Alain Finkielkraut confie sa peur de l’antisémitisme

« Partout dans le monde, les Juifs comprennent qu’ils ne font pas le poids »

Le philosophe réagit à la menace que constitue la judéophobie qui se répand sur l’ensemble de la planète.

Des étoiles de David ont été taguées au pochoir sur des façades d’immeubles – des habitations et des commerces juifs – à Paris et dans plusieurs villes de banlieue. Qu’est-ce que cela vous inspire ?

Je suis épouvanté, mais je ne suis pas étonné. Dans son livre, Une tragédie française, Franz-Olivier Giesbert rappelle opportunément que le 20 juillet 2014, alors que la guerre faisait rage à Gaza, un véritable pogrom a eu lieu à Garges-lès-Gonesses et à Sarcelles. Sous une flopée de drapeaux turcs, les manifestants criaient : « Mort aux Juifs », « Hitler avait raison ». Ils ont attaqué la synagogue de Sarcelles avec des cocktails Molotov. Le maire de l’époque, François Pupponi, déclarait : « Le conflit israélo-palestinien n’est que l’excuse pour exprimer la haine du Juif et des institutions. » 

Les Moldaves sont
un peuple roumanophone

Dix ans plus tôt, le doyen des inspecteurs de l’éducation nationale, qui menait une enquête sur les signes et manifestations d’appartenance religieuse dans les écoles, s’est rendu dans un lycée de banlieue. On lui a appris qu’il n’y avait plus d’élèves juifs. Il a demandé la raison de cette fuite et les professeurs lui ont répondu : « C’est bien simple, ils n’étaient plus assez nombreux pour se défendre. » Tout était là, mais la bien-pensance refusait obstinément de regarder la réalité en face. Ces sociologues, ces philosophes, ces journalistes voulaient nous convaincre que les années 1930 étaient de retour et que dans le nouveau racisme, l’islamophobie occupait la place de l’antisémitisme. La réalité est différente. C’est encore l’antisémitisme qui occupe la place de l’antisémitisme, et cet antisémitisme est désinhibé par la nouvelle guerre à Gaza.

Une vidéo virale sur les réseaux montre des jeunes chantant : « N*que les Juifs, vive la Palestine […] On est des nazis. »

Le Figaro

On a d’abord, et depuis quelque temps déjà, identifié les Israéliens à des nazis. Voici, par exemple, ce que disait le romancier chilien Luis Sepúlveda : « A Auschwitz et Mauthausen, à Sabra, Chatila et Gaza, sionisme et nazisme se donnent la main », (Une sale histoire, 2005). L’antisionisme était le droit de haïr les Juifs en toute bonne conscience. Maintenant, un pas de plus est franchi et les antisémites les plus virulents se réclament directement de Hitler.

Il faut ajouter que ces jeunes, comme vous dites, ont crié : « Vive le 9.3 ! » Le 9.3 constitue leur appartenance. Or, les deux injures les plus fréquentes dans les territoires perdus de la République, devenus, comme l’a montré Bernard Rougier, les territoires conquis par l’islamisme, sont : « Sale Juif ! » et « Sale Français ! ». Les Juifs et les autres Français se trouvent exposés à deux variantes de la même haine. Autrefois, les Juifs voyaient dans la France le pays où se réalisaient leurs aspirations messianiques. Un nouveau franco-judaïsme apparaît. Les Français juifs et les Français d’origine française se retrouvent dans le même bateau. Et le bateau coule. 

N’est-ce pas aussi lié à une méconnaissance de l’histoire de la Shoah ?

L’enseignement de la Shoah [prévention ?] aujourd’hui à l’école est obligatoire et il tend à devenir impossible. Certains professeurs parlent de Hitler et du nazisme sans évoquer les Juifs. Cela ne favorise pas la transmission. On assiste de surcroît au dévergondage généralisé de l’antinazisme. Aujourd’hui, ce sont des experts de l’ONU qui osent qualifier l’action militaire de Tsahal à Gaza de génocide. Ces experts ont fait des études. Comment voulez-vous, dans ces conditions, que la jeunesse des quartiers puisse connaître quelque chose de cette histoire ?

