«Nous ne remettrons jamais en cause la liberté académique», clame Sylvie Retailleau
Malgré l’annulation par la justice des statuts de l’université de Grenoble, rédigés en écriture inclusive, et la distribution d’un sujet d’examen en écriture «non-binaire» à l’université Lyon-2, Sylvie Retailleau, ministre de l’Enseignement supérieur, a été appelée à réagir par Le Figaro.
De la communication des établissements aux sujets d’examens, l’écriture inclusive semble s’inscrire comme norme dans l’enseignement supérieur. Le 10 mai, des étudiants en droit de
ont dû plancher sur un cas pratique en écriture «non-binaire» – le mot «touz» remplaçant «tous» et «als» remplaçant «ils», notamment. Une initiative défendue par la direction, alors que le 11 mai, le tribunal administratif de Grenoble (lien PaSiDupes) avait annulé les statuts du service des langues de l’université Grenoble-Alpes, rédigés en écriture inclusive. Pour faire le point sur la question, Le Figaro a fait semblant de croire que Sylvie Retailleau, ministre de l’Enseignement supérieur, aurait une opinion.
Avec quatre filières principales (arts, lettres et langues, sciences humaines et sociales), l’université Lumière Lyon 2 s’est classée au rang 1001-1200 du classement mondial des universités QS en 2023.
LE FIGARO. – Diriez-vous que l’écriture inclusive, et plus globalement l’usage du français, est une problématique à laquelle est confronté l’enseignement supérieur?
Les cas problématiques liés à la compréhension et la lisibilité des textes restent rares. De cas particulier, il ne faut pas faire une généralisation. La question qui est posée, c’est celle des biais que peuvent porter nos usages de la langue. En tant qu’enseignante-chercheuse, je n’ai jamais ressenti de sexisme. Mais, après avoir pris des responsabilités, j’ai plus souvent constaté le plafond de verre, la non-reconnaissance, la légitimité naturelle du costume-cravate. Il existe encore des problématiques liées à l’inclusion, à l’attractivité des filles dans certains métiers. Avec Élisabeth Borne et Isabelle Rome, nous luttons contre cela. Et donc je veille à privilégier l’usage d’une expression inclusive, que je différencie de l’écriture dite inclusive utilisant le point médian. C’est-à-dire que j’essaye d’appliquer de manière intelligible, claire et respectueuse la langue française, en parlant «des étudiantes et des étudiants» ou en disant «chers toutes et tous». Des expressions dans lesquelles on englobe finalement l’ensemble des auditeurs et des auditrices.
L’écriture inclusive a-t-elle sa place dans les établissements d’enseignement supérieur et à l’université?
Sur cette question, il faut distinguer le fonctionnement des établissements et le contenu pédagogique des cours. Pour les établissements, la circulaire d’Edouard Philippe [relative aux règles de féminisation et de rédaction des textes publiés au Journal officiel, qui «invite» à ne pas faire usage de l’écriture inclusive], datant de 2017, doit être respectée. Cela permet que les textes statutaires, officiels, des établissements soient lisibles et compréhensibles [sic]. Cela facilite également l’accessibilité aux personnes aveugles et malvoyantes des logiciels de synthèse vocale pour les personnes, lisant plus difficilement la féminisation par le point médian.
Du côté des enseignants et des contenus pédagogiques cependant, c’est la liberté académique qui prime, un principe auquel je suis bien sûr très attachée. Nous ne remettrons jamais en cause la liberté académique. Il faut respecter cette autonomie, nous ne pouvons avoir que des recommandations.
La présence de l’écriture inclusive dans un examen de droit est-elle un outil pour faire prendre conscience de certains problèmes? L’université est au moins un lieu où l’on peut en débattre ( Sylvie Retailleau, ministre de l’Enseignement supérieur).
Derrière les bonnes intentions, cette graphie, par ailleurs évolutive, relève du militantisme. N’y voyez-vous pas l’introduction d’un biais dans l’apprentissage?
