas (ou plus) d’effet.

(2) Bailin souligne que «ce résultat n’est pas soumis aux limites décrites précédemment, car il était basé sur l’hospitalisation. Alors que les différences de comportement peuvent influencer le fait que les personnes souffrant d’infections légères effectuent ou non à un test PCR (comme pour le résultat “infection de toute gravité”), le même problème ne se pose pas lorsqu’on considère les infections graves – si une personne est gravement malade, elle devra être admise à l’hôpital».

Le Conseil d’orientation de la stratégie vaccinale s’interroge sur une 3e dose en Ehpad

Après les Ehpad, les autres: et aussi les non-vaccinés complets ?

Depuis mai (2021, les clusters en Ehpad alertent sur la nécessité d’administrer une troisième dose de vaccin aux personnes âgées « immuno-sénescentes » à l’instar des personnes immunodéprimées. Après bientôt trois mois, difficile d’affirmer que Macron serait pro-actif !

Dans une note du 7 mai, le Conseil d’orientation de la stratégie vaccinale, présidé par l’immunologiste Alain Fischer, s’interroge sur la question d’administrer une troisième dose de vaccin aux personnes âgées résidant en Ehpad. « La couverture vaccinale en Ehpad est très élevée, c’est une réussite importante de la campagne de vaccination », se félicite-t-il, mais des clusters survenus dans une trentaine d’établissements créent « un signal d’alerte sur la protection conférée par la vaccination chez les personnes très âgées ».

Et de citer une étude réalisée à Montpellier qui montre que la vaccination des personnes en Ehpad permet de réduire la sévérité des cas de Covid-19 mais n’empêche pas l’infection et la survenue de clusters. Il ajoute encore qu’une étude danoise en vie réelle a de plus démontré une efficacité vaccinale de 64% seulement en Ehpad.

Enfin, d’après une étude menée par le professeur de gériatrie à la Sorbonne et chef du pôle de gériatrie de l’hôpital Charles-Foix à Ivry-sur-Seine, Joël Belmin, et s’appuyant sur 27 clusters recensés en mars et avril 2021, l’efficacité du vaccin Pfizer chez les résidents d’Ehpad serait de 35% pour la prévention de l’infection, 59% pour la prévention des formes graves, et 75% pour la prévention des décès (résultats non publiés en cours de soumission).

« Ce signal d’alerte n’appelle pas une intervention immédiate mais pose la question d’administrer une troisième dose de vaccin aux personnes âgées résidant en Ehpad, qui sont « immuno-sénescentes », sur un rationnel comparable à celui de la troisième dose destinée aux personnes profondément immunodéprimées », résume le Conseil.

Il y a trois mois, il formulait les recommandations suivantes :

– poursuivre le recueil de données concernant l’efficacité de la vaccination chez les personnes âgées ;

– s’assurer du statut vaccinal des nouveaux entrants en Ehpad avant l’admission ;

– continuer à inciter les professionnels travaillant à se faire vacciner, « pour corriger la situation actuelle anormale de couverture vaccinale ne s’élevant qu’à 60% environ » ;

– mettre en place des stratégies de vaccination « en anneau » dans les Ehpad dès le premier cas confirmé : vaccination des résidents et des soignants non encore vaccinés, administration d’une 3e dose aux résidents déjà vaccinés, et vaccination des familles des résidents et des soignants.