Cette augmentation des actes antisémites se répand sur l’ensemble de la planète et des sociétés occidentales. 

Ce qui me frappe surtout, c’est la mondialisation de la haine. Il y a en France les étoiles de David et ces jeunes qui s’autorisent à clamer leur détestation des Juifs dans le métro. Mais il y a aussi une tentative de pogroms au Daghestan, des manifestations propalestiniennes à Sydney, à Londres, à Tunis, à Istanbul. La planète tout entière est saisie par une sorte de passion meurtrière. 

Alors que nul n’a songé à descendre dans la rue quand l’Arabie saoudite a bombardé le Yémen, quand la coalition contre l’État islamique a bombardé Raqqa et Mossoul, ni aujourd’hui quand 1,7 million d’Afghans sont chassés manu militari du Pakistan. « No Jews, no news. » Six cent mille Juifs, cela ne compte pour presque rien à côté de l’immigration maghrébine et subsaharienne. Partout dans le monde, les Juifs comprennent qu’ils ne font pas le poids. C’est une prise de conscience terriblement douloureuse. Lien X

En qualifiant de « nazi sans prépuce » le Premier ministre israélien sur France Inter, le chroniqueur Guillaume Meurice a suscité une vive polémique. L’humour ne peut-il pas choquer ?

21 février 2019

L’humour, ce n’est pas le rire. L’humour, dit Kundera, c’est « le plaisir étrange issu de la certitude qu’il n’y a pas de certitude ». Avec le gai luron de France Inter, on a affaire une nouvelle fois à une manifestation de rire barbare. Mais il faut saluer sa blague repoussante comme un moment historique, celui de la jonction entre l’antinazisme et l’antisémitisme.

Après avoir dit : « Hitler, c’est un enfant de chœur à côté de Netanyahou », l’ancien athlète Mahiedine Mekhissi a présenté ses excuses. Ce geste n’était peut-être pas sincère. Mais peu importe. L’hypocrisie, nous dit La Rochefoucauld, est « l’hommage du vice à la vertu ». Guillaume Meurice est dispensé de cet hommage. Le vice antisémite, avec lui, s’affiche sans vergogne. Sympathisant de La France insoumise, il se croit porté par l’histoire et il pense être soutenu par les syndicats. Qu’une telle abjection ait pignon sur rue à Radio France, cela me déchire le cœur, car c’est ma maison depuis 1985. Je me sens moi-même sali par cette blague.

Lien X

On entend beaucoup aujourd’hui parler du retour de nos vieux démons. Est-ce que vous pensez qu’il existe encore un antisémitisme chrétien ?

L’antisémitisme chrétien existe peut-être, mais il est résiduel. Catholiques ou protestants, les chrétiens aujourd’hui sont solidaires des Juifs. 

Ce qui suscite l’inquiétude, c’est l’alliance naissante de la judéophobie islamiste et du wokisme. La pensée woke a substitué à la classique lutte des classes le conflit des dominés et des dominants, et à l’anticapitalisme, l’anti-impérialisme. Aux yeux des wokes, la personnification ultime de l’impérialisme, c’est Israël. L’Israélien conquérant remplace dans l’imaginaire de cette gauche le ploutocrate juif. Et cela alors même, qu’Israël s’est retiré du Sinaï, du Sud Liban et de Gaza. Etrange expansionnisme, on en conviendra. 

Sur les campus américains, mais aussi déjà dans certaines universités françaises, on se mobilise pour une Palestine libre « de la rivière jusqu’à la mer ». Une Palestine sans Juifs, donc. Victime superlative tant que gisait la mémoire de la Shoah, le Juif apparaît maintenant comme l’ennemi du genre humain. L’antisémitisme est le stade suprême du wokisme.

Alain Finkielkraut,
de l’Académie française

Avez-vous peur ?

Quand on voit ce qui se passe, on se dit que les Juifs ne seront plus en sécurité nulle part. Ils ne font pas le poids, et la possibilité du pogrom est partout. Comment ne pas avoir peur ?

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