Je dissocie trois niveaux de « langue » [inclusive ! ]: l’expression inclusive, l’écriture dite inclusive – celle qui comprend l’utilisation du point médian notamment – et cette quasi-nouvelle écriture [écriture «non-binaire» observée dans un sujet d’examen à l’université Lyon 2]. Tous les linguistes le savent, l’usage des langues n’est jamais figé [il évolue non pas en fonction d’une idéologie militante, mais de la pratique vernaculaire de la majorité de ses usagers]. La féminisation des noms des titres est quelque chose qui choquait il y a 20 ans [« maîtresse de conférence » pour une titulaire féminine n’est toujours pas répandue…].
Mais il ne faut jamais pénaliser des étudiants [les personnes aveugles et malvoyantes devront s’y mettre, au final… ] Les établissements ont, à ce niveau, un rôle à jouer dans un certain cadrage [rôle que se refuse en revanche de jouer la ministre]. Le guide de communication inclusive que l’on m’a par exemple présenté à l’université Laval, au Canada, est, je trouve. très intéressant. Il prône l’expression inclusive à l’écrit tout en présentant et expliquant les problématiques liées à ce qu’ils appellent la forme «tronquée» de l’écriture (comprenant le point médian, la barre oblique ou les crochets).
En 2021, la circulaire Blanquer proscrivait le recours à l’écriture inclusive dans l’Education nationale. Peut-on envisager la rédaction d’un texte administratif de la même espèce dans l’enseignement supérieur?
La circulaire de 2017 s’applique déjà aux établissements. Que dirait de plus une autre circulaire puisqu’il faut déjà que l’écriture d’un texte institutionnel soit intelligible? S’agissant des cours (y compris des examens comme le rappelle le Code de l’Education), c’est la liberté académique qui prime [l’Education est-elle toujours nationale en France et les ministres sont-ils des pantins ? ], et une circulaire ne saurait le remettre en cause. Cette liberté est permise par le fait que nous nous adressons à de jeunes adultes. C’est un lieu de débat et de sensibilisation, où l’on fait appel au sens critique des jeunes adultes qui sont à même de se forger leurs propres opinions. La présence de l’écriture inclusive dans un examen de droit est-elle un outil pour faire prendre conscience de certains problèmes? L’université est au moins un lieu où l’on peut en débattre.
[La notion de liberté brandie par la ministre est une grave tromperie. Tout étudiant qui déroge à l’usage imposé d’en haut par l’université, sans débat ni vote, s’expose au risque sournois d’ajournement sans raison assumée. Les fortes-têtes pourront-elles trouver un directeur de thèse ? Et les chaires d’enseignement seront-elles réservées aux « bons étudiants »? La bien-pensance ne peut que développer davantage sa chape de plomb sur l’université].
En tant que présidente de Paris-Saclay, vous avez dirigé la publication d’un «guide pratique de communication pour un langage égalitaire», faisant notamment la promotion du point médian. Le réécririez-vous aujourd’hui?
Les établissements ont aussi un rôle à jouer dans l’accompagnement de leurs enseignantes et enseignants sur ces questions. C’est précisément à ce titre que l’établissement dont j’étais présidente a souhaité accompagner ses acteurs. Cela répondait à beaucoup de questions d’utilisation au moment où la société découvrait le point médian. Il y a aujourd’hui tout un tas d’utilisations de la langue française. Il faut apprendre à s’en servir à bon escient. En tant que ministre mes encouragements sont clairs: lutter contre les biais d’expression en s’adressant à toutes et tous, d’une manière intelligible, respectueuse de notre belle langue.
[En vérité, ce « guide pratique de communication pour un langage égalitaire » est de fait inégalitaire, puisque chaque université impose sa règle et que l’étudiant sera « bon » ou « mauvais » en fonction des préférences idéologiques de sa direction. La forme prévaudra-t-elle sur le fond ? Au pays des totalitaires, les invertébrés et les soumis sont rois.]
La mairie NUPES de la Ville de Paris s’était fait taper sur les doigts par la justice. Lien PaSiDupes